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C'est les vacances. Tu vas faire des heures de route dans ta Twingo. Des heures de train dans un TGV qui prend toujours du retard. Il te faut donc de bons albums pour filer à toute allure dans la Twingo et une bonne lecture pour le train. L'année passée, je roulais à toute vitesse au son de l'Exil des Stones et souriait béatement devant le récit de Keith. Pour cet été, j'ai respecté le rite : faire le marché dans la bibliothèque familiale pour trouver la perle rare qui éblouira mon été. La mauvaise fille à la mauvaise habitude s'est donc retrouvée à voler un énième petit livre qui sentait bon l'ancien et le livre précieux que papa ne voudrait jamais prêter. Au-delà des Doors de Hervé Muller finit pourtant entre mes mains de groupie. Avant que je comprenne que c'était les groupies mêmes qui envoyèrent Jim à la mort & que je finisse par rendre l'objet volé comme une enfant fautive, ayant enfin compris son erreur. Tragique.

 

Tout avait pourtant très bien commencé. Sur la couverture, le visage de Jim démultipliés à l'infini s'offrait à moi. Un visage psychédélique, aux cheveux ébouriffés et regard perçant. Trop beau pour ne pas être dérobé. Alors, je lui ai dit « come on baby » et obéissant ce Jim m'a suivie pendant mes vacances. Réveillant mon amour pour lui et surtout mon infinie tristesse pour son personnage. Écrit un an seulement après la disparition du leader des Doors, Au-delà des Doors est un véritable guide pour qui veut décrypter ce groupe ovni dans la folie peace and love des sixties. Sentiment étrange de lire un livre sur les Doors. J'ai toujours pensé qu'il valait mieux les écouter livrer une « littérature améliorée » où tel un poète démiurge Jim racontait son histoire à dormir debout de monde fantasmé fait de jeux, de mort et de sexe. Jim pensait d'ailleurs que la musique, le 33 tours en particulier, avait crée sa petite révolution : « Je pense qu'ils ont remplacé les livres, confiait-il. Sérieusement, ils sont supérieurs au cinéma parce qu'un film, on le voit peut-être une ou deux fois, et plus tard à la télévision peut-être. Mais un putain d'album c'est plus influent que n'importe quel forme artistique. » Tellement plus influent. Follement plus puissant. La supériorité d'un album des Doors face à toute forme artistique tient à cette ressemblance frappante avec les routes sans fin des plaines américaines du Grand Ouest. Tu n'en vois jamais la fin, ça t'effraie autant que ça suscite ton excitation. Jamais « the music is over » et cette « end » terrifiante mon bel ami n'existe point sur un album des Doors. Tu les écoutes à l'infini. Sur la route surtout. Comme si tu étais la partenaire privilégié de Jim quand il roule vers L.A.

 

au-dela-des-doors.JPG

Durant cette balade au cœur des Doors, Hervé Muller ne cesse de rappeler le caractère sombre de ce groupe de L.A monté sous l'impulsion de Ray Manzarek et Jim Morrison lors de l'été 1965. Deux étudiants en cinéma de UCLA croisés à Venice Beach. L'un compose déjà (« Light my fire » est, contrairement à ce que voudrait le mythe : Sa création), l'autre entendait déjà dans sa tête des « situations de concerts ». « Les portes de la perception » voient le jour sous le soleil californien à l'époque où rêver d'un monde meilleur est de rigueur. Morrison rêve d'une tout autre activité : écrire comme ses compagnons de nuits étudiantes. Les Rimbaud, Baudelaire et William Blake and co. C'est d'ailleurs le poète américain qui lui inspira un nom de scène. The Doors « of perception were cleansed, every thing would appear to man as it is: infinite » (« Si les portes de la perception étaient purifiées, toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est : infinie »). Alors de 1965 à 1971, les Doors s’attellent à leur dure labeur : purifier nos âmes de brebis égarées dans un monde où les ténèbres est l'unique décor et la peur de l'autre le seul leitmotiv. Le tout sur des rythmes rock lancinants, indécents, portés par la voix ample et puissante de Morrison. Le « Acid evengelist of rock » comme le surnommait le New York Time. « L'homme de mots », comme il aimait se définir, est en mission. Lui seul semble le savoir. La critique le désapprouve au fil des albums, les fans, eux, ne voit que la légende (encore) vivante du rock. Une partie de la jeunesse américaine ne l'apprécie que pour cette image, cette personnalisation vivante de ce qui fait battre le cœur de chaque génération entre 15 et 25 ans : le sexe et la révolte. Morrison représentait ces deux entités complémentaires et primaires. Mais il était tellement plus que ça...

