Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Duras Song. Existait-il meilleure titre pour baptiser une exposition sur Marguerite Duras que cet écho à la chanson chantée par Jeanne Moreau dans un des films de l'auteure ? La bibliothèque du Centre Pompidou accueille  cette exposition pour célébrer le centenaire de la naissance de l'écrivaine française. Elle nous parle de ce nom inoubliable, de ses amours politiques, humains et littéraires. D'une terre lointaine, l'Indochine française. Ou serait-ce cette histoire du XX ème siècle, maintenant disparue ? Duras song nous entraîne sur les plages de la belle Trouville-sur-mer autant qu'elle nous balade sur les rives du Delta du Mékong. Elle tente de tout nous dire de cette petite grand-mère dans sa maison de Normandie, de cette petite fille aux envies rebelles en pleine Indochine Française. Sujet inépuisable et indocile que cette regrettée Marguerite Duras.

Duras Song

Au loin d'abord, il y a un grand mur imbibé d'encre bleu. Outside. Derrière ce mur, entre quatre murs, il y a cette voix reconnaissable entre mille qui surgit. Inside. Elle nous appelle de l'au-delà. Elle nous est chère, cette voix du siècle passé. Alors au lieu de commencer par la première étape, une chronologie de sa vie et de son œuvre parsemée sur les murs outside, on se réfugie dans cet espace aux lumières tamisées. A droite, une immense vitrine accueille les 84 pages du manuscrit d'India Song. LoL V Stein n'est pas loin non plus. Hiroshima. Le Vice-Consul. Partout les lettres amples de l'écrivaine hantent l'espace. Les ratures, les corrections au feutre invitent à l'admiration. A la mélancolie aussi un peu. Aujourd'hui, une seule touche suffit à effacer nos erreurs. Surgit alors la voix de Duras invitée de Pivot à Apostrophes, on prend le temps de s’asseoir sur un tabouret rouge. On n'en finira plus de se tourner et de se retourner dans tous les sens sur ce tabouret. Comme assaillit de tous les côtés par les mots de Duras, sa créativité, sa pluralité. Des rayons de lumière guident notre regard sur un mur ou un autre. Un extrait de documentaire. Le visage de Yann Andréa. Un extrait de film. Le visage de Depardieu. De Delphine Seyrig. Un extrait de citation. Les mots de Duras encore. « Le cinéma que je fais, je le fais au même endroit que mes livres. C'est ce que j'appelle l'endroit de la passion. Là où on est sourd et aveugle ». Cet endroit nous plaît. Ce refuge dans l'âme durassienne, bercée par l'encre bleu de sa plume et le bleu de ses vagues intérieures, est d'un confort follement rassurant a qui chérit son œuvre hantée par des sujets inconfortables.

"Pour moi, la perte politique est avant tout la perte de soi, de sa colère autant que de sa colère, de sa haine autant que de sa faculté à aimer"

Mais il faut ressortir. Refranchir le mur. Symbole, lui aussi, de toute l’œuvre de Duras. Outside. Il est tapissé de ses livres cultes (dont celui qu'elle prit soin de rayer de sa bibliographie, jugé pas assez raccord avec le reste : L'Empire Français). De ses manifestes qu'elle signa (343 salopes en tête). De ses articles signés de sa main de journaliste (ses reportages dans Libé sur l'affaire Villemin). D'extraits de documentaires, notamment un filmé en plein mai 68 où elle interroge un jeune étudiant, un certain Romain Goupil. Des photos de « la reine de la ruche » dans la force de l'âge, menant à la baguette son monde au 5 rue Saint-Benoit. Car si Duras est une individualité forte, tourmentée par ce qu'elle doit écrire, décrire et « détruire » dit-elle à tout prix, elle connut la « passion groupée », la cause commune coûte que coûte. Reproduit un temps le schéma Jules et Jim, une femme deux hommes (avec Robert Antelme et Dionys Mascolo). Se lia à toutes les grandes causes du XX ème. Le combat contre l'Algérie Française. Le soutien acharné à Mai 68. L'affect indéfectible au communisme en tête. Si son adhésion au PC ne durera qu'un temps, stalinisme oblige, en ce temps-là, ses compagnons d'idéologie la surnommait avec bienveillance la tchékyste (en clin d’œil à cette police qui combattait les ennemis du régime bolchevique après 1917). Celle pour qui « faire de la politique c'était ne plus subir le monde » était de tous les combats, comme on dit pour être un brin pompeux. L'exposition expose peu les ombres de la Duras, notamment son passage éphémère au Ministère des Colonies ou l'affaire Delval, agent de la Gestapo avec qui elle entretenu une relation ambiguë. Ses ombres sont pourtant des aides pour saisir l'immensité de son œuvre, sa pensée toujours en mouvement se réveillant à temps, évoluant avec son temps. Avec elle, c'est tout le siècle qui défile, ses grandeurs et ses bassesses. C'est l'horreur de ce siècle qui a obligé ce petit bout de femme à être une figure belliqueuse un brin prétentieuse. Une écrivaine inoubliablement entêtée et habitée. « Pour beaucoup de gens la véritable perte du sens politique c’est de rejoindre une formation de parti, subir sa règle, sa loi. Pour moi la perte politique c’est avant tout la perte de soi, la perte de sa colère autant que celle de sa douceur, la perte de sa haine autant que de sa faculté d'aimer, la perte de son imprudence autant que celle de sa modération, la perte d’un excès autant que la perte d’une mesure, la perte de ses pleurs comme celle de sa joie. C’est ce que je pense moi »  écrivait-elle au siècle dernier, cela devrait bien encore nous servir pour le temps présent...

 

>> Duras Song, portrait d'une écriture jusqu'au 12 janvier 2015 Espace presse BPI du centre Pompidou

Tag(s) : #Duras Song, #Marguerite Duras, #Centre Pompidou, #Exposition, #India Song, #Jeanne Moreau, #Chroniques de l'asphalte
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :