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Elle répétait souvent des « oh non, oh non ». Je ponctuais par des « c’est odieux, c’est odieux ». Médiocres effarouchées nous étions. Mais entre temps, on riait honteusement ou pas, à gorge déployée ou en silence, à l’unisson avec le reste de la salle et puis pas tant que ça finalement. Tout ce que j’ai retenu de ces une heure trente haut perchées face à la scène du théâtre Antoine, c’est que le garçon en face de nous, celui que nous avions tant aimé toutes les deux dans le rôle d’un héros odieusement égoïste et romantique, brillait par la vitesse de sa verve et de son nihilisme. Il brillait tellement que je n’ai retenu presque aucune tournure ou bon mot par coeur. Je n’ai retenu que ce qu’il se passait sur cette scène : qu’ici tout le monde se retrouvait à égalité, à l’inverse d’au-dehors. Tout le monde était atomisé à vitesse grand V par ce type au visage impassible. Pendant deux heures, il n’y avait ni bon, ni méchant, ni bonne ou mauvaise position et encore moins conscience, juste la médiocrité brute de l’époque et la mélancolie d’hier comme carburant à la diatribe du jeune homme. L’un n’allait tristement pas sans l’autre. De gauche à droite en passant par Castor Junior aka Emmanuel Macron, du bobo végétarien aux terroristes du Bataclan, des féministes à la bourgeoise accrochée à son sac Hermès, des résistants en terrasse aux juifs déportés, du petit Aylan à l’affaire Théo, en passant par toute la classe politique et toutes les religions, sans oublier le père divorcé en trottinette - cette aberration supplémentaire de la société moderne -, Gaspard Proust les a tous dézingué un par un, à égalité, triomphalement au détour d’une phrase assassine ou d’une longue diatribe trash dont lui seul a le secret. La conséquence d’un choix de cible très très large le conduit bien évidemment à la soustraction de quelques rires dans un public pourtant tout acquis à son humour, teinté, habité, férocement imprégné d’une analyse peu glorieuse pour ses congénères, ces coincés vaniteux. Pour les uns, il sera bien trop tôt pour rire d’un carnage récent, pour d’autres ce sera la capture et plus si affinités d’une nièce hélas célèbre qui provoquera quelques réticences à rire franchement. Mais dans l’ensemble, chacun aura souri face à l’intolérable.

Elle est pas belle la vie ?

Gaspard Proust - qui chérit Dostoïevski, la montagne et la musique classique - ne semble point chérir l’époque. Elle lui sert pourtant de fond de commerce, il « tapine » grâce à elle. Remplit les théâtres parce que dehors ça tourne mal. Assister à sa chronique désespérée d’une époque en tout point désespérante a quelque chose de cathartique. Avec ses saillies lapidaires, lui qui les énonce comme nous qui en rions, nous nous rachetons une once d’honnêteté intellectuelle… le temps seulement de penser une telle bêtise et voilà que toute la vanité de l’époque réapparait. A l’inverse de ses camarades comiques et humoristes - métier qui d’ailleurs ne convient guère pour le qualifier - Proust ne souhaite guère nous soulager de quoique ce soit, ni même nous réveiller d’un quelconque mauvais songe moderne. Irrévérencieux chronique, il est assez solide pour vous démontrer que la matière première de son spectacle, le monde, l’époque, vous, moi sommes bien plus grossiers, incorrects, choquants que lui. Il y a deux ans, dans une interview télévisée lorsque la journaliste en face de lui lui rétorquait qu'il avait quelque chose en lui d'anti-moderne, comme tentative de réponse il lui citait Georges Bernanos et donnait par la même occasion une clé de compréhension de sa brillante irrévérence : « Tout le projet de la société contemporaine c’est de détruire toute vie intérieure ». Le voir sur scène c’est prendre le risque de retrouver le goût de sa vie intérieure, préférer ses bouquins, sa musique classique et la montagne pendant quelques temps. Et ne pas croire en grand chose aussi dans la foulée.

Tag(s) : #Chroniques de l'asphalte, #Gaspard Proust, #Spectacle, #Sortie paris
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