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Affiche trompeuse. En bas à gauche, cet ordre souvent entendu dans la bouche d'une mère: « Non, ma fille tu n'iras pas danser ». En haut à droite, en lettres capitales, un nouvel ordre : « Vivez libre ». Quel est le véritable titre du nouveau chef-d'œuvre de Christophe Honoré? Telle est la question que je me suis posée en entrant dans cette petite salle de cinéma où nous étions, très exactement, au nombre de sept. Dans les salles adjacentes, adultes et enfants, nouveaux adeptes du 3D, s'étaient précipités pour voir des films à couper le souffle. J'ai vu un film qui m'a coupé le souffle. Sans lunettes 3D. Sans effets spéciaux ni autres faits spectaculaires. J'ai vu la vie. La vraie. Et ça m'a tellement suffit.


Comment ne pas faire de Léna notre héroïne. C'est chose impossible. Léna, nouvelle icône féministe, une Simone de Beauvoir dans les gestes mais sans la parole, sans ses envies castratrices et cette lutte infinie contre le mal des mâles. L'héroïne de Christophe Honoré se dresse telle une Liberté des temps modernes piétinant avec malice et désamour cette société bien-pensante et écœurante. Éprise d'absolu, Léna n'est pas faites pour les sentiments moyens, non désireuse de voir sa vie défiler par habitude. Léna ne veut ni de moyennes peines, ni de moyens chagrins. Elle veut vivre, c'est tout. Vivre libre telle une enfant qui gambaderait dans la nature bretonne. Mais (il y a toujours un « mais »), la vie ce n'est soi-disant pas « ça ». « Tu ne peux pas faire l'enfant comme ça » lui sermonne sa mère. Christophe Honoré, lui, lui en donne le droit. Il donne à son spectateur le droit de vivre libre durant 1H45. Gambadez pied nus dans la nature, endormez vous dans le jardin, lisez des histoires, fumez où vous voulez, soyez libre de pleurer et de crier tel que ça vous chante, envoyez valser les renoncements et les conformismes imposés depuis votre plus tendre enfance... Tel est le mot d'ordre du film. Les lettres capitales de l'affiche, souvenez-vous.

 

Paris. Gare de Montparnasse. Anton a échappé au regard de sa mère, Léna (Chiara Mastroiani), et de sa petite sœur. La panique se lit sur le visage de la mère. Dès le départ, dans le tourbillon de la gare, on la sent seule. Seule contre la machine de la vie. Anton retrouvé, le départ est imminent. Direction la Bretagne. Terre du réalisateur, la Bretagne est aussi celle d'un paysage sauvage et secret à l'image de Léna. Le spectateur s'immisce dans une maison de famille, où des parents accueillent leurs enfants : Léna, l'ainée aux cheveux longs et aux tenues enfantines, Frédérique, la seconde aux attitudes parfaites, Gulven, le cadet au comportement déjanté. Tout ce petit monde arrive dans une demeure perdue en pleine cambrousse. Un drame se joue t-il? On repense à La Petite Lili de Claude Miller ou à Un Conte de Noël de Desplechin, où le vilain petit canard retourne au bercail et se révolte contre tous ces êtres qui ont le même sang que lui mais qui ne cautionne aucunement sa façon de vivre et sa façon d'être. Ici, Léna semble incarnée ce rôle. Elle se révèle pas comme les autres dans les choses simples de la vie. Cheveux long au vent, jupe courte en jean, sans soutien-gorge et dépourvue de maquillage, Léna n'a pas les traits et attitudes de ses comparses trentenaires. Elle aime lire des histoires à ses enfants, jouer avec eux, s'endormir dans le jardin à même le sol. Elle incarne tout ce qu'on aurait voulu rester. La liberté de l'enfance. C'est certainement pour cela que Léna nous séduit et captive. De suite, on prend sa défense, ignorant les raisons de son comportement et de son passé. La force du réalisateur est de garder un œil sur les différents êtres de cette maisonnée qui ont chacun leurs secrets. Ces êtres fonctionnent en duo, comme si la vie ne se concevait, encore aujourd'hui, uniquement de cette façon. Il y a les parents, Annie et Michel. Des soixantenaires ne 'aimant plus « comme au début » mais restant tous les deux par amour des années passées ensemble. Viennent ensuite leurs enfants. Ne fonctionnant que par couple eux aussi, ils sont le prototype parfait de comment « la vie sépare ceux qui s'aiment tout doucement sans faire de bruit ». Il y a Frédérique et son mari. Deux trentenaires qui voit leur couple sombrer peu à peu. Puis, il y a , le cadet et sa petite amie. Leur duo incarne la fougue des premiers émois, la certitude du bonheur enfin trouvé. Honoré par ces trois couples élabore un schéma réussi de la vie amoureuse et de ses complications. La fougue de la vingtaine, les doutes de la trentaine, puis l'habitude des plus de cinquante ans. Triste constat qui pourtant est incontestablement le bon.

