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En bonne cinéphile sentimentale, il m’arrivait parfois de penser au départ de plein de gens aimés, mais jamais à elle. Je pensais aux hommes de cinéma préférés - je reste polie pour ne pas dire « vieux cons préférés » - entêtés dans leur connerie ou leur silence, mais jamais à elle. Elle, contrairement à eux et à d’autres, elle incarnait bien trop la curiosité pour son époque, pour la vie pour que je puisse imaginer qu'on lui retirerait un jour. Et voilà comment je me suis retrouvée encore une fois avec une certitude volée en éclat. Tant pis pour moi.

 

Varda s’en va et elle laisse comme unique certitude, héritage, réconfort, des films et des documentaires. Des images qui ne disparaîtront pas dans les méandres du siècle suivant et qui continueront à raconter, sous son écriture douce et fantaisiste, l’histoire du siècle précédent. En revisionnant ces fameuses plages, brillant et farfelu exercice autobiographique sorti sur les écrans en 2008 pour ses 80 balais, il m’est impossible de ne pas revisionner les mots par lesquels Annie Ernaux concluait ses précieuses Années, publiées en 2008 également.

 

« Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ».

 

Les mots d’Ernaux c’est comme le cinéma de Varda. Le même soin apporté aux détails, aux « choses de la vie », la fantaisie en moins peut-être, mais l'extrême finesse pour poétiser le temps qui passe toujours. Varda, elle, a sauvegardé le temps appareil photo ou caméra au poing. Sauvegardé toute cette mémoire collective cousue au fil d’or de ses souvenirs personnels. Les souvenirs bavardant en images sur une France disparue, celle de nos grands-parents, sur un monde sur le point de se refaire ou de se défaire, celui de nos parents. Varda a mis tout ça en boîte. Mieux, elle a mis les mains dans le cambouis de l’histoire. Intégrer le TNP pour prendre des photos des immortel.l.e.s Vilar, Philipe, Casarès. Partir en Chine et à Cuba prendre la température d’un fond d’air bien rouge alors. Signer un manifeste, manifestement mal vu pour l’époque et incarner pour le reste de sa vie une féministe joyeuse mais en colère. Glaner avec délicatesse et inventivité l’air du temps à Los Angeles avec Jim Morrison, dans sa rue Daguerre avec son boulanger, sur les trottoirs des marchés de Paris avec des inconnus ou à Noirmoutier avec des veuves.

 

Cette « mamie new wave » qui a esquissé quelques pas de danse avec Angelina Jolie en 2017 devant une salle pleine de stars américaines, cette partenaire de route d’un photographe du moment ou copine d’un soir de Madonna, cette « petite vieille rondouillarde et bavarde » comme elle se présentait avec humour en ouverture de ses plages a toujours mis les autres au centre de ses projets. Même quand elle revenait sur son itinéraire de vie dans « Les Plages d’Agnès » ou plus récemment dans le documentaire « Varda par Agnès », sur la route de son récit, les autres avaient la priorité. Des autres connus ou invisibles. Car Varda a peu tourné avec des stars, mis à part « Les Cents et une nuit de Simon Cinéma ». Varda a préféré les complices, les amis, les voisins, les gens croisés ici et là, de son territoire de jeu à la Pointe Courte à sa rue emblématique et parisienne. Ceux qu’aujourd’hui on aurait la sale tendance d’appeler « les vrais gens », Varda les a intégré à son cinéma dès l'aube des années 50, car ils étaient la vérité de son monde, sa matière première, sa source d'inspirations. Ces anonymes, ouvriers, artisans, commerçants, marginaux, glaneurs dans l'objectif de la première des glaneuses de France. Ses films semblaient toujours propice à s’ouvrir à l’imprévu, aux autres donc, comme dans cette scène de « Documenteur » où la dispute d’un couple externe à la scène filmée alors, éclate et donne subitement envie à Varda de l’intégrer. D'en faire de la matière première.

