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Attention la pétasse (de féministe ou de service ) est de sortie. Figurez-vous que la pétasse lit un peu, beaucoup, à la folie. Des lectures qui la poussent souvent à la folie justement. La folie dont la couverture disait « Pour bien faire les choses, on devrait commencer par divorcer ». C'était The coup de foudre littéraire. Ni une, ni deux Eliette Abécassis et son Affaire Conjugale passaient à la caisse... avant de passer à la phase dissection dans mon modeste cerveau.

 

Il y a des coups de cœur littéraires comme il y a des coups de cœur sentimentaux ou amicaux. Et la particularité de cette chose étrange que l'on prénomme « coup de cœur » c'est que cela ne s'explique pas. Car le coup de cœur est inné, incroyablement viscéral. Il débarque comme si de rien n'était, au détour d'une rue, d'une étagère de librairie et provoque l'évidence, celle-là même qui vous plonge dans l'incapacité d'expliquer le « pourquoi » de cet amour soudain.

 

Préambule sexiste

 

Pas de panique, je vais quand même essayer de trouver les mots pour vous donner l'envie d'aller jusqu'à ceux d'Eliette Abécassis. Mais avant l'argumentaire, un petit préambule s'impose. Une Affaire Conjugale conte l'histoire d'un amour blessé, d'une lente descente aux enfers amorcée par un doux mariage idyllique. Mais la vérité du couple est loin d'être idyllique dans la société moderne. Ce qui s'annonce dans les pages de ce roman ultra-personnel d'Eliette Abécassis c'est la confrontation brutale au réel. « L'amour, la famille, l'amitié : des illusions d'optiques, des légendes urbaines » lâche son héroïne lâchée par tous dans sa sombre affaire de divorce. L'histoire qui suit ne sera pas la même pour tous, selon le vécu des unes ou celui des autres. L'histoire qui suit ne sera pas la même pour tous non plus si on est un lecteur ou une lectrice. Bien que je n'approuve pas les théories fumeuses du sexisme, il est sûr à mes yeux que ce livre séduira bien plus les demoiselles et les dames que la gent masculine. Peut-être même qu'il servira à les laisser mijoter tranquillement des décennies entières chacun dans leur camp. D'un côté les lâches, menteurs et égoïstes. De l'autre les mères la Bravoure, épouses dévouées et sacrifiées sur l'autel de la société. C'est dégueulasse ce que (je) raconte Eliette Abécassis. Pourtant, avec un brin de sincérité, un zeste d'observation admettez que l'histoire que je tiens entre les mains est la votre, ou celle de votre sœur, mère, meilleure amie ou collègue de bureau. L'histoire de la femme depuis des siècles. Telle est l'histoire d'Eliette Abécassis.

 

Pourquoi la femme est-elle l'Autre ?

 

ElietteAbecassisLe pitch ? Agathe le fait elle-même. Elle est la narratrice-héroïne de ce récit bien ficelé, derrière laquelle on sent émerger la figure omniprésente de l'auteure. « Telle était l'histoire, explique t-elle. Si je devais en faire le pitch, je dirais ceci : j'ai rencontré un homme, je suis tombée amoureuse de lui, nous nous sommes mariés, nous avons eu deux enfants. Aujourd’hui cet homme est devenu mon pire ennemi ». Disproportionné ? Pensez-vous, la radicalité du terme « ennemi » n'est rien comparé au comportement belligérant de ce maudit mâle de la première page à la dernière. Agathe n'a pas épousé un monstre. Non, elle a épousé un idéal de société. Elle a embrassé l'idée qu'on lui a mis dans la tête dès sa plus tendre enfance. Idée transmise, abreuvée par les lectures d'une maman bienveillante qui racontait des contes de princesse à sa douce enfant au lieu de lui lire du Simone de Beauvoir. Et si le point de départ de cet insupportable équation éternelle : mari = despote, épouse = esclave était l'enfance. L'éducation d'une société reproduisant son cher schéma ancestrale et inégalitaire à l'infini. « Pourquoi la femme est-elle l'Autre ? » demandait Beauvoir dans son Deuxième Sexe. Près d'un demi-siècle plus tard, par le biais d'un roman à l'histoire multi-rabâchée, Eliette Abécassis explique pourquoi la femme se laisse faire « Autre », toute seule comme une grande, depuis la nuit des temps.

