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Habituellement Abd Al Malik est encensé dans la rubrique Musique des magazines. Ici, il sera encensé dans la rubrique Livres. Une rubrique où, sous cette chère littérature se dissimule bien souvent des questions de politique, de société, de ce fameux « vivre ensemble ». Il se trouve justement que ce « vivre ensemble » est au centre de l'œuvre d'Abd Al Malik, une œuvre prolifique où le mot est roi. « Debout et libre », l'artiste se fait « écho du réel » dans ses chansons mais aussi dans ses ouvrages. Quand il nous annonce, avec ce ton serein qu'il maitrise si bien, que La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, on l'écoute. On imagine l'embellie qu'il dessine et avec lui on ose enfin rêver.

 

Bardot2IMG 0002Rappeur, musicien, poète et maintenant écrivain, le gamin sorti des banlieues de Strasbourg a embrassé une carrière que bien des politiques pensent impossible. Impossible pour ces gamins du bitume. Impossible de sortir de cette banlieue, d'oser rêver, interpeller l'avenir, le regarder avec couleur dans la grisaille des quartiers. Abd Al Malik est passé outre ces barrières, ces tours de bitumes et ces préjugés. Alors inévitablement, sa parole nous interpelle. Qu'elle soit orale ou couchée sur le papier, l'humanisme qu'elle défend nous apporte l'espace d'un court instant, le temps d'une chanson ou d'une lecture, un véritable moment de réflexion. Un réflexion nécessaire dans ce monde à la dérive. Une réflexion ignorée dans ce monde d'aujourd'hui. Celui où l'information est divulguée aussi vite qu'elle est consommée par le commentaire médiatique. « Des voitures brûlent ? Des barricades ? » la France a peur, aurait dit l'autre, Abd Al Malik l'écrivain lui préfère expliquer : « Ce n'est pas un autre Mai 68, c'est le diktat d'une autre société . D'un autre questionnement dont le coeur mendie d'autres réponses ».

 

 

L'existence au sens du « vivre ensemble »


Ces réponses, les politiques les refusent en bloc. Le reste du pays, lui ferme les yeux, s'offusquent un court instant face à ce qui se passe là-bas, puis se rendort doucement. Mais ce n'est pas une question d'être « là-bas » selon Abd Al Malik c'est la question de l'existence au sens du « vivre ensemble ». Voilà comment l'auteur annonce la couleur du récit qui va suivre. L'ouverture sonne comme du slam. Agrémentée de quelques photographies en noir et blanc, Abd Al Malik débute La Guerre des banlieues n'aura pas lieu par cette question au centre du récit, au centre de tous les reportages sur la banlieue, au centre des polémiques et des politiques : « Est-ce qu'on parle des banlieues ou est-ce qu'on parle de la France ? »

 

Cinq pages d'ouvertures pour traduire les maux propres aux gamins des banlieues et finalement communs à toutes celles et ceux que la France oublie dans la misère du quotidien. Abd Al Malik parle et le lecteur écoute ses maux, ses mots à la justesse admirable, simples et sages comme il est rare d'en entendre aujourd'hui. D'emblée il ne parle pas « en tant que Noir, Blanc, Arabe ou Juif », non, il parle en tant que « membre de la communauté nationale et de ce que cela implique ». Voilà de quoi il parle. De vraisemblance, de reconnaissance, de l'amour inconditionnel porté à ce pays, la France. Il n'y a pas le moindre sentiment de vengeance, juste un désir dévorant de préparer nos âmes, de nous faire entendre, par son texte, les échos de ce monde que l'on stigmatise , précarise, ghettoïse. Il était temps.

 

La Guerre des banlieues n'aura pas lieu ou le conte d'une expérience vécue

 

« Debout et libre », l'artiste se fait « écho du réel » d'une manière intrigante au départ, transformée au fil des lignes en récit captivant. La Guerre des banlieues n'aura pas lieu c'est l'histoire de Peggy, personnage principal derrière lequel on aperçoit le visage expressif d'un Abd Al Malik slamant les maux des siens. Cette histoire est le conte d'une expérience vécue. Un conte où il est enfin question d'échanges, de témoignages, de surréalisme aussi. Une histoire où l'auteur se fait narrateur et « entame une histoire de banlieue », l'histoire de Peggy entre les blocs, dans une chambre où on écoute un disque de rap, dans une cellule de prison, de la mosquée à la cour d'école. Peggy et son regard précieux sur les êtres qu'il voit passer et trépasser devant lui.

