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L'irrévérence des jeunes filles devrait être l'objet de toutes les attentions, elle devrait être archivée et transmise. Il faudrait les chérir, ces trop courtes années durant lesquelles les jeunes filles ignorent la prudence, le respect et le remords. Elles mentent avec métier et sans états d'âme, mangent avec les doigts, grimpent sur des toits et bras dessus bras dessous, elles prennent toute la place sur les trottoirs. Leur seule peur est de nous ressembler. De venir ces êtres à bout de souffle qui se plaignent qu'elles "ne manquent pas d'air".

Les parents aiment à raconter les mots d'enfant, de leurs tout-petits ; ils s'émeuvent de leur fantaisie et de leur drôlerie. L'adolescence à venir, elle, est redoutée à la façon d'une maladie, d'une comète menaçant le paysage, dévastatrice. Comme nous la craignons l'extralucidité adolescente, ce regard de "voyant" qui met à nu nos compromis.

Relire son journal intime, c'est se confronter à l'adolescente qu'on a été. Lui ferait-on honte, ou de la peine ? A-t-on baissé les bras ? Est-on devenue sage trop sage, par manque de courage ? Il faudrait relire régulièrement son journal pour rester à la hauteur de son adolescence. Quelle adulte serait-elle devenue, Anne Frank, qui se jurait de ne as devenir aussi "insignifiante" que sa mère qui se disait "en extase" devant les corps nus des femmes, ce qui lui vaut, encore aujourd'hui, d'être censurée par des chrétiens fondamentalistes aux Etats-Unis. Une irrévérente que Fritz Pfeffer traita d'égoïste lorsqu'elle exigea qu'ils partagent équitablement la petite table de leur chambre commune. Je m'en vais lui donner un de ces coups sur la tronche, il ira valser contre le mur avec tous ses mensonges, conclut-elle après une dispute.

S'il existait un musée de la jeune fille irrévérente Anne Frank, qui se dépeignait en petite chèvre turbulente qui a arraché ses liens, en serait la marraine.

Sans doute étais-je ivre de sommeil mais, vers 5 heures du matin, j'ai entrepris de rédiger une liste de celles qui j'aimerais voir honorées dans ce musée imaginaire. J'avais fait le tour de l'Annexe plusieurs fois déjà, je n'avais plus nulle part où me rendre sauf dans cette pièce qui se refusait à moi. Je me suis assise sur le linoléum d'un couloir, je n'avais aucune idée d'où il menait mais je pouvais au moins y recharger mon ordinateur sans craindre de me servir d'une prise d'époque.

"Jeune fille" étant un état d'esprit qui n'a rien à voir avec le nombre d'années passées sur Terre il faudrait faire une place, dans ce musée, à Laureen Nussbaum, quatre-vingt quinze ans.

Lors de notre rencontre virtuelle, Laureen m'a renvoyée à mes préjugés avec la fougue d'une gamine. Quand je lui ai demandé si Otto Frank avait censuré les passages du Journal dans lesquels Anne Frank s'interrogeait sur sa sexualité, elle m'a coupé la parole d'un sonore NO SENSE qu'on peut traduire par le très adolescent : N'IMPORTE QUOI.

A Virginia Woolf, il faudrait dédier tout un étage. Il serait impossible de ne pas célébrer Nina Simone. Et j'aimerais y voir ma mère et toutes celles qui, comme elles, ignorent qu'elles le sont, irrévérentes, qu'elles l'ont été, en secret, parfois.

Après ce début de liste, j'ai songé au bâtiment qui abriterait ce musée. Il faudrait qu'il soit anodin, qu'il laisse l'irrévérence nous frapper de plein fouet. Un palais l'écraserait, l'irrévérence y serait encadrée de trop de morgue.

Extrait de Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

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