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Combien sont-ils dans une vie ? Ce type de films qu’à peine quittés, nous désirons plus que tout voir à nouveau pour faire d’eux une sauvegarde précise dans notre mémoire ? Ma connaissance de la vie est modeste, mais sur ma vie de cinéphile, je peux vous jurer qu’ils sont peu nombreux. Trop peu, ce qui les rend uniques et nous fait gagner du temps pour le reste de la vie fort heureusement. Peut-être devrions-nous les laisser à ce premier souvenir, cette première fois, émotion, naturelle et primitive. Ne pas les revoir pour tenter d’élucider le mystère de ce béguin immédiat.

Love is in the air

Toujours coriace pour comprendre le pourquoi du béguin immédiat, j’ai visionné deux fois en une semaine Call Me By Your Name de Luca Guadagnino. La seconde fois j’y ai vu les critiques de ses détracteurs : trop long ce parcours amoureux, trop aimant cette famille tolérante, trop improbable cet écart d’âge et cette scène avec la pêche, trop irréaliste de long en large. Voir le trop n’est pas l’admettre face aux détracteurs. Le coeur a ses raisons que la raison ignore. Cette phrase bidon que le premier amour vous a sorti un jour n’a jamais été aussi vraie. J’ignore pourquoi ça marche sur certains, ça échoue sur d’ autres, ainsi va la vie cinéphile.

Le « ça marche » est faible, à côté de la plaque même. Call Me By Your Name  est à classer de loin dans la catégorie « les films de ma vie ». A la superbe photographie du Thaïlandais Sayombhu Mukdeeprom s’y accorde l’adaptation du roman d’André Ciman par James Ivory et la caméra de Luca Guadagnino, imprégnée de l’élégance d’un cinéma italien perdu et des parties de campagne et plus si affinités du très français Rohmer, fait TOUT le reste. Ce « reste » ne serait pas grand chose effectivement sans l’extrême qualité des deux acteurs qui crèvent l’écran à jeu égal… même si clairement Timothée Chalamet, nouvelle coqueluche du moment, vole de peu la vedette au grand Armie Hammer, repéré dans l'excellent Social Network de David Fincher. Tous les deux se partagent leur premier grand rôle de cinéma. Le partage d’une partition a priori triplement difficile : l’amour, le premier, entre deux hommes au début des années 80. 

Les mystères de l'amour

En 1983, au coeur d’une Italie aussi ennuyeuse que somptueuse, Elio, jeune garçon aussi fougueux qu’innocent, va passer ses traditionnelles vacances estivales dans la villa du XVIIe siècle que possède sa famille. Ses semaines consistent à jouer de la musique classique, à lire et à flirter avec son amie Marzia. Rien de bien original jusqu’ici, sauf que l’amour va débarquer comme le cinéma l’exige régulièrement. Il prendra la peau - c’est bel et bien le mot requis tant les corps sont les vrais têtes d’affiche de ce film - d’Oliver, étudiant bellâtre et américain de quelques années son aîné. La suite ? Inutile de la divulguer, elle est classique, faites de désirs, de plaisirs et de souffrir. Or nous sommes dans le cinéma de Luca Guadagnino, cinéma où le dialogue entre les personnages est d’ordre physique, l’Italie tant aimée sublime et l’amour une sensation guère apte à être expliquée. Ensemble, ces ingrédients suffisent à faire la différence avec la tambouille habituelle de l’amour passé à la machine à rêves.

Tableau de maître italien, Call Me By Your Name emprunte au cadre de son propos : un pays de cocagne où il serait possible d’aimer en toute liberté. La dolce Vita est l’un des acteurs majeurs de ce film, où le temps s’étire et les sentiments et les désirs avec. Tous les plans à la lumière plus qu’exceptionnelle constituent une ode à la dolce vita, au plaisir de la grande bouffe, de la belle parole et de la chair. Des savoir-faire italiens auquel Luca Guadagnino ajoute un zeste de plaisir bien français formaté par Marcel Proust : le souvenir puissant d’une sensation, une fameuse madeleine qu’on remplacerait avec amusement ici par la pêche. Dans le roman, le narrateur (Elio adulte) se souvient de la moindre sensation et trouble éprouvés par la simple présence d’Oliver sous le même toit que lui. Ce toit, ce lieu qui restera à jamais la madeleine de son premier amour. Point de passé chez Luca Guadagnino, mais un présent où le poids des mots, des gestes, des attitudes transparait avec  un étrange équilibre de puissance et de délicatesse à la fois. 

Les mystères de l'amour

La naissance d’un objet obscur

Rarement la naissance de cet objet obscur qu’est le désir n’avait été dépeint avec une telle sophistication. Dans le roman, le narrateur se souvient des moindres détails concernant la naissance de l’objet obscur, des « à plus » méprisants d’Oliver comme ce premier contact gênant avec la peau du demi-dieu américain. Sur l’écran, les moindres étapes de la cristallisation amoureuse si cher à Stendhal - le plus italien des auteurs français - se déploient pendant plus d’une heure et demi dans un cadre d’une extra sensibilité. Luca Guadagnino fait le pari rare d’étirer ses scènes pour les couper brutalement, autorisant le spectateur à assister à la naissance de l’amour dans toute sa complexité. Sa caméra rôde ainsi comme le désir d’Elio pour Oliver. Les scènes sont saturées de ce jeu captivant qui consiste à faire des attitudes de l’être aimé un rebondissement. Mini joies, maxi tourments, haines subites ou élans fous, Elio passe par tous les stades classiques de l'amour. Et jamais la caméra ne se détournera de ses sentiments troublants. L’attente d’un regard, de l’arrivée de convives, de la fin d’une pluie d’été, d'un dîner, d'une gêne, d’un mot, d’un geste, l’attente sous tous les angles possibles est le moteur de ce film langoureux à contre temps du tout instantané qui sévit hors de la salle de cinéma. Filmer l’attente, brutaliser les coupes vives, préfigure d’un choix quasi esthétique où la langueur monotone, qui berce les coeurs et les corps, se confond avec délice à cette atmosphère esprit « bonjour tristesse ». Celle formatée par la môme Sagan, un été, le soleil, le désir et le premier émoi pour le vacancier lambda qui vaque entre léthargie dû à l’ennui et énergie dû aux sorties. Elio incarne ce vacancier lambda qu’on a tous été.  Cet être victime de sa première cristallisation amoureuse qu’on a tous vécu en bon mortel chanceux. La présence d’Oliver occupe tout l’espace, toutes les discussions et le désir d’Elio n’en est que plus décuplé. D’ordre sentimental ou sexuel, ce désir se consume à chaque plan. Toutes les scènes pourraient être exemples à citation, mais une seule est à retenir, celle d’un apprivoisement doublé d'une délivrance. Autour d’un monument aux morts dédiés aux soldats de la Première Guerre Mondiale, Elio tente de mettre des mots sur l’indicible en tournant au premier comme au second sens du terme. Il rode autour de la statut et d’Oliver et lâche cette vérité désarmante qui lui ouvre la porte à tous les possibles : « Je ne sais presque rien des trucs qui compte ».  Call me by your name n'est autre que ça, il conte l’apprentissage de cette chose qui compte. 

Tag(s) : #Cinéma, #Luca Guadagnino, #Call me by your name, #Timothée Chalamet, #Armie Hammer, #André Ciman, #James Ivory
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