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Chaque famille dispose de son vilain petit canard. Je suis la méchante petite fille de la famille. Celle qui ne souhaite ni enfanter, ni se marier. Le vilain petit canard, le sale rôle que nous sommes nombreuses à endosser. N'est-ce pas les filles ? Le rôle de la Bridget Jones qui se pointe toujours aux fêtes de famille dans la mauvaise tenue, avec le mot qu'il ne faut pas dans la bouche. La Bridget énervante qui commet la faute irréparable d'avouer, pendant un repas concocté avec amour inévitablement, que ouais « moi, je veux pas d'enfants ». La phrase de trop, celle qui déclenche les foudres de ta chère mère qui t'as conçue avec amour, la crise cardiaque assurée de ta grand-mère et le regard désappointé de la petite dernière, peinée à l'idée de ne jamais être « tata ». Pire la phrase apocalyptique qui effraye même ta meilleure amie, malade à l'idée de t'annoncer un jour prochain qu'elle aussi attend un heureux événement comme le reste de la planète. Et oh les filles, on se calme, on redescend illico presto sur terre. Je ne vous méprise pas à vouloir enfanter à tout prix. J'arrive même à éprouver une certaine admiration face à certains de mes contacts Facebook, mamans comblés et loin d'être gaga, capable de tenir d'une main un livre d'Élisabeth Badinter et de l'autre un (parfois) beau poupon. Oui, car les bébés, je trouve ça ultra-moche, et pas de langue de bois avec moi. Tout le monde s'amasse à la maternité devant un truc tout fripé et (très) rarement séduisant, avouez-le.

 

Moi j'avoue tout au tribunal sociétal-familial qui dirige impunément ce pays. J'avoue ne pas comprendre ces chiffres qui viennent de tomber et qui ne cessent de déclencher multiples commentaires de joie. Chouette, on a atteint un taux de fécondité record ! On se plait tellement dans notre cher pays qu'on y enfante comme par magie : 828 000 bébés ont vu le jour en 2010, selon les chiffres présentés cette semaine par l'Insee. 828 000 petits soldats venus combattre l'idée reçue que les temps sont maussades. Crises à tout va, morosité européenne, chômage et patati et patata, pas grave m'sieur, on enfante, on enfante, on enfante pourquoi d'ailleurs? Parce qu'on s'aime certainement. Parce qu'on comble assurément. Parce que pour ne pas vivre seul, comme chantait l'autre, d'autres font des enfants, des enfants qui sont seuls comme tous les enfants. Les Français(es) savourent les joies de la maternité titrent les journaux hexagonaux et le vilain petit canard est condamné à apparaître comme un monstre qui finira au bûcher. Oui, un monstre. On a beau te dire que les mentalités se sont métamorphosées, tu n'as qu'à lâcher dans un repas amical, familial, amoureux ton non-désir d'enfants ton interlocuteur te regardera toujours avec ce succinct air d'incompréhension saupoudré d'un zeste de mépris. Cet air que tu dois combattre au quotidien. Non, tu n'es pas hautaine, encore moins frigide ou allergique aux enfants : tu veux juste rendre un service à la planète et okay, admets-le un peu : emmerder un peu la planète.

 

Coeur 0193

Car c'est bien joli cette moisson de nouveau-nés mais ça n'empêchera pas le monde de mal tourner, de courir à sa perte, de foncer droit dans le mur. Tu n'es pas une déséquilibrée mentale (quoique ?), tu es juste atteinte d'une terrible lucidité. Tu n'es pas incapable d'aimer (quoique ?), tu es juste follement éprise de justice. Tu n'es pas névrosée (quoique ?), tu es juste incroyablement honnête avec tes idéaux. Tu ne veux pas faire ta connasse de childfree (quoique ?), préférant crouler sous les sermons de Simone de Beauvoir plutôt que sous une masse infâme de couches. Non, tu es juste désireuse de mettre en pratique ta vision des choses, cette observation lente et accomplie qui t'as permis de comprendre un jour que les femmes de ton entourage ont beau te répéter depuis que tu es haute comme trois pommes que« mettre au monde un enfant est la chose la plus merveilleuse au monde », tu n'y crois pas une seconde. Car ces mêmes femmes, au quotidien, rabâchent sans cesse la malédiction de leur sexe. Glisser au hasard d'une discussion, d'un geste, d'un simple regard, cet indice que l'on rechigne à admettre : faire un enfant c'est participer à une mascarade de plus, participer à l'organisation orchestrée par la main de l'homme de notre satanée société, faire un pas de plus vers l'inégalité homme-femme. Cette pensée est ultra-moche, le vilain petit canard le conçoit parfaitement, et elle s'excuse à l'avance auprès de 828 000 nouvelles mamans, auprès de ces 828 000 bébés nés cette année, ces 828 000 merveilleux « bouche-trou » à la quête existentielle, ces 828 000 merveilleux « alibis » d'une société basée sur une inégalité homme-femme consternante (éternelle ?). Elle s'excuse et en même temps elle demande à ces femmes mamans quand cesserons-nous de ne nous mépriser, quand cesserons-nous de nous différencier ?

Tag(s) : #Chroniques de l'asphalte
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