 

Abd al Malik, le rappeur du réel, décrit des lieux qu'il a touché avec les yeux, avec les mains, avec le coeur. Un lieu que chacun derrière sa petite lucarne croit connaître alors qu'il n'y connait strictement rien. Ce lieu où tout le monde a un mot à la bouche. Ce mot ? « Galère ». Cette galère où chacun vit nous explique Peggy. Cette galère que personne n'est apte à comprendre et encore moins à entendre. Ce sentiment que toute vie normale s'arrête « aux frontières de la Tess » comme dirait Peggy. Cette Tess où on rit, où on pleure, où on se perd, où on doute, où on aime et où on éprouve de la haine « comme partout » précise notre narrateur. Notre auteur quant à lui écoute cette haine parler, il n'est pas question de la justifier, de l'honorer mais tout simplement de l'entendre, de la faire comprendre aux autres. De faire saisir les sources de cette énergie brute non-canalisée qui crée les voitures brûlées et les barricades insurmontables dans la grisaille des banlieues. « Parfois ça donne des choses dingues, et même si ce n'est pas toujours compréhensible, c'est toujours humainement explicable » lâche Peggy à son lecteur comme s'il parlait à un pote.

 

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Ce qui se passe dans ces tours de briques et de mensonges, dans ce vaste horizon de galères et de blessures quotidiennes est « humainement explicable » nous conte la prose du sage Abd Al Malik. Lui qui a longtemps fait couler son flow clairvoyant pour éclairer nos consciences signe un ouvrage impossible à classer tellement sa forme et son contenu s'avèrent remarquables. Mais l'idée est toujours au fond la même : comprendre par les mots, entendre les maux. Le narrateur raconte : « Dans mes yeux à moi, il y avait écrit « je veux comprendre » et ensuite j'ai voulu tout comprendre : la vie et tout ce qui se trame autour. ». Lire et écouter Abd Al Malik revient à ce « je veux comprendre ». Comprendre par la musique, la littérature, la spiritualité que c'est l'Humanité qui est en crise et pas seulement la banlieue. Une crise mondiale, une crise intérieure qu'il faudrait « pacifier », « résoudre ».

 

Un artiste et citoyen alchimiste des mots et des idées

 

Ces quelques pages et images en noir et blanc qui forment avec beauté cet ouvrage ( Prix Edgar Faure 2010) ne parleront sans doute pas à tout le monde. Car certains n'aiment pas les belles paroles, ils leur préfèrent les actes. Mais ce sont les mots qui mènent aux actes rappelle Abd Al Malik, ce sont eux qui préparent nos âmes à l'acceptation d'autrui, à la compréhension d'une situation inexplicable. Une situation qui, sous la plume visionnaire et paisible d'Abd Al Malik, s'illumine, devient accessible à quiconque aura la volonté de prendre le temps de s'agripper à ces petites choses de la vie réelle, ces paroles, ces gestes, ces actes qui marginalisent la banlieue.

 

Dans La Guerre des banlieues n'aura pas lieu, Abd Al Malik ne critique pas son pays nourricier, il le met face à ses erreurs, à ses incompréhensions. Il lui prône un autre discours, loin des interventions choc de nos politiques, loin de nos reportages stéréotypés sur la banlieue, loin de nos yeux aveugles et de nos mémoires courtes, Abd Al Malik le citoyen propose : « S'arrêter un instant, s'asseoir sereinement sous l'arbre à parole. Écouter donc et prendre de la distance tout en étant là, tout en restant là. De la tenue... intellectuelle, de la retenue... émotionnelle. Et témoigner, partager, s'apaiser les uns les autres, apaiser les uns et les autres ».

 

Le mot prétentieux de l'éditeur le compare à Aimé Césaire, au « travailleur de la poésie » qu'était Rimbaud et même à Martin Luther King. Le livre bouclé on repense à ces trois grands hommes, alchimistes des mots et des idées travaillant par leurs arts à rendre cette Humanité meilleure. Dans la grisaille de la banlieue, Abd Al Malik ose rêver, s'efforce à interpeller nos fragiles consciences et rejoint de ce fait ces grands hommes de l'Histoire commune de notre Humanité. Comme tous ces disques, ce petit livre précieux bouleversera le peu de coeur qui nous reste à vivre dans ce beau pays qui était le notre. Pays qui a oublié qu'au commencement était la fraternité .

 

La Guerre des banlieues n'aura pas lieu d'Abd AL Malik (Le Cherche Midi)

Tag(s) : #Littérature
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