Il faut être sacrément maso pour aimer le cinéma de Pialat. Maso comme pour aimer une femme, un homme, un père, une mère. Aimer à en crever et à ne pas en comprendre grand chose. Aimer à en recevoir des coups. Car chez Pialat les coups pleuvent. Physiques ou verbaux, peu importe du moment qu'ils semblent faire mal, qu'ils semblent autant cogner celui ou celle qui prend les coups que celui ou celle qui regarde la castagne en action. A nos amours déborde de ces coups, torgnoles monumentales, coups de pied et même crachats. Pratiquement tous portés envers Suzanne, jeune première prénommée Sandrine Bonnaire, qui découvre sous la caméra de Pialat les choses du sexe et des garçons qui vont avec, mais pas toujours de l'amour qui ne va pas toujours avec. Bonnaire, ce coup de foudre cinématographique qui déborde d'arrogance et d'incertitudes, entremêlées à chaque plan. Bonnaire, cet amour de Suzanne que son père – joué par Pialat lui-même - taquine sur la disparition de sa fossette gauche : « Avant tu en avais deux, elle est partie où l'autre ?/ Elle en avait marre, elle est partie elle aussi » réplique t-elle du tac-au-tac dans une scène d'une étonnante tendresse père-fille, du genre que vous vous repassez en boucle après l'avoir découvert. Une scène pleine de malice et douceur coincée entre deux insultes, égarées dans un psychodrame.
« - Le pouvoir de l'argent, n'est-ce pas mademoiselle Suzanne ? Tu es comme eux ?
- Non, mais...
- Mais en ce moment qui a raison, où tu es ?
- Bah je suis là, je suis avec personne, je suis avec moi-même c'est tout, mais je suis là quand même »
Contrairement à tout un pan du cinéma français, le cinéma de Pialat échappe à la mélancolie maladive, à la patine agréable et faussée du temps. Mais toi, devant lui tu n'échappes pas à la torgnole que tu mérites de temps en temps. Lui faire face c'est s'imposer un choix capital : l'aimer ou le détester. Comme cette histoire de Palme d'or des années plus tard qui déclencha un tollé, un pour ou un contre mais jamais un entre deux. Le cinéma de Pialat nous évoque la médiocrité des êtres, et principalement la nôtre à l'accepter ou à en être. Au cœur de ces résignés, il y a « la fossette et les ratiches » de la Bonnaire, pas tout à fait résignée, elle, plutôt cafardeuse et incertaine, perdue dans la confusion de ces désirs et de ceux des grands qui n'ont n'en plus, qui se sont résignés dans tous les angles possibles de la vie. Peut-être qu'un jour, elle choisira un camp, le camp de l'intégrité et de son vieux ours bougon et attachant de père. Après visionnage, Pialat nous donne envie d'en faire partie.