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La voiture était en panne. Le coeur de Nino Ferrer avec. Lui n’a jamais redémarré et la radio du garagiste cracha un simple « Nino Ferrer s’est suicidé ». Je me souviens que ma mère-grand avait les yeux embués. De toute façon, tout ce qui la séparait un peu plus de ces années précieuses, Trente Glorieuses heureuses, l’affectait. En éternelle poisseuse, j’hériterai du même mal et je finirai par ne plus me moquer de cette tare familiale.

 

Nino Ferrer, ex-aequo avec Yves Simon, faisait partie de la catégorie de ces types avec lesquels on m’avait bassinée enfant. Yves chantait Manon et Juliette. Nino se chargeait de Mirza et Gaston. Alors bête et disciplinée je retiendrais ces prénoms stupides et les textes qui vont avec. Ce 13 août 1998, j’avais onze ans et déjà certainement très sensible quant aux choses de la vie, le genre de chose diffusée sur un grand écran ou une platine, j’étais triste d’apprendre dans ce garage du trou du cul du monde la mort de Nino Ferrer d’une balle dans le coeur. Mère-grand, commentatrice dans l’âme des choses de la vie, avait cru bon de lâcher un truc du style « il n’était pas heureux ce pauvre gars ». Mais n’ayant pas encore fait l’expérience des différents degrés du malheur et connaissant par coeur les chansons rigolotes de Nino, je me demandais comment une telle histoire était possible. Pas être heureux quand on chante « où est donc passer ce chien », quelle idée !

 

Le faux fanfaron

 

20 ans plus tard, les choses de la vie un peu mieux captées par mes soins, l’histoire me semble enfin plus que probable parce que plus que commune. Des gens enfermés dans un costume pas taillé à leur mesure, c’est monnaie courante dans le monde moderne. C’était l’histoire de Nino Ferrer pendant ces Trente Glorieuses heureuses. Amuser la galerie avec des chansonnettes absurdes sur une Face A pour remplir les caisses du monsieur en blanc aka Eddie Barclay alors que son désir profond était de jouer de la musique de black et chanter dans la langue première du rock. Nino Ferrer devait son succès à ce qu’il exécrait le plus : des tubes faciles, bien rythmés où l’humour s’imposait comme une marque de fabrique, triomphant sur le sens du rythme justement. Une forme de soupe potable pour les ondes et la tribu de baby-boomers qui voulaient s’amuser. Les tubes chéris très certainement par ma mère-grand et consorts étaient aux antipodes de la nature profonde de cet italien, fils de bonne famille, qui lorgnait clairement outre-Atlantique tendance New-Orleans pour s’inspirer. Pas du genre pâle copie conforme d’un tube ricain pour plaire au public comme en abusait les copains de l’époque. Copains que Nino ne saluait pas, ne désirant pas faire partie de la bande. Ferrer faisait bande à part. Utilisait la soul music et le jazz pour apporter un écrin nettement plus soigné à ses chansons qui faisaient pouffer de rire l’Hexagone sur la Face A. Mais Face B, le gars avait envie de prendre la poudre d’escampette, quitter Paname pour se la jouer dandy hippie au coeur du Lot, peindre et médire sur la société du spectacle, avant de retourner une arme contre lui.

I made this song
Cause I love you
I made this song just for you
I made this song deep in my heart

Looking for you, Nino Ferrer

Nino le freak

 

Mais j’ai sauté l’étape qui nous intéresse. Dernier quart d’heure de gloire pour ces seventies heureuses. Nino Ferrer, malin, prend l’oseille et se tire direction le sud. Moyen financiers et créatifs font alors la pair pour faire naître le premier chef-d’oeuvre, première fausse note pour Barclay, bonne note pour la musique. Ca s’appelle « Metronomie », ça sort en 72, du genre calibré comme un concept-album très court (32 mn) avec des morceaux de bravoure dont une ouverture éponyme et instrumentale, prolongeant le plaisir de 9.18 minutes, pour te faire bien comprendre qu’on n'est pas là pour rigoler. Le chanteur de variété cinglante va enlever son masque d’usurpateur. Les enfants de la patrie yéyé vont prendre un petit coup dans le nez avec ce Nino en pleine possession de ces moyens, psychotropes et diversité des instruments aidant. « Blanche neige, opium, haschich » s’énumèrent dans l’hymne social aux airs de transe « Cannabis », quand sur « Les enfants de la patrie »  Nino égratigne le mythe patriotique et les jeunes gens partis la fleur au fusil : « souffrir un peu, mourir un peu pour rien ». La chanson française et ses foules, elles, retiendront la douce « Maison près de la fontaine ». Les amateurs de rock progressif eux lui préfèreront l’album en entier. Des années plus tard, « Metronomie » entrera au panthéon des 100 disques essentiels du rock français de Rock&Folk.

 

La petite fille que j’étais en 1998 n'avait aucune connaissance de cette légende née dans le Lot aux prémisses des années 70. Non, en vrai cet amour pour l’anti Nino de mon enfance, je le dois à l’expo « Daho l’aime pop », expo présentée début 2018 à la Philarmonie de Paris et retraçant la trajectoire grandiose et éparse de la chanson française, côté face mais surtout côté pile. La face B de Nino et surtout cet album né dans l’après « Metronomie », dont l’expo fait écho : « Nino and Radhia ».

 

Sur la pochette de l’album en question,  un Nino barbu façon Beatles fin de course, pose en costume tiré à quatre épingle avec, à ses côtés, appuyée sur son épaule, une beauté nue, la fameuse Radhya Frye (américaine, chanteuse, danseuse et accessoirement mère de Mya). Coup de foudre artistique, ces deux-là livrent en cette année 1974 cet album ovni entièrement en anglais. L'ouverture en anglais donne le ton : sous le soleil exactement avec le fameux « South » future tube que Nino sortira aussi en version française. Mais la route à prendre est ailleurs. Sur la face A, elle s’appelle « Moses ». Sur la face B, elle prend le nom de « Looking for you ». Deux titres du genre à écouter en boucle, à emmener avec soi pour s’en saouler. Le premier déborde de cuivre. Le second jette son dévolu sur vous avec un simple clavier et d’une batterie lancinante, sans négliger le charme supplémentaire dessiné par le ballet de voitures et de mobylettes qui filent on ne sait où. Comme cet album, comme Nino. C'est l'album symbole d'une époque, celle pas calibrée par la morale ou une maison de disque - Barclay ne voudra pas de cet album en anglais et en duo, alors Nino prendra la poudre d'escampette chez CBS. Un album plus joli que les autres, où "on dirait le sud" et où "le temps dure longtemps", mais pas uniquement sur la chanson qu'on imagine. Sur toutes les pistes et les deux faces, cet album arrache le temps au temps. Il n'y est question que de ça dans la vie de Nino. Prendre son temps, vivre à contre-temps et foutre le camp. 

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