 

Eliette Abécassis conte l'histoire, ô combien banale d'une rupture. Une rupture fatale dont le divorce est le point final pour Agathe et son mari Jérôme. Mais pour arriver à cette tragédie des temps modernes, il faut des preuves, des anecdotes vues et revues. Tout commence dans le bureau de Jérôme, à une heure tardive. Agathe y entre par effraction, y renifle une odeur de cendres froides, d'alcool, de haschisch et surtout « un air de fin du monde ». La fin de son couple est à portée du regard, sur l'ordinateur de ce mari fuyant, sur la page Facebook de celui-ci sur laquelle elle découvre la triste réalité et saccage dix ans de sa vie en quelques clics. « L'amour est fragile. Avec l'ère technologique, il est devenu impossible. Le portable, les ordinateurs et toutes les mutations de notre époque, Internet, Facebook, les sites de rencontres ont saccagé ses derniers vestiges en dévoilant ce qui constitue, sinon son essence, du moins le garant de sa pérennité : le mensonge ». D'une éternité de mensonges, Agathe se réveille par l'horreur dans laquelle sa créatrice, la romancière et féministe Eliette Abécassis la plonge. Un cauchemar éveillé dans lequel elle va devenir « adulte » et goûter au fruit défendu : celui de la connaissance. La connaissance de sa condition de femme. Blessée dans son orgueil, ses rêves d'enfant brisés, Agathe a fait cette nuit-là la découverte de trop : son mari la trompe avec une inconnue, sur le canapé du salon familial, dans des positions peu familières et s'en vante ouvertement sur la Toile. La procédure de divorce est lancée, la guerre des Roses version bobos parisiens aussi, la plume incisive d'Eliette Abécassis peut s'en donner à coeur joie.

 

Roman à double-tranchant, dramatique et salvateur, Une Affaire Conjugale n'est pas une simple affaire de couple comme il en déborde des librairies et des tribunaux ces dernières années. C'est une affaire de l'humanité. Derrière cette séparation se dissimule « le mal du siècle » qui perdure depuis des siècles. Mensonges et trahisons voilà ce qui scellent le mariage depuis des lustres. « L'histoire naturelle du mariage : un fil droit tendu entre la Mairie, la Maternité et le Tribunal » se vante Agathe, cynique et heureuse d'avoir enfin compris qu'il s'agit « plus d'une histoire de bâtiments que de sentiments » On a beau prêter serment de fidélité et plus si affinités devant Monsieur le maire ou Monsieur le curé, le résultat est loin d'être fidèle à la tradition. Ainsi Eliette Abécassis décide d'aborder ce sujet en or d'une manière à la fois intrigante et fascinante. Agathe l'héroïne a été piégée dans le cercle infernale du mariage, Eliette Abécassis par sa plume lucide tente de la tirer d'affaire. Pendant ce temps-là, la lectrice participe à l'affaire, en découvrant les preuves et les affronts faits à la femme, en même temps que l'héroïne-narratrice aperçoit enfin le véritable visage de l'homme qu'elle a épousé. Inévitablement, le lien se crée sans difficultés entre elles deux. Souvent, entres copines ou dans les magazines féminins, on appelle ça « la solidarité féminine ». Or ici, Eliette Abéassis manie tellement bien les mots et les actions, qu'elle pointe une nouvelle forme de solidarité féminine. Ainsi le récit de cette descente aux enfers se transforme non pas en thérapie féminine mais en compréhension du sexe féminin. Une nuance s'impose au fil des pages.

 

Consciente qu'elle entre dans une guerre atroce, celle du divorce, Agathe cumule les preuves avec des manières plus ou moins honnêtes. La séparation déchaîne les pires instincts chez le mari... comme chez l'épouse. Elle fouille, espionne à toute heure de la journée. Lui fait de même. Il fait même pire dans l'unique but de coincer sa femme dans ses pires retranchements typiquement féminins à ses yeux. Il la traite régulièrement « d'hystérique » et se sert de ses épouvantables « colères » pour effrayer leurs enfants. Le divorce apparaît alors comme parcours du combattant, sans compromis où les beaux rôles n'existent pas. L'homme est infect et odieux (parfois trop sous la plume de l'écrivaine). La femme, quant à elle, est hystérique et dépressive. Qui a tord, qui a raison ? La question se profile au fil des pages, au fil de la montée en puissance des sentiments de ce couple en déliquescence, prêt à tout au fil de la procédure pour avoir la garde des enfants. « J'ai l'impression d'avoir posé un revolver sur la tempe de mes fils pour leur faire exploser le cerveau » lâche Agathe au bord du précipice lorsqu'elle annonce à ses jumeaux que « papa et maman » se séparent mais qu'ils ne se séparent pas d'eux. Mais pas une seule seconde en ces dix ans de vie commune, elle n'a réalisé que le revolver posé sur sa tempe à elle, sa tempe de femme, est justement ce mariage. Ce flingue dans les mains d'une société consensuelle écrasée sur la tempe de toutes les femmes depuis des siècles.

