Ce qui suit risque d'être légèrement glauque. Et en même temps pourquoi qualifier ça de glauque? Je me le demande bien. Y'a rien de plus naturel finalement que la mort. Ce qui est carrément moins naturel pour moi, c'est de mettre sentie bien en sa compagnie. Parmi ces morts illustres et anonymes enfermés à jamais au paradis des 43 hectares du Père Lachaise.
J'avoue aujourd'hui. Un petit cas de conscience me gagne. Pour la Toussaint, je ne suis pas allée voir " mes " morts avec des chrysanthèmes dans les bras. Je suis allée visiter des illustres inconnus accompagné de mon fidèle capteur d'instants. À bien y réfléchir, c'est une situation assez étrange que celle de se balader de tombe en tombe avec son appareil photo et de répéter à tout va : « Comme c'est beau ! » avec les yeux d'une personne qui gagne les sphères très prisées du paradis (bien que je ne crois pas du tout, mais vraiment pas du tout à toutes ces sottises ! ). Certainement l'image de jeunes gens, gambadant avec fougue de tombe en tombe à la recherche de leur DiDith nationale pouvait paraître déplacée aux yeux de ceux qui étaient venu fleurir la tombe d'un être cher et perdu à jamais. Mais il faut avoir vu ce Père Lachaise pour comprendre l'étonnante beauté de son lieu, saisir l'atmosphère magique qui se dégage de ces siècles passés renfermés dans ces vieilles pierres qui grignotent peu à peu la nature.
Nos cimetières sont des endroits prisonniers de leur tristesse où la douleur est gravée pour toujours dans le marbre. À leur entrée, d'office on accepte d'afficher nos visages saccagés par la douleur et les larmes qui vont avec. Vous avez déjà vu quelqu'un rire dans un cimetière ? Non, jamais. Ou alors par compassion, un simple sourire esquivé pour dire que la vie continue. Mais un sourire franc, heureux d'être dans ce lieu qui fait partie de la vie, jamais vous n'en verrez entre ces tombes glaçantes. C'est certainement le lieu le plus triste qui soit un cimetière. On y accompagne des gens qu'on aime voir d'autres gens qu'on aime et que cette salope de vie a emporté à jamais. Y'a rien de plus glauque, moi je vous le dis, que cette parcelle de terre qui rassemble des gens qui ne se connaissent pas et séparent ceux qui s'aiment.
Cette parcelle sur laquelle nous rechignons
tous à nous agenouiller, le Père Lachaise semble s'être refuser à en tenir le rôle. Lieu de repos bien plus que lieu de recueillement, ce cimetière, dans la beauté automnale d'une belle fin
d'octobre, ressemblait étrangement à un parc bien plus qu'à un cimetière. Des gens y lisaient, d'autres s'y baladaient, certains venaient s'y recueillir pendant que d'autres observaient la
plénitude dégagée par ces montagnes de pierres aux valeurs inestimables. Il faut voir Le Père Lachaise pour en saisir toute l'importance. L'importance d'un lieu qui a traversé les siècles et ses
aléas. L'importance d'un lieu où sont enterrés les grands hommes qui ont marqué ces siècles mêmes. Dans la bouche du charmant petit monstre qu'était Françoise Sagan, la mort trouvait une bien
juste définition, elle y était « triste mais nécessaire ». Cette visite du Père Lachaise fut tout sauf triste mais elle fut bien nécessaire. Nécessaire de poser des regards admiratifs
et aimants sur ces blocs de pierres recouvrant à jamais des hommes et des femmes que l'on a aimé sans avoir eu la véritable chance de les connaître eux et leurs époques respectives. Eux qui nous
on construit par une lecture, une chanson, un film ou une anecdote familiale. Eux envers qui nous serons éternellement reconnaissants.