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« C'est fou comme on se sent bien en écoutant les dernières personnes intelligentes sur terre ». La quatrième de couverture est d'une arrogance folle. Son titre n'est pas mieux. Il dit « Conversations d'un enfant du siècle ». Il dit surtout la proportion du type à se rêver Musset du XXI ème siècle alors que dans l'imaginaire collectif il est et restera plutôt le type qui voue une passion démesurée aux putes, à la coke et à l'amour par intermittence. Hélas, les sales types sont souvent de brillants et malins génies avec qui on se sent bien. Beigbeder en est le parfait exemple. Une fois croisé dans les rayons de la Fnac, vous l'embarquez de façon un peu honteuse. Parce que ça va bien deux secondes les lectures adolescentes qui ont ruinés nos vies sentimentales à coup de grands et de plus petits romans. Mais vous savez que ce petit livre que vous collez contre vous pour le cacher sera votre pass d'entrée pour un moment divin au cœur de septembre. Lire ce sale type léger et grave à la fois constitue à chaque nouvelle rentrée littéraire un plaisir particulier, une sorte de plaisir retrouvé, le truc avec la madeleine d'un certain Marcel. Après avoir rêvé la vie sentimentale forcément foirée de son auteur préféré (JD Salinger dans Oona et Salinger), ce bon vieux Fred revient avec, non pas un nouveau roman (rédac chef de Lui, présentateur du Cercle, ça prend du temps faut pas déconner non plus), mais un recueil de ses interviews d'écrivains de 1999 à 2014. Autant dire que monsieur ne s'est pas foulé mais qu'heureusement les grands auteurs de ce siècle se tuent à la tâche pour lui. Au total, 27 écrivains se mettent à table pour converser avec Fred – généralement une excellente table de la rive gauche pour faire grimper la note auprès de ses patrons -. Des conversations autour de la littérature, de ce qu'elle est et de ce qu'elle n'est plus, de la vie dans ses grandes largesses parce que ça a beaucoup à voir, et aussi d'amour, d'alcools et de drogues parce que ça a encore plus à voir avec la vie et la littérature dans ce petit monde. Les râleurs – ce que je sais très bien faire – dirons que c'est un ouvrage pour les happy fews si chers à Stendhal, un recueil un brin nostalgique et névrosé, ficelé par un auteur qui n'aura jamais le talent de ses pères (car né sous l'étendard du jouir sans entrave), un auteur qui profite de ces quelques heures de discussions pour pleurer le vieux monde camarade tout en sirotant des vins hors de prix sur le dos de la presse. Attention, si Finkielkraut et Houellebecq apparaissent au générique, le recueil de l'ex pubard n'est pas réactionnaire. Fred ne semble justement interroger ses écrivains que pour savoir si tout compte fait un jour malheureusement, on s'assagit et on abandonne ses vieux rêves au placard de la raison, généralement de gauche les rêves en question. Les amoureux de la littérature – ce que je sais parfaitement faire aussi – dirons de ce fait que c'est un livre qui fait autant sourire que s'envoler dans ses pensées les plus obscures. Un livre qu'on annote avec soin, dévore avec rapidité en se disant à voix haute « lui, je l'ajoute à ma liste à lire » ou « lui il faut que je le relise » ou encore plus inquiétant « il a l'air drôlement fun ce Michel Houellebecq ». C'est un livre de 400 pages où deux personnes dissertent et où le lecteur est invité à faire de même. Un livre où il est actif comme jamais. Un bouquin où chaque idée d'écrivain est susceptible de devenir ou de confimer la sienne. Des exemples ?

Tant qu'il y aura des écrivains

Guillaume Dustan « Elle n'existe pas la gauche. Elle a absolument tout lâché. Elle est totalement de droite. D'ailleurs c'est pour ça qu'elle passe ».

Chuck Palaniuk : « A 30 ans, on part perdant, avant que le monde puisse vous battre ».

Albert Cossery : « J'écris pour que quelqu'un qui me lise n'aille pas au bureau le lendemain matin ».

Alain Finkielkraut : « L'enfant gâté a remplacé l'homme cultivé ».

Jean d'Ormesson : « Il n'y a pas d'écrivains sans légèreté ».

Michel Houellebecq : « L'éternité de l'enfance est une éternité brève mais il ne le sait pas encore : le paysage défile ».

Bret Easton Ellis : « Les films demandent de la compassion, les livres n'en ont rien à foutre ».

 

Ecouter d'Ormesson dire du mal de l'auteur malheureux Flaubert, savourer le goût du bonheur de Sollers et goûter à la mélancolie cynique des grands auteurs américains, Fred multiplie les bons moments, lui qui en est le privilégié sait poser les bonnes questions, elles sont généralement sans filtres et profondément énamourées du sujet. Dans ce recueil pas comme les autres, Beigbeder ne cause pas qu'avec les vivants, les revenants sont aussi de la partie. Et pas n'importe lesquels. Les petits génies d'outre-Atlantique. Les Bukowski et Fitzgerald. En les faisant parler, médire l'époque ou leur vie au choix, Beigbeder s'amuse pleinement quitte à frôler la facilité et à ne rien raconter sur leur oeuvre peu commune. Il excelle toutefois dans un bref récit, d'une revenante revenue maintes fois de la mort, un charmant petit monstre sur le point de s'éteindre définitivement cette fois-ci, la Sagan rattrapée par le Fisc et ses abus qui fit tant rêver Beigbeder. Récit d'adieu, il écrit cette phrase d'une justesse indicible comme un texte de la Sagan. « Les plus grands artistes sont ceux qui s'inspirent de nous jusqu'à ce que nous leur ressemblions. Ils déteignent. La société les imite parce que le monde est à eux. Si souvent dans ma vie, j'ei eu l'impression que Sagan dictait les dialogues et les situations ». Conversation d'un enfant du siècle est dictée par un amour immense de la littérature, c'est une confession cachée sous les prétextes de la conversation. Avant d'être un sale gosse prodige et égocentrique, avant d'être le pur produit d'une génération du vide qui n'aime pas grand chose à par soi-même, Beigbeder est l'enfant du Roman Français, le lecteur assidu de l'Attrape-Coeur, le coeur sensible à Bonjour Tristesse, le garçon qui préfère la littérature à ses lignes de coke et ses rangées de putes, soyez en sûr. Ce petit livre bleu en est la nouvelle preuve. Sous ses allures légères - exemple quand il demande quelles boîtes de nuit fréquente Jean d'Ormesson ou quelles drogues a pris Finkelkraut (si, si, si) - Beigbeder cultive son amour de la littérature dans ses grandes largesses, de la mélancolie française au cynisme américain, son amour littéraire est sans frontières, sans a priori. A travers ses conversations déstructurées sur le monde, la cuisson du plat, la littérature, l'excellence du vin et l'amour, il ordonne discrètement avec la grâce des dandy d'un autre temps à son lecteur : lisez, puisez, annotez, inspirez-vous. Alors le lecteur s'exécute. Il referme le bouquin et a envie de goûter à tous les plats, même ceux qu'il détestait a priori. Preuve de l'immense talent de l'enfant du mauvais siècle.

Tag(s) : #Littérature, #Beigbeder, #Sollers, #Houellebecq, #Bret Easton Ellis
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