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« Si quelqu'un dans l'administration actuelle savait ce que j'écris, il m'enverrait des portes flingues pour m'arracher le manuscrit des mains ». Tout est dit. Le manuscrit que Clyde Tolson tient entre les mains, celui-là même que le narrateur et le lecteur sont en train de découvrir pourrait nuire à l'histoire de toute une nation. Et quelle nation! Une Amérique aux mains sales voilà ce que nous présente Marc Dugain, l'auteur qui s'empare d'une histoire américaine, nous plonge au coeur du pouvoir dans les couloirs du FBI et de la Maison Blanche où il nous conte cinquante ans de mensonges et de trahisons au pays de tous les rêves.


La Malédiction d'Edgar s'ouvre sur un prologue intrigant où un mystérieux narrateur achète les mémoires de Clyde Tolson. Quelques pages plus tard, l'histoire débute directement en 1932, Clyde est alors le second du chef du FBI , John Edgar Hoover. C'est à travers le regard admiratif et amoureux du petit second que l'on découvre le portrait de l'homme le plus détesté des Etats Unis, le légendaire patron du FBI qui régna 48 ans sur la politique américaine sans jamais croiser le regard des électeurs. Homme de l'ombre, aux mains sales, John Edgar Hoover régissait de 1924 à 1972 la vie politique américaine. Tirant les ficelles des manipulations les plus extrêmes, des trahisons les plus exécrables, des crimes les plus organisés, John Edgar Hoover aimait le pouvoir mais en détestait les aléas. Jamais il n'aurait voulu se confronter aux règles du pouvoir, à l'élection par les urnes. Jamais il n'aurait voulu remettre son sort aux mains d'une masse d'incultes qui « n'avait pas le millième de sa capacité à raisonner ». « Consul à vie » c'est ainsi que son compagnon de toujours Clyde Tolson le définissait. « Johnny and Clyde » c'est ainsi que l'écrivain Truman Capote définissait leur couple. Car il s'agissait bel et bien d'un couple qui dirigeait le FBI et par la même occasion le pays. Ceux-là même qui dénigraient l'homosexualité, la frivolité des Kennedy, les moeurs légères de l'Amérique, menaient en douce une vie jugée peu adéquate à la morale américaine de l'époque...


Marc Dugain s'attaque à la face sombre des Etats Unis en élaborant cette bio-fiction effrayante sur cette nation emblématique. Plus que l'histoire de John Edgar Hoover, de son couple avec Clyde Tolson, l'auteur écrit « une histoire américaine » où chacun vit dans un monde en carton pâte et refusent d'observer et d'admettre la masse d'immondices qui s'accumule derrière ce rêve américain. L'électeur était-il au courant de ce qui se jouait dans les hautes sphères du pouvoir? Pour Clyde Tolson, il n'y a aucun doute sur la culpabilité de chacun. « L'électeur nous laisse toujours le sale boulot. Il sait bien que les choses là haut ne sont pas si claires. Le pouvoir au fond c'est faire ce qui est dans l'intérêt de la nation et ne lui faire savoir que ce qu'elle peut entendre », et si c'était vrai? Biographie aux allures de fiction, La Malédiction d'Edgar développe une interrogation constante sur les aléas du pouvoir. Rien n'excuse le patron du FBI d'avoir été cet homme aux méthodes inhumaines, certes, mais rien n'excuse, non plus, les citoyens américains d'être entrés dans ce jeu écoeurant de l'hypocrisie constante et de la supériorité nauséabonde. Le génie de cet ouvrage réside dans le choix de son narrateur: Clyde Tolson. Le témoin presque parfait, l'être fasciné par le sens du devoir de Hoover est un être à son tour fascinant pour avoir aimer ce monstre. Le choix est judicieux et efficace: découvrir un monstre par le biais d'une personne qui ne le voit pas en tant que tel renforce la vision chaotique de cette histoire américaine.


