Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Certains films sont de véritables problèmes. Des problèmes d'ordre émotionnel. Ça commence par la fin, premier film de l'acteur Michael Cohen, appartient à cette catégorie de films, ceux après lesquels votre bouche ne sait trop si elle doit dire « j'ai adoré » ou « j'ai profondément détesté ». Pas de réponse précise face à cette ritournelle au refrain bien connu que capte Michael Cohen. Les histoires d'amour finissent mal en général. En général aussi on le sait bien, et on ne sait plus trop à vrai dire si on a envie de réapprendre la leçon ancestrale. Gabrielle et Jean eux, il faut croire qu'ils ont très, mais alors très très envie de réviser leur classique. De ces deux-là, on ne sait pas grand chose a priori. Juste quelques détails gentiment absurdes : Jean ne quitte jamais sa barbe de dix jours, sans elle il se sent « nu », quant à Gabrielle son activité préférée est de manger la peau des citrons à la terrasse des cafés parisiens. Mais attention elle possède une façon bien à elle de les déguster : elle croque le citron sensuellement comme dans ces pubs où on nous sort l'argument « sensuel » voir ultra-sexy pour vendre le produit qu'il faut vendre nécessairement... Eurêka ! le voilà donc le problème majeur du premier long-métrage de Michael Cohen : « vendre le produit » grâce à ce corps, ces corps sur le bureau, dans un lit, dans les toilettes d'un café, sous une porte cochère. Le corps d'Emmanuelle Béart comme unique argument. Son corps dont elle dit dans la pénombre d'un coït brutal « Je ne suis pas plus que ça ».

 

CacommenceparÇa commence par la fin est un beau malaise. Non pas à cause de ces deux êtres aussi auto-destructifs qu'amoureux, aussi absurdes que bouleversants. Non pas véritablement à cause de ces corps qui se chavirent déraisonnablement les esprits et les cœurs, mais à cause du corps d'un actrice qui n'a pas besoin de lui pour être actrice. Béart est Gabrielle et Cohen est Jean. Dans la vraie vie, Emmanuelle Béart aime Michael Cohen. Dans la fiction, Gabrielle et Jean passent leur temps à accepter leur attraction physique d'une nuit pour s'entredéchirer le lendemain matin. Face à ce va-et-vient amoureux et physique, le spectateur se retrouve en situation délicate, fatalement obligé de se poser des questions stupides et « people » qui ne servent aucunement le propos du film, plutôt qui le corrompt. Où est la frontière entre la fiction et la réalité du couple ? Comment Michael Cohen n'a pas eu envie de filmer autre chose que le corps de la femme qu'il aime ? Pourquoi la ramener éternellement à sa chair alors qu'elle peut être reine des mots ? Au fil d'une passion qui se construit, pour toujours se déconstruire dans la séquence suivante, le spectateur est étrangement gagné par la même structure bancale et complexe, des reproches et sentiments qui vont et viennent en lui, sur lesquelles il est incapable de trancher. Michael Cohen, qui endosse la triple casquette réalisateur-scénariste-acteur joue gros en s'amusant à perturber le spectateur avec cette relation chaotique et déstructurée, dissertant lors d'un plan sur la cuisson des pâtes, pour s'envoyer en l'air dans un bistrot dégueulasse le plan suivant.

 

Certains diront que Ça commence par la finn'aurait jamais du commencer. Ils auront certainement raison. Mais ce que Michael Cohen nous dit avec son réalisme saisissant c'est que si l'histoire à commencer pourquoi ne pas aller voir comment elle se finit, pourquoi ne pas aller toucher les limites, se brûler les ailes, art où Béart excelle. La beauté du geste cinématographique, un brin nombriliste, je vous l'accorde, réside dans ce test permanent de l'autre dans lequel Gabrielle et Jean s'enferment, se jettent à corps perdus. Lui est excessif. Elle aussi fabuleusement fragile que cinglée. Le résultat s'impose comme perturbant à l'esprit, et infiniment beau à l'image. Cette passion totale déborde de maladresses, longueurs et autres absurdités sidérantes sur grand écran, et pourtant elle dégage une sincérité rarement égalée, une sensation viscérale jaillissant du corps, des mots, de la gueule de Béart qui manque cruellement au cinéma français. « On ne te demande pas d'être rationnel, on te demande d'accepter la dimension irréelle, émotionnelle d'une histoire qui n'est pas vraiment la vie mais qui l'est quand même un peu », tels sont les mots de Gabrielle pour expliquer la valeur d'un opéra à Jean, hermétique à cet art. Tels sont les mots auxquels il faudra repenser pour apprécier cette première réalisation. Accepter la dimension irrationnelle du cinéma, de la vie. Ça s'équivaut parfois.

.

Tag(s) : #Cinéma
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :