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MidnightSe retrouver dans une salle obscure avec ce bon vieux Woody, c'est comme retrouver un ancien amour, celui avec qui on se bécotait à l'âge de l'adolescence et des premiers émois, en douce dans la salle de cinéma. Tout est pratiquement acquis avec ce garçon-là, on l'aime depuis belle lurette pour ses qualités... et ses défauts. D'ailleurs pour ses retrouvailles tant attendues, on s'aperçoit qu'on apprécie plus ce garçon pour ses défauts que pour ses qualités. Certes, il n'est pas très beau, mais qu'est ce qu'il est charmant ! Toujours idéaliste, hypocondriaque, et complètement pessimiste, il n'a pas changé. Étrangement, on pourrait même penser qu'il a un peu rajeuni, qu'il a un faux-air de cet acteur blondinet que je ne trouve pas terrible terrible, vous visualisez un peu ? Oui, c'est comme si ce garçon que j'aime tant avait revêtu la peau d'Owen Wilson. Mais peu importe le physique, de Manhattan, à Londres en passant par Barcelone, ce type est resté intact, fidèle à lui-même, un gars magique dont le boulot n'est pas de vendre des chef-d'œuvres sur grand écran mais du rêve.

 

Woody Allen l'éternel petit garçon en question, le type aux 42 films et aux trois oscars, continue donc à faire son turbin de toujours : installer des lumières pétillantes dans nos petits yeux de spectateurs, sans oublier le sourire niais qui va avec pendu à nos lèvres. Cette fois-ci, le rendez-vous est fixé à Paris. Une capitale musicale et romantique qu'il avait déjà visité dans son pétillant Tout le Monde dit I Love You. Or dans le Paris d'aujourd'hui on ne sait plus se dire « je t'aime » ou alors il faut attendre les douze coups de minuit pour entendre les mots magiques. Midnight in Paris approvisionne à volonté notre âme de spectateur demandeuse de ces mots si magiques et de rêves si éveillés ! Chaque soir Gil vit ce rêve si précieux dans les rues pavés de notre chère capitale. Gil est un romancier en panne d'inspiration, qui aimerait bien écrire l'œuvre du siècle. Gil c'est Owen Wilson, mais faut pas être très futé pour savoir qu'en réalité Gil n'est autre que le double attendrissant de Woody. Comme Woody, Gil aime Paris sous la pluie, le jazz, les années folles, la vie de bohème et les pensées jugées un peu trop gauchistes dans son pays. Sa fiancée, Inez (Rachel McAdams) elle juge toutes ces petites passions insupportables (en réalité, c'est elle qui est insupportable !). Le jeune couple doit se marier à l'automne prochain mais pour l'instant ils prennent du bon temps dans la capitale avec les tordants et réac beau papa et belle-maman. Mais il ne faut pas être tombé de la dernière averse pour comprendre que tout ceci va tourner court à cause de l'incompatibilité évidente entre la petite fille riche à papa et le garçon bohème peu sûr de lui. Une incompatibilité qui va nous régaler...

 

Tandis que Inez sort danser, Gil ère dans les ruelles de cette vieille légende qu'est la capitale française. Et comme par miracle, à minuit, une vieille Peugeot approche et un homme le convie à l'accompagner. Mais l'accompagner où ? Dans les années 20 quelle question ! Tous les soirs suivants, Gil exécutera le même cérémonial : attendre ce vieux fantasme sur roues des vieux collectionneurs, monter dedans et se laisser glisser à travers l'espace temps pour rejoindre le bon vieux temps, celui de ses idoles. À cet instant du scénario, on laisse échapper un « Quel filou ce Woody ! » suivi d'un vulgaire « Mais putain qu'est-ce qu'on l'aime ce Woody ! ». Oui, on l'aime démesurément pour nous avoir fait ce coup-là, nous avoir dupé avec sa bande-annonce carte-postale, sa « Carla Bruni » super actrice et son nouveau film sans lui au casting. Rectifions tout ceci si vous le voulez bien. Midnight in Paris n'est pas une charmante carte-postale que l'on contemple sans grande conviction, mais un hymne à l'amour de ce Paname, témoin privilégié d'une ébullition intellectuelle de tous les instants. Ensuite Carla Bruni n'est pas une grande actrice, plutôt une figurante insignifiante que l'on préfère écouter sur un album que voir dans un film de Woody Allen. Enfin ce petit chenapan de 75 ans n'est certes pas au casting mais encore mieux : il est dans le corps d'Owen Wilson, dans son esprit, dans son âme de poète soumis à une mélancolie charmante. Avec Midnight in Paris, Woody Allen se fait plaisir, et ça fait plaisir à voir puisque qu'avec sa baguette magique de cinéaste il réalise le fantasme de pas mal de pauvres vieilles âmes de romantico-nostalgiques acharnées.