« Au cours de tout le XX ème siècle aucun homme n'a signifié plus pour son pays que Hoover » tels seront les mots de Ronald Reagan aux funérailles officielles du patron du FBI. Cette phrase boucle les souvenirs de Clyde Tolson, le collègue et amant se remémore ce dernier hommage que la nation fit à son compagnon. La nation celle-là même pour qui John Edgar Hoover dédia sa vie. Maîtresse, amante de l'ombre, il lui voua sa vie en combattant les faux coupables. Le numéro 1 du FBI traqua toute sa vie les dangers, ceux-là même qui pouvaient mettre en péril la bannière étoilée. Mirage. Les Etats Unis de l'époque n'était qu'un mirage. Rongée par le mal, elle fermait les yeux sur les pires faits de son histoire et Hoover l'avait compris. « La Mafia est là depuis que cette terre a été peuplée d'italiens, de juifs et d'irlandais. Toutes ces minorités qui étouffent sous le prétendu joug de la société protestante ont besoin de créer leur propre règles pour respirer. Je préfère que nous consacrions nos moyens à lutter contre la gauche américaine. Où est l'intérêt du pays? », il était là où se nichait les communistes. Chez les intellectuels, chez les stars hollywoodiennes, ces types dangereux qui auraient pu laver les cerveaux des citoyens et nuire à la puissance capitaliste avec le Septième Art ou la littérature. Maître de l'inquisition, Hoover joua un rôle majeur dans la chasse aux sorcières, cette grande croisade contre le communisme ,une des pages les plus sombres des Etats Unis. Hoover voyait rouge. La menace rouge était, à ses yeux, la seule menace réelle. Ils voyaient des communistes partout et c'était donc partout qu'il plaçait des écoutes téléphoniques, des micros, des espions...



C'est d'ailleurs grâce à ces mouchards qu'il glissait un peu partout sur sa route qu'il croisa la route d'une menace montante. John Fitzgerald Kennedy n'était alors qu'un jeune homme qui tentait de se frayer un chemin dans la sphère politique, comme l'exigeait son père, une ancienne connaissance méprisée de Hoover. Mais le fils Kennedy ne semblait avoir aucun avenir en politique, il n'était en place que pour satisfaire les ambitions du patriarche Joe Kennedy. Si Kennedy attira assez tôt l'intérêt de Hoover ce n'était pas pour son talent mais pour son pêché mignon, celui de la chair. Son aventure avec une espionne nazie lui vaut l'un de ses précieux dossiers constitués par Hoover et Tolson. Des années plus tard, le dossier Kennedy prit des proportions insoupçonnables. Il était devenu présidents des Etats Unis d'Amérique, une victoire dont se serrait bien passé Hoover. La lutte contre le clan Kennedy était lancée depuis des lustres mais avec les frères Kennedy elle atteignait des sommets. Ces deux-là allaient plonger le pays dans une débauche et un socialisme que Hoover refusait. Le chef du FBI était d'une génération où un gangster se devait au minimum d'avoir une tête de gangster. Or les Kennedy étaient les pires malfaiteurs qui puissent exister. Déguisés en gendre idéaux, en fils du monde, ils allaient trahir toute la morale américaine avec leur arrogance, leur débauches sexuelles, leur hypocrisie ambiante. Jeunes et modernes, Bob et John Kennedy ne faisait que déstabiliser les hautes sphères du pouvoir américain. On ignore ce que Hoover méprisait le plus chez eux: les putains qui se succédaient dans la piscine de la Maison Blanche pour satisfaire les désirs inlassables de John ou cette féroce envie de détruire le crime organisé qui animait Bob, alors Ministre de la Justice. John Edgar Hoover, fou de puritanisme, obsédé par les secrets les plus abjectes, vécut son homosexualité comme un drame. Ce drame personnel qui sévissait dans une Amérique puritaine pouvait donner certaines clefs de l'histoire, «Il était mû, analyse Tolson, par un puissant moteur que nous ne partagions pas: celui de la honte de notre condition qui l'animait sans répit dans une fuite éperdue à laquelle il s'était imposé de donner un sens.». Cercle vicieux et maléfique dont chaque personnage du scénario ne pouvait sortir indemne, cette histoire américaine est celle d'un pouvoir mensonger et nauséabond. La Mafia tenait Hoover avec des clichés de ses ébats avec Tolson. Hoover tenait les Kennedy avec des heures d'enregistrements compromettant l'image parfaite et lisse de la famille Kennedy. Les Kennedy voulaient mettre fin au crime organisé qui gangrenait tout le pays. Et l'Amérique dans tout ça que voulait-elle? Telle est la question. Le visage de cette Amérique dessinée à travers le portrait de John Edgar Hoover est floue. Qui est-elle véritablement? La complice de son histoire ou la victime du pouvoir. La CIA, le FBI, les politiques se sont tous liés pour nuire à cette Amérique portée par les idées des Kennedy. Ils les ont tués pour tuer cette Amérique des pacifistes, des défenseurs des droits de l'homme, des rêveurs qui était sur le point de prendre le pouvoir aux Etats Unis. L'histoire peut-elle se rejouer? Telle est la question.


La Malédiction d'Edgar de Marc Dugain (Gallimard)

 

Tag(s) : #Littérature
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