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Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Paris en ce temps-là avait pour amour une certaine Casque d'Or, on vivait et débattait sur les banquettes du Flore et les Studios Harcourt incarnaient l'Hollywood à la française pour toutes les jeunes filles sages qui rêvaient de cinéma. Parmi ces jeunes filles, Simone Kaminker s'est vue un beau jour pousser la porte du Flore et celles des Studios Harcourt. La demoiselle en question n'a pas changé de nom pour cause de guerre et de haine de l'autre comme beaucoup de gens ont été contraint à le faire lors de cette triste période, non, Simone Kaminker a changé de nom pour devenir star de cinéma. Elle sera dorénavant Simone Signoret. Future grande dame du cinéma français, femme d'un grand monsieur de la chanson française, et avant toute chose personnalité entière et simple, bercée d'engagements et d'idéaux comme on en fait trop rarement. Il est question de tout ce respectable parcours dans La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était. Entretien, mémoires, autobiographie, on se perd dans les définitions pour qualifier ces pages admirables de sincérité. Ce n'est pas un livre sur Simone Signoret que l'on ouvre ici. C'est un livre sur les autres, sur tous ces êtres passionnants et passionnées qui ont traversé sa vie. Un hommage ultime à une véritable belle époque.

 

SignoretRécit autobiographique publié en 1976, La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était annonce au fil des souvenirs la fin de carrière de l'actrice Simone Signoret. Peu à peu, elle abandonne les plateaux de cinéma pour se tourner vers l'écriture de ses mémoires et d'un roman (Adieu Volodia publié en 1985). L'actrice s'éteint peu à peu, quitte la tenue de la belle Casque d'Or pour celle de la tendre Madame Rosa.

 

L'histoire de Simone Signoret n'est pas un banal manège de costumes, de rôles, de plateaux de cinéma. Signoret a enfilé les costumes d'Elisabeth Proctor (Les Sorcières de Salem au théâtre) ou de Mathilde (L'Armée des ombres au cinéma) avec la certitude que ces rôles-là et tous les autres étaient taillés sur mesure pour elle et ses idées. Elle confie être de celles qui n'auraient jamais accepter de jouer dans un film ou une pièce radicalement opposés à ses convictions personnelles. Sa filmographie évoque pour elle ses certitudes, ses amitiés, ses intérêts... Toutes ces petites choses qui forment une personne, une personnalité, une citoyenne née sur les banquettes du Flore, il y a près d'un demi-siècle maintenant.

 

Les confidences entamées, les années de guerre et de restriction contées avec sens du détail et de l'anecdote délectable, un nouveau chapitre débute, une seconde naissance pointe le bout de son nez... en poussant la porte du Flore. « J'aurais pu tout aussi bien commencer à vous raconter mon histoire en vous disant : « Je suis née, ou plutôt , ce que je suis aujourd'hui, c'est quelqu'un qui est né un soir de mars 1941 sur une banquette du Flore, boulevard St Germain ». La gamine de Neuilly, passée quelques temps secrétaire dans un journal dit « collabo », traverse enfin ce qu'elle nomme sa « troisième frontière », la bonne, l'ultime, le monde qui la guidera toute sa vie. Admirative, intimidée et impressionnée par l'ébullition intellectuelle de ses comparses du Flore, elle ne se lasse pas de les côtoyer et tire d'eux milles et une leçons de vie et de politique aussi. Dans ces murs, on vit autant que l'on pense. Simone Signoret tâchera dorénavant de faire de même.

 

Les idées se forment au fur et à mesure que les figurations, apparitions et petits rôles s'enchainent. Elle part en Province tourner Les Visiteurs du Soir de Carné, le rôle est minime mais l'atmosphère chaleureuse, inoubliable dans ses mots. La guerre abime les êtres et le cinéma continue de les faire vivre. La guerre fait rage mais les amours fleurissent, et Signoret tombe follement amoureuse du cinéaste Yves Allégret.

