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Femme parmi les hommes à ses débuts dans le cinéma, Agnès Varda a passé la majeure partie de sa vie à filmer, caméra au poing, les femmes de son époque. Sa filmographie présente aussi bien en haut de l’affiche des Jane (Birkin) et Sandrine (Bonnaire) que des glaneuses rmistes, des veuves de Noirmoutier ou des cubaines en pleine révolution. A tout âge, Agnès Varda fut là où battait le coeur du monde et en priorité surtout celui des femmes, ses soeurs. Actuellement sur les écrans, la reprise de L’Une chante, l’autre pas, long-métrage datant de 1977, prend des airs de symbole particulier dans une oeuvre singulière, à l’heure même où partout dans le monde les femmes (re)deviennent plus que jamais soeurs au travers de mouvements comme #MeToo.

Les femmes d’Agnès

Le chant des nanavortés

 

Celle qui chante c’est Pauline (exubérante et délicieuse Valérie Mairesse) , jeune fille que ses parents aimeraient « rangée » mais qui au contraire rêve de déranger son monde en arrêtant ses études pour devenir chanteuse. Avenir qui ne convient guère à son papa très vieille France. « Pour les filles qui ne font pas d’études, il n’y a que le mariage ou la prostitution » lui rétorque t-il.  Elle lui clouera le bec avec un radical « bah, c’est un peu pareil ». Autre appartement, autre ambiance avec celle qui ne chante pas : son amie Suzanne (Thérèse Liotard) dont la vie déchante depuis quelques années. Mère de deux enfants, elle en attend un troisième et doit faire face au suicide de son petit ami. Pauline, d’une tendresse infinie à l’égard de Suzanne et de ses femmes-soeurs en général, va aider son amie à avorter… à cette époque où l’Hexagone n’avait point encore connu le combat d’une certaine Simone Veil. Dix ans plus tard, Suzanne et Pauline se croisent lors du tristement célèbre procès de BobignyGisèle Halimi apparaît alors dans son propre rôle. Pauline est devenue « Pomme », chanteuse de textes engagés - du genre « Être plate ou ronde/ j’ai le choix/ mon corps est à moi » - en compagnie de sa troupe de saltimbanques. Quant à Suzanne, mère célibataire, elle élève ses deux enfants dans le sud de la France et travaille dans un planning familial.

Les femmes d’Agnès

Sans toi, ni loi

 

Avec ce récit qui s’étend sur une décennie - et pas n’importe laquelle - Agnès Varda dessine le destin individuel pris par la force collective. Le destin de chacune de ces "nanas éclopées de la baise" propulsées par la force conjuguée au féminin. Force qui verra la peur s’amoindrir au fil des années. Ces filles-là ont beau hésiter, elles n'ont plus peur de rien, du quand dira t-on, d’arpenter les routes, d’abandonner parents sans se retourner, de quitter homme et enfant comme Pomme ou d’élever seule deux bambins et se remarier comme Suzanne. Varda utilise pour la forme de son sujet engagé une trame fantaisiste bien à elle, où les mots semblent plus faciles à éclore en solo et couchés sur le papier. Elle imagine un attachant dialogue imaginaire entre ses deux héroïnes du quotidien ponctuée par des cartes postales témoignant d’une amitié profonde entre ces deux femmes différentes de goût, de caractère et de milieu social. 

Entre ceux deux-là - ces « nanavortés » comme le chante Pomme -  il y a tout ce que la morale de l’époque et de toutes les anciennes voulurent leur dérober : la liberté, d’avorter, d’aimer, de baiser, de se quitter. Les cartes postales racontent un peu de tout ça, de cette vie sur le fil en train de se faire comme des combats en train d'éclore. Tout ce que Pomme incruste malicieusement dans ses chansons comme tout ce que Suzanne, plus réservée, tente de faire émerger lors de ces réunions de femmes au planning familial. Sur l'écran, Varda et ses deux actrices écrivent la page d'une histoire individuelle qui devient page d'une décennie collective. C’est un film d'époque qui en dit long sur l'instant qu'il chante en choeur, sur le moment qu'il raconte, celui joué par des filles que la morale d'alors jugeait perdues, filles paumées, filles mères, filles qui faisaient tache dans le décor d’une France pompidolienne et qui ne manqueront pas d’en finir avec la loi de papa, cette loi qui « ne vaut plus rien ». Un film sur les coeurs mis à rude épreuve mais qui feront de ces instants une difficulté partagée dans la joie. 

 

Varda filme les errances du coeur et des corps, les errances qui n’ont point besoin de jugements de valeur, point besoin de cadre, juste d'une soeur avec qui agir. "Avec Suzanne c'est comme l'amour mais sans salades" explique Pomme à son compagnon. L'histoire des nanavortés durera plus qu'aucune autre et sa reprise en salles, attirant un public aussi fidèle que renouvelé, est bien la preuve que les lendemains qui chantent ne peuvent naître sans passé, sans connaissance des combats d'antan. Cette question de filiation, d'héritage est indissociable de l'oeuvre de Varda, et de ce film en particulier. Celui-ci n'est pas dédié par hasard à Rosalie, la fille d'Agnès Varda et de Jacques Demy, qui fait d'ailleurs une courte apparition dans le rôle de la fille de Suzanne en fin d'adolescence. L'une chante, l'autre pas est fait pour elle, mais aussi pour Mathieu son frère, qui enfant à l'époque du tournage hérite du trop court rôle d'un petit garçon croisé par Pomme et sa troupe. Cette dédicace et ces présences à l'écran annoncent déjà ce qui vient après le combat durement gagné : un autre combat s'organise au sein de la famille, comment ne pas désavantager les filles, comment éduquer pour l'égalité garçons et filles ? Tentative de réponse cinéphile : en obligeant les deux sexes à se faire toute la filmographie d'Agnès Varda. 

Tag(s) : #Cinéma, #Agnès Varda, #féminisme, #Histoires et pensées du Deuxième Sexe, #Valerie Mairesse, #Thérèse Liotard, #années 70
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