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Vous aimez l'Histoire mais vous ne roulez pas sur l'or? Les éditions Points (Seuil) ont pensé à vous, curieux mais fauché! À l'automne dernier, elles lançaient une nouvelle collection baptisée Les Grands Discours, une collection enrichissante autant culturellement que politiquement. Dans un format poche, pour la modique somme de 3 Euros, un discours mythique s'offre à vous et à votre compréhension de la société française. Découvrir à petit prix tel est le but de la maison qui souhaitait avec la publication de ces discours faire dialoguer, une nouvelle fois, les grands noms de ce monde à travers des discours (et des idées) devenus emblématiques. De l'avortement à la peine de mort, en passant par l'esclavage ou les légendaires « Yes we can » de Barack Obama ou le « I Have a dream » de Martin Luther King, la collection apporte un éclairage nouveau sur des discours vus et revus à la télévision et que l'on découvre aujourd'hui non pas, par extrait mais dans leur totalité. Une occasion pour nous, petits jeunes et fauchés, de comprendre le monde dans lequel on vit... et celui auquel on a échappé!


Après avoir frémit face au plaidoyer éloquent de Robert Badinter contre la peine de mort et m'être laissée emporter dans la lecture passionnante d'un discours de Danton contre l'esclavagisme, je me suis dit qu'un petit tour dans la France giscardienne ne me ferait pas de mal... Cette année, Simone Veil entrait à l'Académie française. Une fois encore, devant mon petit écran, mon esprit révolté a osé se dire (je l'avoue) : « Encore une femme parmi tant d'hommes! ». Mais il s'est bel et bien trompé. Le « encore une femme parmi tant d'hommes » devait être encore plus impitoyable lorsque le 26 novembre 1974, Simone Veil prononça, à l'Assemblée nationale, son discours pour le droit à l'avortement.


Rétrospective


Ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, Simone Veil prépare avec conviction sa loi contre l'avortement. Nous sommes dans les années 70, l'année érotique s'en est allée, on porte encore des mini-jupes et l'amour libre est ultra-tendance.... mais nous sommes aussi encore dans la vieille France giscardienne. En 1943, c'est l'échafaud pour Marie-Louise Giraud, la faiseuse d'ange, exécutée pour 27 avortements illégaux. En 1971, le « Manifeste des 343 salopes » publié dans Le Nouvel Observateur déclenche la polémique. En ce jour du 5 avril 1971, la vieille France se réveille douloureusement et découvre l'identité de 343 femmes qui avouent ouvertement s'être fait avorter. Parmi elle : Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve ou Marguerite Duras. Par ce geste résolument contestataire, ces 343 femmes, célèbres ou inconnus, risquent des poursuites judiciaires allant même jusqu'à l'emprisonnement. La parole est libérée et le processus est lancé.

 

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Trois ans plus tard, en 1974, Simone Veil, soutenue par le président de la République, les socialistes et les communistes, amène son projet de loi contre l'avortement devant une Assemblé nationale a priori opposé à une telle loi. En ce temps-là, les femmes dans l'hémicycle était bien rare. Du haut de son perchoir, Simone Veil venue expliquer les raisons de son projet doit faire face aux pires insultes, mises en cause personnelles et débats des plus houleux. Son « Elles sont 300 000 chaque année » entrera dans les archives de l'INA. Ce jour-là, une femme pris la défense de 300 000 femmes qui chaque année, dans l'ombre, dans la clandestinité, décident de mettre fin à leur grossesse. Ce jour-là, une femme tenue tête à une Assemblée composée majoritairement d'hommes et surtout hostiles à une loi contre l'avortement. Immorales et inconscientes aux yeux de la bonne vieille France, ces 300 000 femmes sont avant tout au regard de la Ministre de la Santé des femmes que « nous côtoyons tous les jours et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames ». Il faut mettre fin à ce « désordre » lance t-elle à ses collègues masculins.

 

Une nouvelle marche vers l'émancipation


Devant des députés en ébullition, la Ministre exprimera une conviction de femme, et s'en excusera auprès de cette Assemblée « presque exclusivement composée d'hommes » : aucune femme ne recourt de gaieté à de cœur à l'avortement. Quelques applaudissements fuseront sur les bancs de l'Assemblée. Certains hommes ce jour-là comprendront la nécessité de mettre fin à un drame : l'interruption de grossesse clandestine. Ce que la nouvelle génération ignore peut-être ce sont les mots utilisés par Simone Veil pour exprimer sa volonté à faire adopter cette loi pour le droit à l'avortement afin de « mieux le contrôler et, autant que possible, le dissuader ». Ainsi la Simone Veil féministe se dévoile autrement dans ces pages où le discours est retranscris mot pour mot. Féministe oui, mais pas chienne de garde comme l'aurait voulu l'époque. La question de l'avortement soulève, dans son discours, mille autres questions : l'avortement n'est pas une affaire individuelle, il concerne également à ses yeux le père de l'enfant mais aussi la nation! Le comble du discours arrive avec cette nation pour laquelle on doit enfanter encore et toujours pour produire une population jeune mais également une pleine croissance! Simone Veil a très certainement mentionné ces termes de « croissance » et de « nation » pour rassurer sa vieille élite et ses collègues masculins, mais le propos semble avoir pris un sérieux coup de vieux quand on sait que l'on parle ici du corps de la femme et de sa personne.

 

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La lecture du discours mythique de Simone Veil prend une orientation tout à fait différente lorsque l'on ne le regarde pas par extraits sur le petit écran mais qu'on le tient bien fort entre ses mains. Simone Veil parlait nation, société et chiffres pour faire admettre aux hommes de l'Assemblée nationale que cette loi devait impérativement être votée pour mettre fin aux « 300 000 avortements qui mutilent les femmes, bafouent les lois et humilient ou traumatisent celles qui ont recours ». Près de trente ans plus tard, la loi Simone Veil (voté en majorité par les bancs de la gauche à l'Assemblée) se range au côté des grandes lois du siècle dernier qui ont peu à peu libéré la femme du carcan marital. Droit de vote en 1944, droit à la contraception en 1967, droit à l'avortement en 1974... Des dates qui aujourd'hui déclenchent stupeur et interrogation : oui, le Moyen Âge c'était bel et bien hier, les filles!





 

Tag(s) : #Histoires et pensées du Deuxième Sexe
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