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« M'accordez-vous cette petite danse ? » semble demander le corps frêle, mais non moins charismatique de Natalie Portman dès l'ouverture époustouflante de Black Swan, le dernier film de Darren Aronofski. Par fidélité, à la « désarmante » Natalie Portman, on accepte cette danse vacillante sans hésiter à se laisser aller (ou martyriser) par ce que certains nomment déjà le chef-d'œuvre de l'année 2011. Est-ce par pur esprit de contradiction que ce soi-disant « chef-d'œuvre » ne nous a, hélas, point charmé comme il le promettait ?

 

Le programme était pourtant séduisant. Une petite excursion au New York City Ballet pour suivre les aventures fantastiques de Nina (Natalie Portman), danseuse émérite qui décroche enfin le rôle de sa vie, celui du Lac des cygnes. La jeune fille est comblée, son chorégraphe français (Vincent Cassel) un peu moins. Impitoyable, il n'hésite pas à lui expliquer combien elle est parfaite en cygne blanc, par la grâce de sa naïveté enfantine et sa pureté, mais qu'elle est par contre bien trop sage et lisse pour incarner le cygne noir. Il la questionne alors sur sa sensualité, sa sexualité et plus si affinités. Nina, choquée et intriguée par ce cygne noir qu'elle doit interpréter, va se perdre dans les méandres de la noirceur de son rôle. Lorsque la silhouette d'une nouvelle ballerine prénommée Lilly (Mila Kunis) déboule sur les miroirs angoissants du New York City Ballet, elle se sent étrangement menacée autant qu'excitée...Entre quelques pointes et exercices à la barre, Nina frôlera la violence, la schizophrénie, le sexe masculin et féminin, une petite pilule aux effets ravageurs avant de sombrer définitivement dans la folie.

 

BlackSwan2

 

Black Swan est un film sur le fil. Sans cesse en équilibre sur la frontière fébrile qui sépare le pur du vice et le bien du mal. Nina, sa pâleur cadavérique, ses cheveux tirés, sa maigreur enfantine représente le bien mais doit se fondre dans les catacombes du mal par le rôle du cygne noir. Elle doit y embrasser la noirceur, l'érotisme et la dépravation si chers à son chorégraphe français. Un Vincent Cassel parfait, qui s'en donne à cœur joie avec ce rôle libidineux. Face à lui, Natalie Portman trouve le rôle de sa vie, et certainement (on l'espère) l'Oscar de sa jolie carrière. Une récompense en tant que meilleure actrice serait amplement méritée pour la ravissante trentenaire qui s'est crevée à la tâche en enfilant le douloureux costume de danseuse étoile... mais également de cinglée affolante.

 

Si Natalie Portman mérite son Oscar, Black Swan en mérite t-il tout autant ? Là est toute la question. Film macabre sur un univers impitoyable, le monde de la danse, Black Swan a poussé Aronofsky dans un délire souvent captivant, presque dérangeant mais indéniablement lassant de manipulations faciles. Sur les fauteuils rouges de la salle de cinéma, ça sursaute à la moindre angoisse de l'héroïne, ça se cache les yeux face au moindre élan de scarification de l'héroïne et ça demeure complètement confus face à ses divagations sexuelles. Parfois fantastique, souvent outrancier, Black Swan empreinte au Polanski des débuts (Répulsion) : plaisir étrange qui dérange. Toutefois sa maîtrise quasi-parfaite de la folie agace assez vite. Le visage de Nina exprime sans cesse le tourment d'être surveillée et menacée par une rivale. Toujours de dos, constamment en proie à des visions inquiétantes, sans cesse face à des jeux de miroir, sans oublier cette respiration omniprésente venue de Nina ou de son double psychologique, l'héroïne déraille et Aronofsky prend plaisir à ses propres délires créatifs. Les symptômes du trouble dont elle est victime sont si évidents qu'ils en deviennent agaçants : paranoïa, scarification, sadomasochisme, haine de la mère dévouée et crainte affirmée du phallus. Tous ces tourments inquiétants donnent une image peu glorieuse de la femme, une image qui se répercute fatalement dans tous les seconds rôles féminins. Ainsi la galerie de figures féminines se transforme en galerie des monstres chez Aronofsky d'où ces quelques réserves à l'égard de son soi-disant chef-d'œuvre.

 

BlackSwan1

La troublante Nina est entourée de nanas toutes plus cinglées les unes que les autres. Il y a d'abord Erica la mère de Nina (Barbara Hershey). Ancienne danseuse étoile, mère poule et sacrifiée, qui a dû abandonner ses ballerines pour sa fifille adorée autant qu'enviée. Arrive ensuite Beth (Winona Ryder), l'ombre du Ballet, la danseuse étoile déchue, figure annonciatrice du futur tragique de Nina : tôt ou tard une plus jeune, plus douée, plus séduisante nymphette en tutu te volera ta place d'étoile. La petite voleuse justement pourrait être Lilly (Mila Kunis, impeccable dans son rôle de bombe sexuelle à retardement). Rivale sans contrefaçon : tatouée, chevelure de tigresse, bouche pulpeuse et formes avantageuses. Exacte opposée de Nina dans laquelle notre héroïne va vouloir se fondre. Tout ce beau petit monde représente un monde impitoyable où il n'est question que de soif de reconnaissance et de jeunesse éternelle. Ainsi l'univers de la danse se calque sur celui du cinéma. Là encore Aronofsky maîtrise intelligemment son art puisque chaque femme déchue est représentée par une ex-étoile d'Hollywood (Winona Ryder et Barbara Hershey). Face à elles deux, des starlettes d'aujourd'hui (Natalie Portman et Mila Kunis). Aussi Aronofsky dénonce une réalité en même temps qu'il y participe et en cela son propos paraît soudainement gênant. Cassel a le beau rôle de mâle sûr de lui, de sa séduction tyrannique et en profite pour dominer les femmes qui l'entourent. Chaque femme de l'échiquier que représente le monde de la danse classique est attirée par son titre de chorégraphe prestigieux comme par son élégance ahurissante. Aussi chacune va sombrer (pour lui ?) dans les méandres du mal : l'égoïsme pour la mère, l'alcoolisme pour la danseuse déchue et la paranoïa pour la jeune étoile Nina.

 

La femme n'est point attirante chez Aronofsky. Elle est repoussante parce que sadisée au plus haut point (Lilly caressant un danseur en coulisses !) et ridiculisée (Nina et sa hantise effarante du sexe !). Du bout de sa caméra le cinéaste pointe du doigt ces horreurs, ces clichés qui au final ne produisent que du cliché. Ainsi, le spectateur se retrouve pris au piège de cette réalité hallucinante, dont la maîtrise parfaite manque cruellement d'abandon total. Natalie Portman s'applique à souffrir à la perfection, Aronofsky s'applique à déranger, à manipuler, et le spectateur sursaute ou s'angoisse d'un rien. Chacun reste ancré dans le rôle qui lui a été confié, et personne ne cherche véritablement à comprendre le pourquoi du comment. Ainsi la fin est connu de tous, dès les premiers pas de danse de Nina. Voilà ce qui laisse un arrière goût amer à cette belle composition qui a le goût de l'excès mais certainement pas de l'excès maitrisé.

 

 


Black Swan de Darren Aronofsky Bande-annonce
Tag(s) : #Cinéma
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