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Film new-yorkais ultime d’après le King de New York, Marty Scorsese himself, Bad Lieutenant, le vrai, celui du sulfureux Abel Ferrara, profite de la moiteur estivale pour ressortir son climat poisseux, sale et profondément corrompu en version restaurée sur nos grands écrans et petits cinémas.

 

Le Bad Lieutenant en question c’est Harvey Keitel. Pas au meilleur de sa forme donc fatalement au top niveau interprétation. Dans la ville qui ne dort jamais, il est l’anti-Serpico. Le flic pourri jusqu’à la moelle qui, dès la scène d’ouverture, après avoir déposé ses gosses à l’école, sniffe à la va-vite, au grand jour et dans sa bagnole, ce qui lui reste de poudre blanche. Geste annonçant l’acabit de tous les autres à venir dans ce bad trip new-yorkais défoncé et en quête de rédemption. New York capitale de la défonce, vous pensez certainement l’angle vu et revu. Mais en vérité vous ne l’avez pas perçu encore sous l’angle 100 % descente aux enfers de Ferrara et avec Keitel en rôle titre - à l’unanimité son meilleur.

 

Copyright : Bad Lt. Productions

Copyright : Bad Lt. Productions

Voyage au bout de l’enfer

 

La routine de ce Bad Lieutenant s’apparente à une déambulation camée et noire dans une ville qui à chaque coin de rue suinte le désastre. L’homme sans nom use et abuse de son insigne pour outrepasser ses droits et assouvir ses vices, drogues en tout genre et jeux avec. Les paris clandestins lui font perdre des sommes astronomiques et une radio de bagnole en prime (il faut voir la scène pour comprendre la détresse du type). Avec toutes ces dettes accumulées et d'autres ripoux qui l'acculent, il va falloir qu’il se refasse une santé et reremplisse vite le tiroir-caisse pour éviter de finir six pieds sous terre comme nombre de ses acolytes flics ou voyous. Un jour, la lumière fut, et tout ça par l’intervention de la noirceur humaine. Chez Ferrara, ombre et lumière ont beaucoup en commun. Voici ce pécheur invétéré obligé d’entrer dans une église. La cause ? Une nonne y a été violée - on vous épargne les détails à vomir, on est chez Ferrara et on est surtout dans un vrai fait divers à ceux qui jugeraient la scène violente. La victime connaît ses agresseurs, mais par charité chrétienne, elle refuse de les dénoncer. La paroisse offre alors une récompense de 50 000 dollars à celui qui retrouvera les criminels. Le bad lieutenant croit voir dans cet abject fait divers une possible voie de salut. L’occasion de se renflouer mais surtout de se repentir.

 

Copyright : Bad Lt. Productions

Copyright : Bad Lt. Productions

Jesus died for somebody’s sins

 

Il faudra 18 jours pour mettre en boîte ce polar pervers à tentation christique sans scénario étoffé sans thune et encore moins d’autorisations de tournages officiels. Autrement dit : une autre époque. Tous les ingrédients indé réunis pour produire un film culte, que la légende se plaît à taxer de « rock’n’roll ».  Le genre d’appellation qui peut prendre quelques rides et qui ici, dans la morale ambiante, la découverte en salle de de ce film noir au goût âpre, semble des plus appropriés, tant tout y semble inapproprié. De la scène de viol à un plan séquence insoutenable où la scénariste himself du film - et junkie à ses heures perdues -, Zoë Lund, administre un shoot expéditif au lieutenant accompagné au passage d’une tentative d’explication sur l’intolérable cruauté de l’existence ici-bas « Les vampires ont de la chance, ils se nourrissent des autres. Nous devons nous nourrir de nous-même. On doit se manger les jambes pour avoir la force de marcher. Il faut décharger pour se recharger, il faut se sucer à fond, se manger jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de nous sinon la faim». Abel Ferrara suce le sang de son acteur dévoué corps et âme (il se dit que la scène de shoot n’en serait pas une) pour en tirer à l’image le mal qui le ronge dans cette ville d’arrière plan en plein chaos.

 

Au bord de la démence, Keitel, aussi fantomatique que massif, est de tous les plans dans la ville aux buildings écrasants. Hagard, inquiet, criard, il erre tel un mouton égaré dans un New York pris sur le vif. Dans cette descente infernale, ponctuée de bad bad things - à la limite de l’écoeurement parfois -, le bad lieutenant brille dans son échec en échouant au pied d’un Christ sacrifié sur sa croix, apparu tel un messie (forcément !) au centre du choeur et de la scène de viol . Cette vision incroyable aurait pu tourner au ridicule, mais comme le reste de ce long-métrage, Ferrara s’y emploie à faire sentir encore plus qu'à montrer. Et cette apparition divine de quelques minutes transcende toute ces visions glanées d’une ville transfusée aux acides, poudres blanches, violences et corruptions en tout genres.

 

La rédemption dans ce foutoir de perversion, je ne l’avais personnellement pas vu venir. Comme la nonne, le bad lieutenant offre son pardon aux coupables, aux marginaux, sans doute avec le mince espoir de son propre pardon. Cette ville dédale, c’est son chemin de croix à lui. Cette rédemption qui apparait en fin de course est nul doute l’explication de l’amour de Marty Scorsese pour ce Ferrara-là. « C’est un film clef, j’aurais aimé que La Dernière Tentation Du Christ lui ressemble. Mais je n’ai pas obtenu certaines images, sans doute parce que je traite directement de l’image du Christ. […] C’est un film exceptionnel, extraordinaire, même s’il n’est pas au goût de tout le monde. […] C’est également un film pour lequel j’ai la plus grande admiration. On y voit comment la ville peut réduire quelqu’un à néant et comment, en touchant le fond, on peut atteindre la grâce. C’est le film new-yorkais ultime. […] Si on ose, il faut suivre le personnage jusque dans la nuit. C’est pour moi l’un des plus grands films qu’on ait jamais fait sur la rédemption… Jusqu’où on est prêt à descendre pour la trouver… ». Le personnage de Keittel l’a trouvant, il pourra disparaître, une balle dans la tête en plein New York, à heure de forte influence en bas de la Trump Tower. Eblouissement final d’un film crade, dérangeant, pourtant touché par la grâce dans un monde déjà disgracieux.

Tag(s) : #Cinéma, #Abel Ferrara, #Harvey Keitel, #Frankie Thorn, #Zoë Lund, #New York
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