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Que peut-on espérer d'un film qui s'intitule L'Homme qui voulait vivre sa vie ? Tout et pas grand chose à vrai dire. Tout, car nous sommes tous des hommes désireux de vivre « notre » vie. Pas grand chose enfin, car nous sommes tous des hommes incapables de passer l'étape, de vivre cette vie. Heureusement Romain Duris est là pour faire passer l'étape du « pas grand chose » en « tout » ébouriffant.

 

L'Homme qui voulait vivre sa vie débute ( comme bons nombres de films français ) dans un univers bourgeois. D'emblée ça sent le déjà vu. L'univers met mal à l'aise de suite. Le confort affiché, la belle voiture et les beaux enfants. Le bonheur idéal se révèle en vérité être une jolie prison où chacun se ment à soi-même et aux autres. L’avocat Paul Exben (Romain Duris) vit dans cette prison. Il se l'est construit comme un château fort pour éviter les vraies choses de la vie... telle que vivre sa vie. Paul a des clients riches, des enfants tout droits sortis d'un publicité Ricoré et une femme faussement parfaite et comblée.

 

Duris

Jusqu'ici tout sonne archi-faux. Tout ennui, énerve, insupporte. Tout semble incompréhensible à commencer par ce couple. Ce couple d'acteurs à qui la tenue de bourgeois ne convient vraiment pas. Trop étroite déjà pour Marina Foïs, froide et incalculable dans ce rôle, et encore plus mal taillée pour Romain Duris, cheval fou qui se retrouve coincé dans son costard Armani au prix exorbitant. La première demi-heure ne plait pas. Même une apparition de Catherine Deneuve ne suffit pas à relever le niveau, à nous réenchanter. Seule une petite scène tordante dans une baignoire entre le père (Duris) et le fils, laissant éclater tous deux leur joie nous en procure un court instant. Mais rien ne vient réellement relever le tableau de cette bourgeoisie friquée, obsédée par son petit confort et son petit nombril. Le début sonne profondément creux et laisse envisager le pire : l'épouse adultère.

Ah l'épouse adultère ! Enfin il était temps. L'amant n'est pas loin, Duris le sait, il le sent, le voisin probablement. Le voisin incarne son contraire : photographe, vivant difficilement de sa passion, cynique, prétentieux mais vivant « sa vie ». À cet instant, le film va basculer dans quelque chose de plus sombre encore que la bourgeoisie et ses problèmes minables de couple. Virant à l'extrême, dans un premier temps au thriller pour rejoindre ensuite un road-trip sombre, L'Homme qui voulait vivre sa vie prend enfin de l'envergure au bout de sa première demi-heure. Il était grand temps !

Le réalisateur Eric Lartigau, spécialiste de comédies françaises plus que réussies (Mais qui a tué Pamela Rose ? et l'attanchant Prête-moi ta main) a changé de registre en acceptant la réalisation de ce road-trip-existentiel-thriller. Excepté quelques couacs, quelques faignantises un brin agaçantes (ah les ellipses surplombantes !) le voilà qui change aujourd'hui de registre avec brio. Le voilà en effet aux commandes d'un tout nouveau film : L'homme qui voulait vivre sa vie. Attachant bateau ivre où la quête de son identité, de son moi intérieur et extérieur est une quête perpétuelle. Flânant à volonté entre la critique bourgeoise (profondément raté), le drame (captivant), le thriller (intriguant) et l'étude psychologique (passionnante) L'Homme qui voulait vivre secoue son sujet, un Romain Duris époustouflant de transformations physique et psychologique, ainsi que son destinataire, des spectateurs coincés dans leur fauteuil rouge, forcés de constater que vivre sa vie n'est pas une mince affaire.

 

Duris2

 

Adapté d'un best-seller de Douglas Kennedy, L'Homme qui voulait vivre sa vie aurait pu être très mauvais. Il a préféré être très bon et ce, grâce à l'immensité de son interprète principal : Romain Duris. Un Romain Duris certainement plus performant que jamais (et Dieu sait qu'il l'a toujours été). Par la force de ses talents physique et psychologique, Duris surpasse les identités, se jette à corps perdu dans des costumes qui ne lui correspondent pas. Une fois celui de bourgeois triste enlevé, il se donne sans demi-mesure à ce rôle de photographe improvisé et passionné. Et quand le scénario se moque légèrement de son spectateur en filmant ce photographe photographiant tout et n'importe quoi (surtout n'importe quoi), Duris relève le niveau, rend l'acte véritable, plus vrai que nature. Plus qu'un bon moment, la réalisation de Lartigau signe également la performance d'un grand acteur. Un acteur de l'intensité capable de transformer le mari idéal de l'imaginaire collectif en aventurier ébouriffé et romanesque.

 

Ah l'aventurier à la Into the Wild ! S'arracher de ce bas-monde pour vivre sa vie. Le road-trip existentiel fait rêver. Il parle à tout le monde et en même temps il murmure à chacun des choses singulières. Ma vie est-elle vraiment « ma » vie ? N'est-elle pas celle des autres ? Suis-je vraiment ce que mon moi intérieur voudrait ce que je sois ? Parce qu'il surfe sur des doutes existentiels, qui sont nos doutes à tous au quotidien, cet homme et son aventure de dingue, qui le mènera à partir photographier des visages dans un vague pays de l'est, nous parlera inévitablement. Il nous parlera, par son minimalisme de dialogues et par son amour d'un visage sur le chemin de la métamorphose intérieure, de cette fâcheuse identité qui est la nôtre et qui cessera au grand jamais de nous poursuivre. Cette identité vertigineuse, cauchemardesque la plupart du temps, sur laquelle Romain Duris prend enfin le temps de s'épancher, de quitter... ou de changer. Et même si la cause de ce changement, de cette rupture fatale est ultra-mauvaise (le mari tue l'amant et s'empare de son identité, on a vu mieux comme cause de prise de conscience), Romain Duris par la force de son jeu la rend belle et efficace. Lui qui vivait à côté de sa vie, lui qui faisait semblant, lui qui devait se faire au terme auquel chacun se fait « renoncer » a enfin décidé de ne plus renoncer, de vivre sa vie et de ne plus faire semblant. Au risque de ne plus jamais revoir les siens, au risque de frôler à chaque instant les dangers, au risque d'être plus ou moins heureux, ce personnage a le courage de se réinventer ailleurs, de prendre la fuite et de rencontrer ce moi intérieur si dur à rencontrer et à comprendre. Et parce qu'il a eu ce courage on l'aime démesurément cet Homme qui voulait vivre sa vie.

 

Bande-annonce de L'Homme qui voulait vivre sa vie

Tag(s) : #Cinéma
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