 

La Liberté n'est pas femme

 

L'amour rend aveugle comme le répète si bien Agathe. Aveugle et bête. Si bête, qu'une fois qu'il s'est enfuit il ruine l'âme abandonnée dans tous les sens du terme. Agathe incarne l'âme ruinée et brisée par tous : par un mari volage et violent, par un entourage soudainement distant face au cauchemar du divorce et surtout face au système. Un système que le style lucide et ironique d'Eliette Abécassis met à jour, grâce à la fougue verbale de son héroïne qui commente chaque désillusion avec un sens ravissant du cynisme et de l'ironie. Sa fougue est habitée par la douleur irréversible de cette confrontation soudaine à la réalité : cette vie là elle l'a voulu d'elle-même. Elle a foncé droit dans le mur comme des générations entières. Dans un très beau passage situé à la fin du roman, lorsque Agathe est enfin soulagée du poids de son combat, elle aperçoit la Statue de la liberté sur l'Île des cygnes et confie à ses lecteurs sa pensée sur cette femme de pierre si célèbre : « Dans sa main gauche, elle arbore une tablette qui représente la Loi : imposante et triomphante. Plus jeune j'imaginais que sa tablette était celle du mariage. Que c'était lui l'instrument de la Liberté. J'ignorais que la Liberté n'était pas femme. Que le mariage, le couple, les enfants, le temps, la vie et maintenant Internet sont d'autant d'objets de servitudes, qui ont tôt fait de lui enlever ses illusions. ».

 

L'histoire d'Agathe de ses tromperies et désillusions a beau être une histoire sur la rupture, elle est loin d'être comme toutes les histoires de rupture. Elle surpasse les autres par sa sincérité sans crainte des représailles. Les représailles étant les attaques un peu faciles contre ce roman de femme pour les femmes qui ne ferait pourtant aucun mal aux hommes. L'homme du roman est certainement trop menteur, trop hostile, trop calculateur, trop malsain, trop prétentieux, trop pervers, souvent trop odieux. La fin du roman est dans les mains de la femme héroïne. Une fin trop facile, trop vendeuse, trop vengeresse, trop basse mais tellement libératrice. Malgré toute ces imperfections liées à l'affolante caricature des relations homme-femme, l'histoire fonctionne, elle carbure à toute vitesse, parce que son récit et sa force évocatrice crachent mots et douleurs à chaque nouvelle page. Parce qu'il n'est jamais question de compassion pour l'un ou pour l'autre sexe, mais de compréhension de l'un et de l'autre. La compréhension du pire, la compréhension de l'aveu apocalyptique d'Agathe : « Je me suis trompée ». « Le pire c'est de comprendre à quel point on s'est trompé et pendant combien de temps. Le pire c'est de savoir que l'on vit dans un système inhumain et mensonger, que la réalité n'est pas ce que l'on croyait » explique la voix désœuvrée d'Agathe durant son divorce. La grande force de ce roman ne résiderait-elle pas dans ce point précis ? Arriver à faire entendre les voix des personnages ? Entendre des voix, des mots, des douleurs déjà entendus au hasard d'une conversation quotidienne. Bafouée et rabaissée, Agathe s'interroge à haute voix durant tout le roman et durant tout le récit de son divorce elle interroge ses témoins : nous, lectrices.

 

Avec elle, nous sommes témoins de la dévastation d'un monde et de ses idéaux. Il n'y a pas d'amour heureux écrivait Louis Aragon. Il n'y a pas de mariage heureux, non plus, semble nous écrire Eliette Abécassis par cette bouleversante réflexion sur l'amour, le divorce et la condition des femmes que forme son impeccable Affaire Conjugale. Une affaire loin d'être simple où elle injecte un brin de féminisme grandement utile à l'art du roman et à la décennie présente. Agathe, l'épouse tendre, la femme trompée a avant tout été trompée par elle-même. Car avant que son mari la trompe, elle s'était trompée de A à Z. Trompée d'homme, de décennie, de siècle, de vie surtout. Elle s'était laissée trompée par l'infâme société qui la désirait femme épouse, femme dévouée, femme trompée. « Sa vie est un étrange et dangereux divorce » écrivait le poète qui a toujours raison.

 

Une Affaire Conjugale d'Eliette Abecassis (Albin Michel)

 

Le petit air qui s'impose :

 

 

Tag(s) : #Littérature
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