 

Morrison est l'homme qui brise le flower power en hurlant toute la violence de ce monde, en récitant un rock fiévreux et subversif. Un rock sombre où sous l'emprise de cette voix envoûtante, de ces transes anesthésiantes nous voilà embarquer dans le « bad trip » des Portes de la perception. Elles s'ouvrent. Nous apprennent que, peu importe le siècle, peu importe la génération qui l'écoute attentivement, nous sommes et serons toujours des passagers de la tourmente. Avec ce bouquin écrit à l'aube des seventies, Hervé Muller fait un point majeur sur ce que furent les Doors dans la culture américaine de l'époque : « le seul groupe d'importance dont la musique exprimait pleinement la réalité américaine dans toute sa sombre violence. Tous les autres témoignaient essentiellement d'un nouveau rêve américain ». Du côté de L.A, Morrison et les siens sonne donc la naissance d'un rock qui véhicule pessimisme, violence et décadence. À New York, le Velvet de Nico et Lou Reed se chargera de faire de même : acclimater l'auditeur aux ténèbres de son époque. Le rêve américain n'est qu'un leurre ici et ailleurs. Ici ne règne que la répression puritaine et les émeutes raciales aux quatre coins du pays. Ailleurs sévit la guerre du Vietnam et ses meurtres faits au nom de cette chère patrie. Les Doors représentait cette face sombre de l'Amérique. Ils voulaient lui ouvrir grand les yeux sur elle-même. Sur sa réalité abjecte. À l'inverse des Stones, ils n'ont jamais composé leur « Street Fighting Man » mais cela ne les a jamais empêché de penser, comme dans la chanson, que « the time is right for a Palace Revolution ». Une révolution de l'esprit. Morrison avait une manière bien à lui d'être politique. Elle n'était pas dans ses provocations chroniques. Elle se nichait dans ses textes purs. Dans sa poésie de « voyant » comme Rimbaud. A l'inverse de l'Amérique, l'hexagone a perçu dans les textes poétiques des Doors une ambition infiniment politique. Dans chacun d'entre eux, il y avait l'idée d'un appel à la débauche, au sexe, au réveil, à la réalité fantasmée de Morrison. Celle à laquelle le poète voulait goûter. Comme Rimbaud en son temps  : « le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».. « Enter the hot dream, come with us, everything is broken up and dances » raconte Morrison dans le fabuleux Ghost Song. Et obéissant depuis la nuit des temps, on entre dans ce monde parallèle qui ne réclame que la destruction des concepts aliénants. On s’aliène à la beauté fascinante des textes signés Morrison, de son chant théâtral, de ce corps personnification à la fois du sexe et de la révolte. Socle même du rock'n'roll. « La révolte extérieure est la seule manière de réaliser la liberté intérieure » expliquait l'homme qui un soir de concert au Whiskey A Go Go improvisa devant une salle envoûtée le très œdipien, provocant et mythique « Father, I want to kill you. Mother, I want to fuck you ».

