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Récemment, les Cahiers du Cinéma affichaient en couverture cette question « Pourquoi le cinéma ? ». Du fait de son nombre mirobolant de possibles réponses, elle paraissait vaine et ne m’a pourtant guère empêché d’embarquer l’objet en question. Dès la troisième page, l’unique réponse qui vaille débarquait. Une réponse comme un flash-back en accéléré sur des décennies de cinéphilie, à vous en décrocher en moins de deux une larme facile à la simple évocation d’une enfance évanouie.

Et moi qui revoit cette séquence , je suis connecté avec celui que j'étais à 16 ans lorsque je l'ai découverte, ce qui répond à une question de Jean Louis Schefer dans L'Homme Ordinaire du Cinéma : un film a t-il le pouvoir de reproduire son premier spectateur ? Oui car l'émotion était aussi renversante, mais différemment , parce que cette fois j'étais transpercé. Cette scène primitive était comme un talisman protecteur, un mur face à l'ignominie du monde : la perte de l'innocence, jamais

Stéphane Delorme, La Corde sensible (Cahiers du Cinéma, n°742°

Ready Player One produit le même effet que cette phrase. Le lien serait certainement peu apprécié par Les Cahiers. Pourtant Spielby fait incontestablement partie de cette bande précieuse qui a donné goût au cinéma à un paquet de gamins, cinéphiles en devenir. Sa dernière production est un appel en bonne et due forme au gosse que vous souhaitez à jamais maintenir en vie en vous, un appel pour lui dire de rappliquer et de s’appliquer à entretenir avec tendresse ses 10 piges. Un morceau de bravoure pas fastoche que l’éternel gosse prodige qu’est Steven Spielberg révèle lui haut la main, en pulvérisant en l’espace d’une ouverture seulement, aussi lumineuse dans la forme que noire sur le fond, vos quelques a priori restants sur les films de SF - vous rappelant au passage votre stupidité d’adulte snob - car quoi de plus brillant que la SF pour vous tendre un miroir envers votre abjecte réalité d’adulte ?

Play it again Spielby

Le contexte. Inspiré d’un roman à succès d’Ernest Cline,  Ready Player One démarre au quart de tour dans un futur peu glorieux. Le décor ? 2045 Columbus (Ohio), ville dépotoir où les  quartiers sont des bidonvilles surpeuplés dont le seul horizon est une masse d’échafaudages et ses habitants qui vivent casques de réalité virtuelle vissés sur la tête, joueurs H24 d’un jeu hautement addictif : les mille paradis virtuels de l’Oasis. Blockbuster des jeux vidéos crée par un éternel gamin - encore un ! - nommé James Hallyday, et disparu quelques années plus tôt, non pas sans laisser une dernière énigme à ses fans… Tous les gamers sont invités à partir à la recherche d’un fameux « Oeuf de Pâques » planqué dans ces univers virtuels avec à la clé 500 milliards de dollars et le contrôle de l’entreprise star.  Le réel plus que sinistre étant à fuir, les gamers s’en donnent à coeur joie pour dénicher le Saint-Graal, Wade en tête (Tye Sheridan, gosse repéré dans Mud), un adolescent - forcément - idéaliste et timide connaissant par coeur l’histoire et la philosophie du créateur. Mais comme dans chaque aventure du roi du divertissement, une bande de méchants n’est jamais très loin pour manigancer et faire triompher les vilaines tares de l’âge adulte : le pouvoir et l’argent à tout prix.

Papy Spielby et l’enfant roi 

Au fond, Papy Spielby est resté un gosse biberonné aux classiques américains d’antan ET fasciné par la pop culture qui l'a fait naître à la vie de cinéaste star à la fin des années 70. La rencontre des deux pans qui constituent la cinématographie de ce ponte de l’incontournable Nouvel Hollywood n’est, par conséquent, qu’euphorisant pour deux types de spectateurs bien ciblés : les éternels gosses et les cinéphiles - forcément nostalgiques - du ciné pop culture/pop-corn. Remplissant en grandes parties les trois cases, j’ai été hypnotisé par Ready Player One avec les mêmes yeux que l’enfant que j’étais à l’aube des années 90 quand j’ai croisé sur le petit écran familial ce drôle d’E.T murmuré à ce sensible Elliot en désignant son coeur : « Je serai toujours là ». 

Avec ce film, Papy Spielby nous murmure quelque chose du même acabit. Du style « mon cinéma - et plus largement LE cinéma - sera toujours là pour contrer l’abjecte réalité ». Les détracteurs auront beau détruire, les spectateurs euphorisés par le rythme incroyable des aventures de Wade et de sa bande dans cette machine à grand spectacle n’en auront que faire des critiques classiques. Car peu de cinéastes  en 2018 permettent à l’enfant qui sommeille en vous, abruti par ses années de vie d’adulte, de se réveiller émerveillé. Spielberg fait de la résistance dans ce monde d’adultes et vous le permet en retour. Ses ficelles sont parfois grossières pour nous maintenir debout, on vous l’accorde. Il n’a toujours pas quitté sa casquette de petit père la morale qui agite inlassablement les mêmes ingrédients : forces du bien face à celles du mal, le tout incarné par une flopée de personnages un brin clichés dont deux d'entre eux connaîtront une histoire d’amour accessoirement cliché elle aussi. Les critiques s’arrêtent ici. Car malgré la traditionnelle sacro-sainte morale de Spielberg triomphe toujours l’amour sans frontières du cinéma. 