Face à la norme, il y a Léna et ses deux gosses. Contrairement aux autres, elle est seule et ce n'est pas du goût de tout le monde. A peine arrivée à la campagne chez ses parents, elle menace de repartir. Révoltée par les plans de toute sa famille pour recoller, à sa place, les morceaux de sa vie sentimentale et professionnelle, de mère divorcée, en rupture d'homme, d'activité, de projets... Car tout le monde attend de Léna qu'elle se ressaisisse, qu'elle retravaille, qu'elle s'occupe moins, mais mieux, de ses enfants, etc.


« Pourquoi je n'arrive pas à tout ce que les autres réussissent » lance t-elle les yeux brouillés par les larmes d'une gamine en réalité une trentenaire au bord du précipice. La véritable question n'est-elle pas plutôt : « Pourquoi les autres font-ils semblant de tout réussir? ». Car cette vieille baraque familiale n'est-elle pas pleine à craquer de mensonges: la maladie du père, le divorce prochain de la sœur, la fatigue de la mère... La vie de Léna les emmerde. Sa façon de vie les emmerde. Alors qu'en vérité, dans les pièces de cette maison, le spectateur découvre peu à peu, avant chaque protagoniste, que chacun des êtres de cette famille s'emmerde, ne se satisfait plus de sa propre vie, ne sait plus ses véritables envies. Certains d'entre eux, au fil des plans, vont craquer et envoyé valser ce mensonge qu'est la vie de famille, le couple, l'existence dans sa totalité. Léna est la première a avoir craqué, il y a maintenant quelques mois, fuyant le foyer conjugal avec ses deux enfants à la va vite pour une histoire de tromperie. Elle se tire, s'arrache de sa vie de famille, s'enfuit comme une gamine ayant fait une bêtise. Mais la bêtise a été amené par le mâle. Ah les mâles! Honoré ne les dorlote pas. Ils sont là. Ils font ce qu'ils peuvent. Mais finalement ne sont que des hommes à l'image de Jean Marc Barre (ex de Léna) solide mais profondément salopard égoïste sur le fond. Peu à peu, Honoré de ces non-dits et de ces faiblesses humaines (féminines et masculines) dresse le portrait psychologique d’une société. La notre. Notre chère et tendre société où l'on pense ouvertement que « les choses ont changé », chiffre à l'appui. Hélas, des familles comme celle de Léna nous encerclent, nous submergent, et brisent nos élans de liberté. Famille et société très archaïques et faussement évoluées, qui ne laisse aucune chance aux femmes. Elles doivent être parfaites: la maman et la putain. Parfaite mais pas trop, ne pas voler la place des chers mâles, respecter l'autorité, la hiérarchie, se consacrer aux enfants sans trop fusionner, les éduquer ces enfants et les rendre aptes au grand enfer de la vie tout en les protégeant. A peine arrivée dans ce bas monde, la femme connait la suite. Sa destinée est à eux. En vérité, elle est à elle. Léna le sait. Elle lui appartient et refuse de renoncer à sa liberté. Car finalement il n'est question que de ça.


Dans ce monde écœurant de non-dits et de déterminisme sexiste, Léna se débat, à sa manière. Léna, elle n'est pas féministe. Juste révoltée et lucide. Elle, elle ouvre sa gueule à tout va, ne craint pas les larmes, les crises d'hystéries, l'excessivité. Elle vit ses sentiments à 100 % et ne les enfouis pas comme la majorité de ses contemporains. Une scène magistrale oppose la mère (Marie-Christine Barrault) et la fille (Chiara Mastroiani) dans le lieu clé de la cuisine, repère de la gente féminine depuis bien trop longtemps maintenant. Dialogue entre deux femmes de générations différentes, deux actrices de cinéma de deux époques. La mère a choisi et par conséquent renoncé à sa liberté en vouant sa vie à ses enfants et à un mari qu'elle avoue, aujourd'hui, « ne plus aimer comme au début ». La fille n'a pas choisi, elle. Elle valse avec l'indécision, l'incertitude et les refus aussi. Léna reproche alors à sa mère cette aptitude effroyable à se contenter de si peu, de s'être « habitués à ne pas respirer ». Les mots font mal. Phrase forte qui résonne encore dans la pièce. Face à l'écran, le spectateur s'interroge. Que faire de sa vie ? Opter pour la vie de la mère ou celle de la fille. Vivre dans sa totalité, en égoïste, ou la consacrer aux autres ? Vaste sujet. Honoré ne se permet aucune réponse définitive. Son cinéma n'est pas moraliste mais un cinéma libre où la fin est confiée aux seuls juges: les spectateurs.



Tag(s) : #Cinéma
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