 

La suite on l'a connait par cœur : une fille (Catherine Allégret), un mariage (en 1948) puis une passion dévorante née à la Cloche d'Or de Saint-Paul de Vence sous le regard de la famille Prévert. Signoret quittera Allégret pour un certain Yves Montand, star montante du music-hall. Les pages défilent, les confidences et souvenirs sur cette « difficulté et cruauté de refaire sa vie » avec et cette histoire-là apparaît soudainement d'une pure beauté. Jamais calculée sur aucun plan (sentimental ou professionnel) cette vie respire la vie tout bonnement. Une vie resplendissante à chaque plan. Rayonnante dans son époque, dans ses protagonistes, dans ses émotions. Ce n'est pas une histoire de star encore moins une histoire de cinéma qui nous ai raconté. C'est la vie.

 

Signoret1La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était évoque un temps perdu. Un temps où les gens ne racontaient pas qu'ils écoutaient Radio Londres en cachette, un temps où l'on côtoyait des résistants sans trop le savoir, un temps où les cachets de cinéma n'étaient pas astronomiques, un temps où on pouvait avoir comme professeur agrégée Lucie Aubrac et comme témoin de mariage Jacques Prévert (ce fut le cas de Signoret ). Ce sacré bon vieux temps est perdu pour nous, pauvres âmes nées trop tard, pour saisir toute l'ambivalence d'un monde. Lire les mots de Signoret, ses déceptions et ses joies, c'est aussi apprendre sur l'histoire et sur les hommes. Enseignement attachant et humain, Signoret se veut témoin de ces années plus qu'actrice. Témoin, « groupie » des shows incroyables de l'être-aimé. Témoin d'une Guerre Froide, de la difficulté de se décoller d'une image de communiste. Sa voix sûre et nostalgique semble jaillir à chaque mot. De sa voix abimée par ces longues soirées entre amis à refaire le monde dans cette ancienne librairie, lieu de vie du couple Montand-Signoret baptisé « la Roulotte », la femme semble vouloir nous dire qu'on ne peut vivre contre son temps.

 

Elle a vécu avec. Beauté flamboyante dans un bal avec Reggiani dans Casque d'Or, elle incarne aussi la pasionaria. « C'était une époque engagée » répond t-elle pour se défendre de son statut avec Montand de compagnons de route du Parti Communiste français. À l'époque, vivre avec son temps dans un univers artistique de gauche où l'on côtoie Picasso, Prévert ou Sartre conduisait inévitablement aux frontières du Parti Communiste, plus grand parti de l'après-guerre. Honnête et lucide, Signoret reconnaît avoir été le parfait stéréotype de l'intellectuelle de gauche « avec ce que ça comporte de ridicule mais aussi de généreux ». La générosité est le maître mot du récit. Elle éclate dans des prises de positions pas toujours en accord avec le PC de l'époque, elle la conduit à signer des pétitions, descendre dans la rue, voyager en Russie pour dire à Khrouchtchev des choses dures. Des petits gestes dignes de sens, des petits gestes toujours à deux, avec son homme qui dans les années 50 chantait jusque dans les usines. La petite fille de Neuilly rencontre la famille de Montand, « une première incursion dans le monde ouvrier » dit-elle et à partir de ce jour de 49, le prolétariat ne la quittera plus.

 

Un jour, désireuse de s'enrichir culturellement, l'actrice pousse la porte d'une librairie quelconque, passe à la caisse avec son bouquin « d'intellectuelle de gauche » et récolte un mi-poli, mi-méprisant : « Et à part acheter des livres vous faites quoi à propos de ce que l'on fait en votre nom? ». L'anecdote traîne tout le long du récit. La compagne de route du PC s'éloignera avec son homme peu à peu des rangs du Parti après l'entrée des chars de l'Armée rouge à Budapest en 1956. Un éloignement qui lui permettra enfin de mettre le pied sur le sol américain après des années de refus à accueillir des artistes dits « rouges ».