 

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Gil est victime d'un affreux syndrome, le syndrome de l'Âge d'or, une maladie très courante qui sévit à toutes les époques, où le malade pense qu'il aurait pu être beaucoup plus heureux autrefois. Alors pourquoi ne pas tester cet « autrefois » tant fantasmé à travers des pages et des images, des toiles et des compositions musicales ? Gil se laisse guider par son syndrome. La nuit tombée, la magie opère et le voilà propulsé au siècle dernier. Mais attention pas à n'importe quelle période ! Est-ce un hasard si Gil retrouve la Génération Perdue dans les ambiances tamisées de la Ville-lumière. La génération mythique est dorénavant introuvable, parce qu'unique, il n'y en aura pas deux comme elle, et Gil le sait. Lors de sa première nuit là-bas, il fait la rencontre d'une petite blonde, ravissante et excentrique, elle s'appelle Zelda. Son compagnon, un beau blond fou amoureux d'elle, lui se prénomme Scott. « Vous vous foutez de moi ? » semble dire les yeux ahuris de Gil. Derrière lui, un homme appelé Cole aligne les notes de « Let's fall in love ». Un peu plus tard, la joyeuse troupe ira faire un tour à une fête donnée en l'honneur d'un certain Jean Cocteau. Gil est bel et bien en train de « Let's fall in love » de cette aventure fantasque et incroyablement enrichissante.

 

Woody Allen produit de l'émerveillement à chaque plan. C'est loin d'être parfait, et pourtant ça nous est complètement égal. Midnight in Paris veut avant tout être un délice, une spécialité parisienne conçue avec amour. Une gourmandise merveilleuse dont l'un des principaux ingrédients est l'émerveillement échappé du regard hallucinant de Owen Wilson. Imaginez un romancier corrigé par Gertrude Stein, conseillé par Ernest Hemingway, conseillant lui-même à Buñuel l'idée d'un film (des bourgeois enfermés dans une maison où ils ne peuvent fuir, tiens donc !), sauvant Zelda Fitzgerald du suicide et rencontrant la femme de sa vie (une Marion Cotillard touchante), accessoirement maîtresse de Picasso et Hemingway, et ce tout ça dans un autre siècle. Ces fantômes d'autrefois auraient pu être des acteurs « alleniens » avec leurs réparties surprenantes, leurs angoisses permanentes et leurs besoin d'aimer et de plaire incessants. « Paris est si petit pour ceux qui s'aiment d'un aussi grand amour » lâchait la gouaille mythique d'Arletty dans Les Enfants du Paradis. Gil est enfin au paradis en compagnie de ces grands enfants que sont les artistes, et qu'est Woody Allen.

 

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Cette rêvasserie attachante d'un artisan du rêve, d'un artiste fou amoureux des artistes, nous raconte quelque chose de profondément universelle, nous enseigne avec douceur une vérité dure à avaler. Dans une superbe scène à Montmartre, Gil cesse de se bercer d'illusion face à son syndrome du « c'était mieux avant ». Adrianna, la femme des années 20 dont il est éperdument amoureux, aurait préféré vivre à Belle Époque et trouve l'époque où elle vit bien triste. Tandis que Toulouse-Lautrec et son Gauguin, croisés eux aussi dans l'espace temps, pensent qu'il n'y a pas de plus belle époque que la Renaissance. Où est la vérité demande l'espace temps imaginaire de Woody Allen ? Elle semble être dans l'acceptation d'un fait tragique : ce n'est pas le présent qui est insatisfaisant mais la vie tout entière. Pessimiste la nouvelle œuvre du maître ? Pas complètement. Notre héros finira certainement sa vie de bohème en charmante compagnie d'une française... et ce dans la bonne époque, la sienne. Cette épisode à travers un Paris éternel mais révolu, lui aura appris une chose : « l'art est un antidote au vide existentiel ». Attention à ne pas se méprendre, nous dit le charme irrésistible de Woody Allen, il ne faut pas se bercer d'illusions ou alors, encore plus radical, succomber au désespoir. Il faut savoir vivre avec justesse dans la nostalgie, cultiver cette connaissance admirable et bien mesurée des légendes des autres temps pour ne pas perdre ses utopies de tous temps. Entre rêve et réalité, Woody Allen a fait son choix : un demi-sommeil où le songe est enchanté, lucide et fantastique. Un délice !  

 

Midnight in Paris, la bande-annonce

 

Tag(s) : #Cinéma
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