 

 

M’ouvrir à l’imprévu, j’en ai horreur. Ce qui explique certainement mon attraction pour Varda et sa clique, et plus largement le grand écran. Tout est plus facile au cinéma. Un jour, il y a une éternité, en cours de ciné, mon prof m’a confiée quelques VHS de films à voir impérativement façon « pour faire ton dossier sur la Nouvelle Vague, il te faut visionner ça, fillette ». La fillette s’est exécutée découvrant alors Cléo/ Corine Marchand, son regard face caméra et sa voix intérieure. Ce casque d'or nouvelle génération se baladait dans Paris en attendant la mort. Et sa liberté de nous parler, d’errer m’en évoquait immédiatement d’autres, bien différentes, celle de garçons prénommés Antoine ou Michel. J'avais 17 ans, j'étais sérieuse, je n'avais pas Internet, juste quelques bouquins, VHS et DVD sous la main, je ne savais rien des connexions, des complicités, des arrangements, des coexistences, des clins d’oeil, voire des emprunts, des coups de main, tout ce qui a fait l’histoire de cette  fameuse, précieuse, enviée, parfois pesante Nouvelle Vague. Ce faux mouvement commun où chacun, aidé des autres, jouait habilement à faire bande à part. Varda a expliqué que son intégration au mouvement qui a bouleversé le cinéma français elle la devait à Georges de Beauregard, producteur phare de la bande, qui aurait demandé à Jacques Demy suite au tournage de « Lola » si « à tout hasard, il n’avait pas un copain qui voudrait faire un petit film, pas cher ». Demy n’avait pas de copain mais une copine : la Varda.

 

 

Après Godard, après Demy, Varda livrait à son tour à Beauregard son film Nouvelle Vague. La livraison en question c'était Cléo, son "Sans toi" et son petit chat. Nous étions en 1962, alors que le premier film respectant les quelques principes initiés par les garçons des Cahiers, exposant les prémisses du mouvement, Varda l’avait signé dès 1956 avec « La Pointe Courte » monté en duo avec un certain Alain Resnais. Agnès n’avait pas attendu les garçons, leur amour du cinéma américain envié, célébré, copié pour expérimenter toute seule la liberté avec sa copine la caméra. Dans cet univers exclusivement masculin, elle a expérimenté le métier de cinéaste. Quand ses copains des Cahiers filmaient des garçons désireux de s'extirper des normes et confiaient les seconds rôles à des femmes parfois "infâmes" selon mon garçon préféré, Agnès Varda, plaçait la femme au centre de ses films. Cléo, Pomme, Mona livraient à l'écran le même combat cher à Agnès : une vie libre, bien à soi. Cultivant son charme, son bricolage bien à elle.


Varda était la moins cinéphile, certainement, la plus aventurière et la plus expérimentale assurément. Si elle a pratiqué le cinéma comme une ethnographe, à la manière de son grand copain Chris Marker, elle l'a aussi expérimenté comme une petite savante folle dans son laboratoire de la vie, une savante à contre-temps et pourtant terriblement dans l'air du temps.... tout comme mon garçon préféré.

 

Il est étrange de les comparer tant Godard est devenu un ermite hermétique aux yeux de la majorité et  Varda une grand-mère sans âge cool et connectée pour tous. Ils ont pourtant plus de points communs qu'on l'imagine. Même amour du collage, du langage, de la peinture, de la technologie, de la vie en solo et de l'imprévu. Même pratique du trait d'esprit, de l'humour. Point commun qui les avait réuni le temps d'un film en noir et blanc, au charme emprunté au cinéma muet, «  Les Fiancés du Pont MacDonald », où Varda filmait ce Godard tendre et imperceptible caché derrière ses légendaires lunettes noires. Ce Jean-Luc qui bouscula les codes en 1959, quand elle le fit dès 1956. Ce Godard plus filou, plus féroce, plus ingénieux que les autres. Comme elle au fond. Ce Godard qui lui a posé un lapin dans sa dernière aventure documentaire menée avec JR, « Villages, Visages ». Celui-là même qui fit verser quelques larmes à Agnès, et par effet domino à nous-mêmes, devenant un salaud pour quelques minutes seulement. Mon amour vieux de 15 ans déjà pour ces deux-là, me fait espérer qu'aujourd'hui, peut-être, les lunettes noires de Godard cachent des larmes pour Agnès, et tout ce temps qu'elle a si bien su sauvegarder à l'écran. 

 

A voir et revoir sur Arte quelques bavardages 100 % Varda

 

Tag(s) : #Cinéma, #Agnès Varda, #Nouvelle Vague, #Varda, #disparition, #Jacques Demy, #Jean-Luc Godard, #Georges de Beauregard
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