 

Les années à la Cité des Anges respirent bon les décors Hollywoodien, le rêve américain et autres plaisirs cinéphiles en tous genres. Elles recèlent d'anecdotes délicieuses sur le tout Hollywood et les vrais stars. Pourtant devant tant de soirées, de demeures sublimes et de scénario, la petite française ne semble pas dupe. La Cité des Anges portent mal son nom, elle n'est habitée que par des loups, des vautours. Ceux-là même qui ont tué Marilyn.

 

Autre grand passage de cette nostalgie qui dévaste tout sur son passage, les pages consacrés à la douce et complexe Marilyn. Des pages s'avèrant étrangement les plus tendres. Nous sommes à la moitié du livre, accrochés à ces pages comme on s'accroche aux récits des grands-mères ayant vécues tout ça, une Guerre Mondiale, une Guerre Froide et là arrive la douloureuse trahison. L'histoire n'a hélas échappé à personne, à l'époque comme aujourd'hui. Admirablement humaine jusqu'ici, Signoret la conteuse, le restera en nous parlant non pas d'un mythe ou d'un poster mais simplement d'une voisine de palier avec laquelle elle voisinait « comme on voisinait dans tous les HLM du monde, du luxe ou pas ».

 

Signoret2L'histoire avec Marilyn Monroe n'était plus son histoire, ni celle de son conjoint, elle était devenue celle des acheteurs de papier. « Cette pièce-là s'est jouée des mois » écrit-elle ironiquement ou tragiquement. Cette pièce-là a fait le tour du monde, peut-être plus même que son incroyable prestation dans Room at the top de Jack Clayton ou l'image éternelle de ce fabuleux sourire qu'elle arborait un soir de l'année 1960 où elle remporta l'Oscar de la meilleure actrice. Hollywood aura récompensé l'actrice, cette fameuse « Simauaune Signoret » comme on l'appelle là-bas. Hélas, Hollywood aura abimée la femme amoureuse qu'elle était.

 

L'histoire se referme sur cette femme, toujours présente aux côtés d'un homme qu'elle ne cessera d'aimer profondément et dont pourtant les plaies laissent sous-entendre qu'elles ne l'aimera plus jamais comme avant. Cette femme, symbole d'hier et de son après-guerre victorieux, a vu sa carrière peu à peu s'éteindre dans les années 70. Signoret parle de cette difficulté d'être star, de le rester, on entend sa peine lucide et jamais ridicule, et on aimerait lui dire qu'il est délicat de rester une grande actrice quand les grands cinéastes disparaissent. Les Clouzot, Clément, Melville, Costa-Gavras auront été nombreux à se bousculer à la porte de la mythique « Roulotte ». Sans compter les intellectuels qu'elle croisait ici et là, les Sartre et Lanzmann, Malraux et autres, et ces visages éternels d'un cinéma révolu qu'elle a profondément aimé les Delon, Gabin ou Reggiani. C'est tout ce petit monde Simone Signoret. C'est une femme parmi des hommes, il est vrai, mais c'est avant tout une personnalité parmi d'autres grandes personnalités. Signoret s'est éteint en 1985 et ces grandes personnalités se sont éteintes avec elle. Ces années passionnantes et déchirantes sont disparues avec ces êtres d'une autre mesure, d'un autre temps, des grands hommes, artistes idéalistes aussi comme on en fait plus. Parler de Signoret c'est parler de ce petit monde qui ne tournait pas que sur lui-même. Un petit monde fait d'erreurs et de peines, de réussites et de joies intenses, d'engagements et d'illusions. Des artistes profondément humains, non pas centrés sur leurs simples carrières, mais sur leur monde, ce monde survivant d'une Guerre Mondiale et d'une Guerre Froide.

 

Signoret dans une ultime tirade de franchise livre à son interlocuteur : « Je ne peux pas jurer que j'ai été d'une sincérité totale en affirmant que je n'ai pas de nostalgie. J'ai peut-être la nostalgie de la mémoire non partagée ». Le livre se referme sur une histoire non partagée qui pourtant voit éclore une nostalgie partagée à jamais.

 

La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était de Simone Signoret  ( Éditions du Seuil)

 

Tag(s) : #Littérature
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