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(Mommy par ci. Dolan par là. Difficile d'échapper au phénomène jeune génie québécois ces temps-ci, arrivé ex aequo avec un vieux génie suisse à Cannes pour le prix du jury. Entre Dolan et Godard, grosso modo 70 ans d'écart, deux cinémas incomparables et pourtant une certaine idée du Septième Art. L'idée ? Lui déclarer sa flamme à grand coup de films bourrés de références (la pop culture pour le jeunot tête à claques, la peinture, la littérature et le cinéma pour l'ancêtre de la Nouvelle Vague). Le tout en le brutalisant pour lui insuffler un nouveau tempérament.  A Cannes, l'un disait bonjour au langage, l'autre adieu. L'un réalise le meilleur démarrage en salles françaises pour un film québécois, l'autre continue à rassembler sa petite armée de fidèles nostalgiques du God'art. Quand je peine à trouver une place assise dans cette salle pleine à craquer pour la projection de Mommy, le nouveau film de Xavier Dolan, je ne peux m'empêcher de me faire ce petit cinéma dans ma tête à propos de Jean-Luc Godard. L'ancien s'est enfermé dans son statut d'auteur intouchable et hermétique. Le jeunot s'ouvre au plus grand nombre. Réussit le pari de réaliser un film où il est possible de rassembler les foules sans dire adieu à l'exigence du cinéma d'auteur. Point barre. Fermez la parenthèse.)

La Gloire de ma mère

Par où commencer ? Par le début. Une première scène d'ouverture à l'image de tout le film. Une femme au volant. Une chanson à tue-tête dans la voiture. Soudain le choc, l'accident. L'inattendue brutalité de la vie ne cessera de faire irruption dans Mommy, de faire basculer son récit et nos émotions fragiles par la même occasion. Vous êtes prévenu. La Mommy c'est elle, Diane. Anne Derval, déjà mère chez Dolan dans Comment j'ai tué ma mère. La Mommy se refuse au blues. Pourtant, elle aurait de bonnes raisons pour s'y laisser couler. Au tableau des ennuis : la mort du mari, le manque de fric, la collection de petits boulots, la quarantaine au compteur et l'envie d'en paraître vingt de moins avec un look J-Lo époque Get Righ, comprenez abus de bijoux, paillettes, décolletés, so 2000 quoi. Le summum des emmerdes ? Steve, un fils psychologiquement instable, hyperactif, violent, le genre dont la société ne voudra pas. Dont elle, elle voudra coûte que coûte sauver des médecins, de la société qui le met à l'écart et de lui-même. Ce blondinet excelle dans l'art des 400 coups, dans la violence extrême et dans l'amour aussi. Sa gueule d'ange, ses gestes de petit monstre cassent la baraque, au propre comme au figuré. De la tendresse bordel semble hurler ce récit où l'on gueule à tout va dans un argot québécois des plus tordants. Les pires insultes fusent par le cri. Les déclarations d'amour s'égosillent à plein poumon. Comme s'il y avait urgence à se faire entendre dans cette banlieue prolétaire de Montréal. Steve fait grimper le volume de sa chaîne hifi. Diane gueule à travers la cloison. Et de l'autre côté de la rue, une voisine mutique, Kyla, observe de loin. Tôt ou tard, le spectateur le sait, cette dernière va entrer dans le jeu, donner de la voix elle aussi, débarquer et rétablir une once de communication, de bonheur, d'espoir, elle qui est bègue. Ce que le spectateur ignore c'est qu'il vient de prendre un ticket pour les montagnes russes.

Elles débutent avec la rencontre de ces trois-là. Un soir, après un dîner organisé par politesse, ce trio boiteux va goûter au bonheur, tester l'équilibre à trois, dans un cuisine miteuse, autour d'une chanson de la star québécoise par excellence. L'improbable se produit sur « On ne change pas ». Titre prémonitoire de Céline. Xavier Dolan a lancé sa machine infernale. Vous êtes foutu. Et si vous avez grandi dans les années 90, vous passez carrément au stade de condamné. De façon esthétique (et sournoise?) Dolan vous a pris au piège de son cadre (le format resserré 1:1). Comme le québécois outrancier à l'oreille, vous pensiez naïvement qu'il allait être un frein à votre émotivité. Au contraire. Il l’accélère. La fragilise. La multiplie. Si l'effet cadre restreint semble déjà être un aperçu du souvenir à venir qu'on aurait déjà mis sous verre pour évoquer le bon vieux temps évanoui, il matérialise surtout l'isolement de chacun des protagonistes, leur difficulté à faire appel au dehors, un horizon restreint et naturellement cette sensation d'étouffement. Oui, Mommy cause quelques difficultés respiratoires. Incontrôlables comme les crises violentes de Steve, comme les mots peinant à sortir de la bouche de Kyla ou l'exubérance de Diane pour arriver à ses fins. Mais Mommy, accompagné de son trio sous ivresse créatrice du petit génie recharge les batteries, le cœur, les poumons aussi. Généralement dans ces instants-là, Dolan pousse le son à fond et filme son personnage en roue libre. Généralement, ce son est un bon cru des nineties. La musique est « l'âme du film » expliquera le cinéaste. Steve valdinguant, caddie en main, sur le Wonderwall des frères Gallaguer dans les tristes rues de sa banlieue pavillonnaire est l'exemple le plus parlant. L'exemple d'un cinéma exigeant où la fibre naturaliste de Dolan (le quotidien d'une famille en difficultés) s'entrechoque parfaitement avec son obsession pour les envolées lyriques et gracieuses made in USA. Ici la prise d'un selfie, pour conserver le bonheur de l'instant présent, de l'équilibre retrouvé, se transforme en instant précieux, une envolée lyrique, une parenthèse enchantée dans un récit où chacun doit affronter sa vie avec violence. Dans ces instants précis, le cinéma de Dolan devient « bigger than Life » (plus grand que la vie). Prouve combien il n'a pas peur de son sujet, de son ambiance miteuse sur laquelle il dépose un filtre de folle élégance formelle. Pas peur de balader son spectateur sur la dernière ligne droite. De le faire passer par tous les stades, en ayant fait de même avec son trio. La vie, l'amour, les autres, la différence, tous les leitmotivs "dolaniennes" explosent dans ce dernier quart d'heure tourbillon de la vie tonitruant et douloureux. Résumé express et mis en images de son superbe discours cannois, ce « ensemble, nous pourrons changer ce monde qui a besoin d'être changé ». Cette hymne à la mère, à la force de « l'ensemble » de plus de deux heures nous ferait crier des allô maman bobo en pleine séance. Nous ferait illico presto filer dans les jupons de notre mommy à nous pour lâcher des bruyants sanglots. Peut-être les plus bruyants de toute notre histoire de cinéphile.

Tag(s) : #Cinéma, #Mommy, #Xavier Dolan, #Cannes, #Jean-Luc Godard
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