Play it again Spielby

Une déclaration d'amour au cinéma


« Les seules ­limites de l’Oasis sont celles de votre imagination » disait le créateur de l’Oasis, James Hallyday, personnage d’outre-tombe que le spectateur ne peut s’empêcher d’associer à la fois à Spielberg himself et à un autre génie visionnaire de la trempe de Steve Jobs. Avec Ready Player One, le cinéaste abat une à une toute les frontières, entre réalité et monde virtuel, entre personnages réels et avatars numériques mais aussi entre les cinémas. Le film passe avec fluidité les allers-venus entre ces mondes virtuels et réels tour à tour enchantés, apocalyptiques et terriblement captivants pour le spectateur qui assiste à la naissance d’un monde éphémère en quelques secondes seulement. L’intrigue pourrait se révéler complexe dans ce dédale d’univers aux décors impressionnants mais c’est comme si le spectateur se laissait envahir par la surpuissance de l’écran et des images spectaculaires, devenant surpuissant à son tour pour tout comprendre. Tenu en hypnose par l’ensemble, il est quasi impossible d’y perdre le fil. D’une course poursuite effrénée dans un New York virtuel semé d’embûches purement cinématographiques (ce bon vieux King Kong en tête), on passe à une scène merveilleuse où les deux protagonistes stars dansent en lévitation sur un dance-floor futuriste dont la bande-son emprunte pourtant à un classique du cinéma américain des années 70, La Fièvre du Samedi soir. Le tout pour faire jaillir de leur ventre des Aliens farceurs.

 

Multiréférencé, Ready Player One l’est par fidélité à son roman éponyme où l’auteur Ernest Cline multiplie les clins d’oeil à l’œuvre du réalisateur d’E.T., et non comme un paquet de films pour se flatter d’être entre happy fews. Ici inutile d’être fin connaisseur, vous goûterez à la puissance de la pop culture, n’importe qui ayant grandi dans ces périodes (encore) bénites des dieux du cinéma saura retrouver une référence qui touche à son âme de gosse. Nul doute que le clin d'oeil le plus bluffant date d’un temps que la majorité n’a guère connu projeté sur un grand écran. Avec sa référence, mieux encore, sa séquence consacrée au Shining de Kubrick, Spielberg explose toutes les frontières spatio-temporelles et décroche la Palme d’or de l’hommage ultime. Scène hallucinante, Wade et les siens entrent littéralement dans Shining pour y retrouver une clé du jeu. Tous les Steven Spielberg parlent dans cette séquence. Le fan de Stanley Kubrick - qui avait repris le dernier projet du cinéaste A.I Intelligence Artificielle -; le fan de cinéma, Shining fait figure de légende dans l’histoire du cinéma mondial; enfin le génie de cinéma car utilisé le film aux mille et une interprétations pour y cacher une clé du jeu vidéo star tient du génie; et enfin le gamin, le Spielby le plus touchant qui intègre à cette séquence humour, avec un personnage prêt à suivre les jumelles diaboliques, et tendresse, avec deux âmes soeurs qui se manquent. 

 

Cette scène témoigne à elle seule du caractère précieux de ce film qui nous a tendu les bras un samedi après-midi où rien nous emballait au cinéma. « Tiens, pourquoi pas un Spielberg ? ». Pourquoi pas un retour aux premiers émois, une bonne histoire, des gamins et un miroir tendu, peu importe la carapace blockbuster. Avec ce film ultra-futuriste et ses mondes artificiels, Spielberg raconte notre réalité archi-connectée vécue par le prisme d’une flopée d’anciennes start-up faussement cool susceptibles de nous confisquer données et sentiment de liberté qu'on croit gagné en échappant à la réalité. Contrairement à ce qu'elles pourraient laisser paraitre, les multiples références employées, associées à une réalité peu séduisante, ne dressent pas un tableau mélancolique, mais plutôt un monde qui s'accorde à notre désir de voir survivre notre part pur d'enfance. Cette part survient pourtant dans une avant dernière scène aux accents mélancoliques dans sa double sensation éprouvée. Entre vague à l'âme et beauté, Spielberg par le prisme de son créateur solitaire, James Hallyday, explique au jeune gagnant du jeux que le refuge imaginaire constitué (dans le film) par les jeux vidéos (et dans la vraie vie, par extension, par le cinéma) n’est pas complètement valable s’il n’est pas partagé. Final, nous obligeant à redevenir adulte d'un seul coup après deux heures d'enfance. 

Tag(s) : #Cinéma, #Ready Player One, #Steven Spielberg, #Kubrick, #Shining
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