 

Livre-0062.JPGMorrison est né ce soir là. Ce soir où il se retrouva dans l'impossibilité de finir son concert, jeté à la porte par le patron du bar mythique de Hollywood. Cette nuit où il a livré la chanson « la plus discutée du rock » selon Muller. La chanson que quand tu l'écoutes peu importe ton âge, peu importe ta compréhension du texte, tu frissonnes, trembles de plaisir ou de peur à son écoute, à l'intonation de la voix. De ce texte sans limites, sans entraves, à l'imagination infinie, à la désespérance poussée à son comble. De cette plus belle des chansons du rock Muller dit « aucune explication ne restituera jamais l'intensité profonde des sentiments ressentis à l'écoute de The End, ni le soulagement mélancolique qui fait suite à l'exorcisme œdipien, ni sur ce rythme plus rapide qui semble véhiculer un vague espoir ».

 

L'espoir de voir vivre Morrison après l'avoir vu écrire, hurler, réciter, chanter de telles choses sublimes était minime. Obsédé par le jeu, le sexe et la mort, complexe et torturé par les choses de la vie, Morrisson était ou s'était façonné à l'image de ceux qui l'inspiraient les Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. Comment ne pas finir comme eux ? Comment éviter « cette fin » ? Celle-ci même qui apportait un point final à tous les mensonges autour de sa personnalité. Car ce que j'écris là, ce qui fut écrit par Muller et par tant d'autres n'arrivera jamais à mettre fin à tout les mensonges autour de James Douglas Morrison. Certains disent qu'il était fou. N'est-ce pas là la qualité de bien des grands hommes ? S'il l'était, c'était comme ces auteurs préférés, les Blake et Nietzsche : avec une extrême lucidité. La lucidité d'être arraché à sa propre identité pour devenir ce qu'une génération voulait qu'il soit. Ce qu'on veut encore qu'il soit aujourd'hui dans l'imaginaire collectif : une légende du rock, un être aussi sensible qu'odieux, fou qu'intelligent, fragile que violent. La musique n'était pas sa seule amie, mais sa pire ennemie. Celle qui l'amena dans l'abîme des mots et des tourments, qui le contamina avec ses drogues et son alcool à foison, le brisa avec son industrie du disque et ses fans plus admiratifs de sa personne que de son art. L'histoire se termine d'ailleurs à Paris, sur cette tombe, tant visitée, rongée par les messages d'amour des fans. Cette tombe que l'on met des heures à trouver au Père Lachaise où dorment pour l'éternité de nombreux génies. Comme si Morrison avait voulu se planquer à tout jamais de nous. Se planquer avec eux. S'exiler du pays qui n'était pas le sien. Se retrancher dans son monde à lui, un monde dénué de toutes illusions. Sur cette tombe, quelques mois après sa mort, Hervé Muller prit quelques photos. L'une d'entre elle montre un message en marge. Comme l'était Morrison. Ce message disait purement et simplement : « Foutez lui la paix ». Si Morrison était l'incarnation de la complexité, l'idolâtrie qu'il suscitait l'était tout autant. « Car cette idolâtrie qui le poursuit jusque sur sa tombe c'est en grande partie elle qui l'a tué, conclut Muller. Sa mort n'a finalement que donner une nouvelle portée au symbole de révolte auquel s'identifiait tant de jeunes. Mais Jim Morrison cet être torturé et malheureux avec ses défauts et ses faiblesses n'en reste que plus incompris ». Le lot de tous les grands génies qui voulaient le monde, quand celui-ci ne voulaient que leur peau. 

 

Au-delà des Doors de Hervé Muller (édition Albin Michel/Rock'n'Folk)

 

 

 

When the music is over  par les Doors (1967)

 

What have they done to the earth ?
Qu'ont-ils fait à notre Terre ?
What have they done to our fair sister ?
Qu'ont-ils fait à notre loyale soeur ?
Ravaged and plundered and ripped her and bit her
Ils l'ont ravagée, pillée, lacérée et l'ont mordue
Stuck her with knives in the side of the dawn
Ils l'ont piquée de leurs couteaux dans le flanc de l'aube
And tied her with fences and dragged her down
Et l'ont ligotée avec leurs clôtures et l'ont entraînée de force en bas

Tag(s) : #Littérature
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