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Vous connaissez la chanson ? Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents gauchistes. Le cinéma français a toujours fait de la résistance en douce pour entonner avec fougue les souvenirs du joli mai et autres temps des cerises. De temps en temps, sur le grand écran, réapparaissent les bandes de potes mélancoliques à l’égard des victoires de courte durée ou alors des énergiques héroïnes motivées pour ne pas faire taire les idéaux transmis par des parents trop gauchos.

 

Angèle, l’héroïne de Tout ce qu’il me reste de la révolution appartient à cette seconde bande. Celle qui vous balancerez volontiers qu’on en fait jamais « trop » quand il est question d’idéaux, de politique. Pour améliorer concrètement le quotidien des gens, Angèle a choisi d’être urbaniste dans une ville où la communication entre les gens semble avoir désertée les trottoirs. Biberonnée au militantisme, elle a grandi dans l’idéalisation des promesses des lendemains qui chantent, auprès d’un papa à tendance maoïste, d’une maman qui a abandonné le combat au début des années 2000 pour vivre seule à la campagne et d’une soeur qui, elle, a choisi le monde de l’entreprise. Au sempiternel « Choisis ton camp camarade », Angèle a choisi le sien depuis l’enfance. Elle ne fonctionne qu’ainsi, ne demande que ça à son entourage : une fidélité au joli mai et à ses croyances, croyances disparues de bien trop de consciences.

Le fond de l'air est toujours rouge

Vouloir changer le monde n’a jamais fait l’unanimité au cinéma. A coup sûr le révolution dans le titre en fera fuir plus d’un.e. Causer des illusions de ce bon vieux Marx et de ses camarades sans causer la caricature, voire l’ennui, a quelque chose de périlleux comme la lecture du grand Karl. Comme souvent chez les auteurs de cinéma qui ont grandi à gauche de l’échiquier politique, le langage choisi ici est l’humour. Plus précisément : l’art de râler haut et fort pour provoquer les rires avant de chahuter les consciences. Le temps de la réflexion sur le temps des cerises jamais advenu viendra juste après les rires généreux. Des rires comme des contre coups.

 

A la tête de ce film au langage fleuri, Judith Davis endosse légitimement le premier rôle. Un rôle de prédilection pour cette trentenaire élevée au militantisme et au travail en bande. Son premier film est adapté de la pièce « Tout ce qu’il nous reste de la révolution, c’est Simon… » du collectif  L’Avantage du Doute. Cette troupe, où la notion d’engagement domine largement, est naturellement au casting du film. Si Angèle est la pierre angulaire du récit, autour d’elle gravite des seconds rôles qui ont tous leur pierre à apporter à l’édifice qui est en train de se monter sous nous yeux de spectateur. Edifier le constat d’une société édifiante ou une double révolution, sociale et personnelle, qui peine à aboutir, telles sont les grandes lignes de ce film aux allures de joli pied de nez au monde « en marche ».

 

Avec cette petite fable moderne pleine d’énergie, Judith Davis tente de réveiller la génération que la presse aime taxée de « génération prozac » comme le titre une une de L’Express et qui récoltera un tag rageur de Angèle. Cette génération, la réalisatrice l’extirpe de ses appartements parisiens classiques, de ses terrasses ennuyantes, de sa dépendance aux écrans et de ses habituels déboires nombrilistes dans laquelle on adore l’enfermer. Elle lui fait prendre l’air en la baladant sur la Petite Couronne, en lui passant des chants de l’armée rouge et en filmant ce périphérique qu'elle chérit tant aux allures de fractures béantes.

Le fond de l'air est toujours rouge

 

La fracture béante elle est signifiée dès les premières images où Angèle sur le trajet de son travail doit affronter un lot d’individus indifférents dans une ville où l’urbanisme est devenu ennemi. Arrivée au travail, la seconde fracture lui explose à la face. Face à elle, ses deux patrons - dont un ancien soixante-huitard - lui entonnent le refrain préféré du monde moderne fait de « on ne peut pas garder un second salarié », « tu peux être auto-entrepreneuse plutôt que chômeuse », « moi, à mon époque ». Au fatalisme de l’ancienne génération, Angèle/ Judith n’a pour réponse que son éducation, son rêve jamais mort, ses idées sans trêve. Son monologue survolté donne le ton de ce qui va suivre. Avec elle, le fond de l’air est toujours rouge. De ses happening hilarants à Pôle Emploi à ses groupes de parole aussi absurde que savoureux pour faire avancer la société, Angèle politise tout ce qu’elle croise… même une possible aventure amoureuse.

 

Cette aventure de cinéma collectif, politique, vitaminée à l’humour et à l’idéologie marxiste plaira à qui trouve le cinéma français un brin silencieux, réfractaire au vieux rêve de changer le monde. A qui sera un brin nostalgique de la dernière héroïne française en date a avoir pratiqué la politique H24 sur nos écrans : Bahia Benhamoud alias Sara Forestier dans Le Nom des Gens. Dans une société où il ne faudrait plus s’endormir sur ses lauriers, ne plus rêver, pratiquer la rentabilité et la haute trahison, Angèle pousse des gueulantes savoureuses, des gueulantes qui traversent l’écran  pour vous faire travailler les zygomatiques, puis les idées et un peu le coeur. Ce petit film sans prétentions paraît grand dans son dernier quart d’heure, une réunion familiale où Angèle est bien obligée de revoir un peu sa copie quand elle comprend que le petit bourreau de l’entreprise - à savoir son beau-frère - peut se révéler victime. Exercice qui lui servira lui aussi. Il finira par intégrer la bande citoyenne d’Angèle pour faire avancer un truc qui doit ressembler suppose t-on au fameux "vivre ensemble", et plus vastement à ce que doit ressembler la vie. « Ce n’est pas un peu réducteur de se présenter par sa profession ? Je ne dis pas ça parce que je n’en ai pas » lâchera t-il. Une réplique qui ne lâchera pas le spectateur. Comme le vieux rêve entretenu par ce modeste film aux dialogues savoureux. Une énergie, une révolution, un cinéma militant. Militant et divertissant.

Tag(s) : #Cinéma, #Tout ce qu'il me reste de la révolution, #critique, #révolution, #gauche, #L’Avantage du doute, #Judith Davis
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