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« Le temps de l’action est passé, celui de la réflexion commence ». Qui parle ? Jean-Luc Godard ou son héros Bruno Forestier, déserteur, travaillant pour le compte d'un groupuscule d'extrême-droite en pleine guerre d'Algérie. Cette phrase typiquement godarienne active la construction logique d'une filmographie avant-gardiste qui débute par une révolution filmique (À bout de souffle) pour s'acheminer plus tard vers une introspection intellectuelle (Le Petit Soldat, Pierrot le Fou  ) qui se transformera par la suite en acte militant. Aussi parce qu'il est la première pièce du puzzle d'un Godard militant, soumis à une valse-hésitation entre la démarche intellectuelle et l'action révolutionnaire, Le Petit Soldat est un Godard prophète, annonçant à l'aube des années 60, le Godard marginal des années 70.
 

Est-ce que vous croyez à la liberté ?
 

1960. La Guerre d'Algérie fait rage. Guerre de l'ombre qui bouscule les hommes on la baptise d'un hypocrite nom « les événements d'Algérie ». Jean-Luc Godard a 30 ans quand les « événements » agite l'hexagone et sa colonie. L'âge clé pour la question existentielle : « Quel est mon rôle dans ce monde ? ». Cette question il la place avec tact dans la bouche de son héros interprété par Michel Subor. « D'où viens-tu ? Que fais-tu ? Où vas-tu ? » semble lui demander cette mystérieuse peinture de Paul Klee qu'il tient dans la main. Bruno Forestier est un agent secret, un travailleur double : photographe pour un journal suisse, membre d'un réseau d'extrême-droite en lutte contre le FLN. Ses amis le soupçonnant de pratiquer un double jeu le mettent à l'épreuve en lui ordonnant d'assassiner un journaliste de Radio Suisse. Le petit soldat va t-il exécuté les ordres venant d'en haut ? C'est tout le dilemme de cet homme révolté.

 

L'homme révolté est le personnage phare de l'œuvre magistrale de Godard. Double du cinéaste, il hante ses premières réalisations cinématographiques avec ce refus permanent de conformisme, cette liberté de parole abasourdissante, ce sens inné de la répartie facile et intellectuelle. Aussi la Guerre d'Algérie est ici un prétexte pour poser Godard, son héros et son spectateur face à ce que l'on nomme la « liberté ». Cette chose si précieuse, si complexe, pour laquelle le cœur du cinéma de Godard bat à la chamade. Cette chose si précieuse qui échappe à son époque maussade. Car sur ce « petit soldat » flâne la nostalgie des idéaux, des combats pour des idéaux passés. Sur une table de chevet, La Condition Humaine de Malraux. Dans le mots de Bruno, du Cocteau, du Aragon. Une autre jeunesse hante ce film qui se carapate aux quatre coins de Genève. La jeunesse empreinte d'un idéal s'oppose à la jeunesse de Bruno. « Contre les allemands, les français avaient un idéal. Contre les algériens ils n'en n'ont pas » lâche Bruno d'un air désabusé à Veronika, celle dont il s'éprendra, une alliée du FLN. « Ils avaient la révolution nous n'avons plus rien » lance t-il le regard lasse sur un combat sans morale. Nous n'étions qu'en 1960, ce n'était que le second film de Godard, et il y semait déjà les prémisses de son œuvre, de son engagement intellectuel à la fois humble et effronté. L'idée que lui ne serait jamais un petit soldat du cinéma et des combats sans idéaux. L'essentiel à ses yeux étant la liberté.

 

L' Éthique esthétique de l'avenir

 

Second film de Godard qui ne sortit qu'en 1963,Le Petit Soldat, emprunte le caractère instinctif et énergétique d'À bout de souffle. La caméra se balade dans les rues de Genève pour suivre à la va-vite son héros, comme elle suivait les déambulations express de Michel Poiccard dans À bout de souffle. Les échanges amoureux de Michel Subor et d'Anna Karina rappellent les dialogues attachants et subjuguants de Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg. Godard poursuit donc son entreprise de dé-construction d'un ordre et de techniques pré-établis. Il invente sa propre grammaire cinématographique élaborée à partir de tous les arts : littérature, peinture, poésie, photographie. Profusion artistique qui hante le plan godarien par nécessité, pour soutenir la réflexion que Le Petit soldatmet en place et qui gardera une place centrale dans l'œuvre du cinéaste : « La photographie, c'est la vérité. Le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde ».

 

Le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde et la vérité c'est le visage d'Anna Karina. Anna c'est Veronika. Anna c'est la muse de Godard. Son premier rôle au cinéma. Anna pose pour les photos de Bruno. Anna pose pour la caméra de Godard. Anna a un faux-air de ravissante petite idiote au début du film. Anna demande à tout-va « De quoi vous parler ? ». Anna exécute les poses demandées par le photographe. Mais Anna, ou plutôt Veronika, pense en silence, regarde comment ce cinéma-là fonctionne, bouillonne, réfléchit sur lui-même à chaque seconde, chaque plan. Anna sera la muse de ce cinéma-là. « Le charme de Veronika c'était elle-même, la courbe de ses épaules, l'inquiétude de son regard, le secret de son sourire » conte Bruno au spectateur. Mais le spectateur ne l'écoute même plus, il sait qu'il a face à lui une beauté rare, « les lèvres de Leslie Caron » et une âme ravissante, celle d'Anna dont Godard est en train de tomber amoureux. « Dieu qu'elle était belle », dieu qu'elle bouleversera le cinéma.

 

 

 


 

Tag(s) : #Cinéma
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