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Vingt-cinq ans après le mythique Moins que zéro, Bret Easton Ellis réactive le spleen engourdi de Clay et de ses comparses sans âmes. Les sales gosses friqués sont devenus des salopards d'adultes désillusionnés. La plume minimaliste de l'écrivain « hype » ne dit rien dans un monde qui en dit certainement trop. Profondément magnétique.

 

SuitesImperialesOn prend les mêmes et on recommence. L'écrivain américain Bret Easton Ellis a cédé à ce grand principe artistique, aux raisons sincères ou monétaires selon les initiateurs. La suite présomptueuse se prénomme Suite(s) Impériale(s). Dans l'une d'elles, Clay (anti)héros emblématique de la lost generation des eighties, s'envoie une minable starlette made in Hollywood, et une rasade de Vodka par la même occasion. La routine en somme. Il y a vingt-cinq ans de cela, le monde entier découvrait l'existence de Clay et de sa bande de privilégiés. Sales gosses si communs de la haute société de la West Coast, drogués au vide existentiel et au spleen cynique, largués par papa et maman dans un monde méprisable : L.A la cruelle, l'aguicheuse qui fait couler à flots alcool, océan de coke et de sexe à la va-vite. Un quart de siècle plus tard, comme dans une chanson de Led Zepplin, Bret Easton Ellis continue de regarder vers l'Ouest, et de ressentir cette chose si étrange que son personnage mythique épinglait dès les premières secondes de Moins que Zéro : « Plus rien ne semble important » .

 

Si plus rien ne semble important pourquoi écrire une suite elle aussi « sans importance » ? C'est la question que l'on se pose dès les premières pages en retrouvant Clay, 25 ans de plus, écrivain et scénariste de retour dans son grand ouest pervers et cruel. Los Angeles, cité des démons illicites. Le décor est friqué, les personnages avec. Blair, Rip, Julian. Ces têtes-là sont connus. Ils appartiennent au microcosme ellisien. Une maussade troupe dépourvue des atouts charmes habituellement réservés aux héros de papier. Chez Ellis, personne n'est un héros, et cela à son importance. Ni compassion, ni comparaison, ni haine pour ces êtres de papier. Autour d'eux, Ellis compose une histoire qui n'en est pas une. On adhère ou pas à cette prose sans vie à la sobriété hallucinante. L'écrivain se contente de rien dans un monde guidé par sa folie des grandeurs. Sa plume hypnotise. Sa narration fait l'effet d'un rail de coke, une ligne sans fin que l'on suit, que l'on doit terminer sans trop savoir ni pourquoi, ni dans quel état. Voilà, Bret Easton Ellis est un écrivain de « l'état ».

 

Ça a beau parler dans une suite du Château Marmont. Baiser ou picoler. Trahir ou épier. Peu importe quand et avec qui, ce qui compte c'est l'état de Clay, l'état du lecteur que Clay/Ellis manipule à l'extrême dans un monde où littérature et cinéma ne sont que trucages. Le héros s'excite d'une starlette, pute à ses heures perdues, et l'écrivain s'excite avec faire mumuse avec les nerfs de son lecteur. Ellis a lâché son grand gamin dans un roman d'Ellroy habité de crimes dégueulasses et gangréné par la prostitution. Le monde est une pute, et Clay se balade en elle, parce qu'il est dingue et froid. L'atmopshère est glaciale, elle semble inspirée d'un dédale lynchien angoissant. Le lecteur observe ce petit monde, cette narration brute, fabuleusement sans consistance, comme s'il regardait un film noir dans une salle sombre de Los Angeles en 1940.

 

Sans espoir, cette Suite(s) Impériale(s) ne dit rien et dit tout. Le lecteur habitué à la morale littéraire fouille, analyse le peu qu'il y a à analyser, et éprouve un manque irrémédiable : Ellis ne dit rien. Astuce infaillible qui au final en raconte un paquet sur notre époque. Le charme se lève enfin. « Ce n'est pas un scénario. Tout ne va pas s'emboîter. Tout ne va pas se résoudre au troisième acte », Ellis parle à Clay et à ses lecteurs désenchantés par la même occasion. Un salaud, une ville cauchemardesque peuplée de monstres bien humains, un récit anodin et comme à son habitude un envoûtement dévastateur. Le mystère de la vie est intacte. L'histoire de l'humanité préservée : sexe, argent et pouvoir. « Je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens » seront les derniers mots de Clay, des mots infiniment partagés après une telle lecture.

 

Suite(s) Impériale(s) de Bret Easton Ellis (Robert Laffont)

Tag(s) : #Littérature
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