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Aujourd'hui, mère-grand m'a offert un bouquet de roses rouges. Elle sait pourtant que je hais tout ce qui est lié de près ou de loin à la nature. Les fleurs, les champs, les gosses, c'est la même chose : ça me déclenche des allergies. Mais ce bouquet-là a un air particulier, pas d'allergies à l'horizon, juste un regard mélancolique. En ces temps obscures, la mélancolie est plutôt tendance. Elle permet de ne pas regarder droit devant. Peut-être que la mère-grand coco avec son beau bouquet de roses rouges a souhaité me faire passer un message. Peut-être que chacune de ces ravissantes roses rouges dissimulent un modeste avertissement. « Regardes droit devant toi ma petite », ou « Méfies-toi du rouge ou de la rose, fillette », ou encore « Saches ma chérie que la politique, comme l'amour, tient rarement ses promesses ». Dans mon modeste 10Mairemake familial de « Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des grands parents communistes », le récit du 10 mai 1981 est un truc auquel on n'échappe pas lorsqu'on voit la tête de Tonton à l'écran. C'est comme l'achat de l'Huma le dimanche matin ou la rengaine du « Moi en 36, je me souviens... », « Mais tu te souviens de rien du tout, Mamie, en 36 t'avais 6 ans ! ». C'est une ritournelle tantôt lassante, tantôt bienfaisante pour la petite fille que je suis. Hélas moi, je me souviens de rien du tout justement. Je suis pas née à la bonne époque, ou alors je suis née à l'époque où l'affreuse réalité t'obliges à rejoindre le chemin de la lucidité. Le 10 mai 1981, j'étais même pas née, même pas conçue, totalement inexistante. Par contre les miens, étaient bien nés avec une conscience politique totalement conçue, presque trop existante justement. Mère-grand aime à raconter que quand le visage de Tonton est apparu version bleu-blanc-rouge ce soir-là sur le poste de télévision, elle a crié. De joie ou de peur, on ne sait pas trop. Coco à l'état pur, elle ne pensait pas à la première victoire de la gauche sous la Cinquième République, à ses souvenirs joyeux des Blum, Thorez&coco, non, elle pensait simplement : « On est foutu ! Contre Giscard on pouvait encore se battre, mais là comment allons nous faire ? ». Le peuple était enfin représenté, quelqu'un proposait enfin de « Changer la vie » et elle se plaignait. Moi, je ne me serais jamais plainte d'un tel événement. J'aurais préféré naître en 1930 moi aussi, admirer Blum et Thorez, râler contre Giscard et savourer la victoire de Tonton en direct. Ouais, j'aurais préféré assister à tout cette liesse politique d'antan plutôt qu'à la léthargie politique d'aujourd'hui. Je ne suis pas née à la bonne époque. Mes seuls souvenirs politiques liés à mon jeune âge sont tragiques... et de droite. Dignes d'un dessin-animé où chaque personnage veut piquer la place de l'autre : Chirac fout Mitterrand à la porte, un an plus tard Mitterrand meurt, Chirac évite la porte de justesse à cause de Le Pen, puis Sarkozy prend possession des lieux et ferme la porte à clé jusqu'à l'an prochain. L'année prochaine peut-être qu'un homme de gauche piquera la place de Sarkozy. « Mais dis mère-grand, le but de la politique c'est pas de piquer la place de l'autre hein ? »...

 

Mère-grand répondrait certainement que le but de la politique est de rendre la vie des citoyens meilleure. C'était le but de Tonton, je crois, avec son slogan qui promettait la lune « Changer la vie » et son mythique « Pour la troisième fois de l'histoire, la majorité politique des Français, démocratiquement exprimée, s'est identifiée à sa majorité sociale ». Ah Tonton, si tu savais ce qu'elle fait la majorité sociale aujourd'hui, pour qui elle vote, ce qu'elle pense, comment elle vit. Ton peuple de gauche a déserté ton clan ou serait-ce ton clan qui a quitté ton beau peuple. Tes pseudo-héritiers ont bien retenu les leçons de tes querelles internes, ils veulent tous être le nouveau monarque de la République. Quant à ta droite Tonton, la droite bien française, celle que tu as côtoyé à tes débuts, celle que tu as appris à haïr, elle reste ancrée dans la lignée de ces années noires desquelles tu t'es détournées. Dès fois, je me dis que toi et tous les grands hommes de gauche doivent se retourner dans leur tombe. Dès fois, avec une imbécillité enfantine, j'arrive même à me demander qui sont les gros cons dans l'Histoire. Le peuple de gauche versatile à l'extrême qui vote à gauche pour les élections régionales et puis à droite quand il y a l'Elysée à la clé. Ou alors les grands chefs de la gauche, trop nombreux à énumérer et surtout trop nombreux à se souvenir uniquement de l'Histoire qui les arrange, pas celle où il existe un peuple de gauche. Peut-être qu'il n'y a finalement aucun gros cons dans l'Histoire, simplement une époque bien conne. Une époque qui nous oblige chaque matin à un réveil douloureux et une journée souvent bien mauvaise. Mais la nuit, dans l'ombre, il y a des gens au creux des lits qui font des rêves, oui, comme ceux de la chanson qui nous a libéré un jour. Ces gens-là sont conscients qu'après mai 81, et quelques modestes lendemains qui chantent, les autres lendemains ont vite déchanté. Mais ces gens-là sont aussi conscients que la gauche et la droite c'est fondamentalement pas pareil. Ces gens-là ont rarement gagné. Ils ont quelques nombres en têtes. 36, 68, 81. Des dates importantes pour ces gens-là. Des chiffres insignifiants pour d'autres. Ces gens-là ont aussi des grands noms en mémoire, des noms effrayants dans la mémoire des autres. L'important ce n'est pas le nom c'est la rose. L'important ce n'est pas l'homme mais le destin que celui-ci choisi pour la France. Mitterrand avait choisi de « Changer la vie », pas de changer la société, mais changer de société. Au départ, il y avait bien un homme une rose à la main et ses 110 propositions. Puis, l'homme a quitté peu à peu la rose qui fanait, oubliant quelques unes de ses propositions à cause de la médiocrité de l'époque. Mais à la fin, une fin si proche, l'homme était là, fidèle à sa rose et à sa gauche d'antan, maudissant l'époque à venir, léguant une dernière recommandation à tous ses compatriotes sans exception : « Ne dissociez jamais la liberté et l'égalité. Ce sont des idéaux difficiles à atteindre, mais qui sont à la base de toute démocratie ». J'avais 7 ans et j'ai bien retenu la leçon, Tonton.

 

Certains sont lasses des célébrations, du journalisme commémoratif, des billets d'humeur, de voir tout le PS défilé main dans la main en souvenir de Tonton et de son bon vieux temps. Moi, face à l'événement, je me juge lucide mais certainement pas lasse. J'espère ne l'être jamais. J'espère pouvoir raconter un jour comme mère-grand me l'a rabâchée depuis ma plus tendre enfance, ce qu'est une conscience politique, qui est ce mystérieux Jean Jaurès, qu'est-ce que le Front populaire et le 10 mai 1981. J'espère épuiser ma progéniture avec ces histoires de gauchistes afin qu'ils ne finissent pas par être englouti par ce « vieux pays de droite qui vote de temps en temps à gauche ». Car savoir se souvenir aujourd'hui d'hier c'est toujours mieux faire pour demain.  

 


 

« On était tellement de gauche » de Miossec

Tag(s) : #Chroniques de l'asphalte
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