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Chut. Ça commence. Une caméra parcourt la ville. Elle arpente les rues, les vitrines, les trottoirs d'une ville aux multiples visages. Des noms apparaissent sur ce travelling délicat puis s'évaporent dans le tumulte parisien. Enfin la caméra décide de se poser. Là devant ce cinéma, L'Albatros, elle s'arrête sur cette jeune femme dont l'attente se fait ressentir. Quelques plans et nous savons où nous mettons les pieds. Au paradis de la vérité poétique et légère. Nous sommes chez Christophe Honoré. Dans le Paris d'Honoré. Un Paris sublimé de vérité, où les êtres s'aiment, se déchirent parfois et s'éloignent souvent. Un Paris où un homme a toutes les possibilités : aimer une femme ou deux, aimer un homme ou pas, mais aimer en toute simplicité. Un Paris comme on aime le voir au cinéma. Comme on le voit si rarement. Personnage à part entière, il observe avec retenu les virevoltes quotidiennes des êtres qui l'habitent et le font vivre. Il pleut sur le Paris de la Bastille et de son ange nu, il pleut et on pleure sur Les Chansons d'Amour.

 


Par amour, Julie accepte de faire ménage à trois avec la collègue de son petit ami Ismaël. La situation est pesante mais pour peu de temps. Un incident tragique vient mettre fin au trio amoureux. Ismaël tente alors de gérer cette confusion des sentiments, entre légèreté et désespoir, dans un Paris vivant et décadent. L'amour libre sous l'œil de Christophe Honoré se veut désespérément joyeux. Ping pong verbal, élan fougueux, humour viennent alimenter ce film musical au caractère enchanteur où les sentiments se veulent douloureux mais finissent par être sublimés par le regard d'un réalisateur, qui a su se créer au fil de son œuvre, un univers à part. Un monde merveilleux où le quotidien n'est autre qu'un conte de fée, tiraillé entre la gaieté et la gravité des êtres et des sentiments. Avec l'excellente bande originale signée Alex Beaupain et interprétée par les acteurs eux-mêmes, Christophe Honoré semble réitérer l'idée d'un duo qui a autrefois fait ses preuves. Le duo formé par Michel Legrand et Jacques Demy, vous rappelle t-il quelque chose? Le type même de duo qui procure une saveur particulière à un film. En digne héritier des films de Jacques Demy où le quotidien devenait univers propice à toutes les rêveries et à tous les possibles, Honoré a façonné une merveille. Un film populaire sur ce qui fait tourner le monde depuis la nuit des temps. Un conte populaire où l'on récite Aragon au petit matin, où les personnages lisent, vont au cinéma, aiment... Vivent tout simplement.


Il est désagréable et réducteur d'apposer une étiquette sur un film. Pourtant, face au cinéma de Christophe Honoré, il est impossible de ne pas apposer le beau nom de « Nouvelle Vague ». Ce n'est ni un gros mot, ni une prétention ou une honte de signaler cette filiation évidente entre Honoré et les cinéastes libérateurs des années 60. Son cinéma procure une émotion jamais égalée depuis la bande des « Cahiers du Cinéma ». Une émotion particulière et indéfinissable. Une émotion née dans chaque grand film de ce mouvement. Comme chez Demy, Honoré nous contamine de cette envie étonnante de chanter la vie au quotidien, de sortir dans les rues et de danser une légèreté de vivre comme dans Les Demoiselles de Rochefort. Comme chez Godard, il nous injecte cette soif indicible et immense de liberté. Ismaël (Louis Garrel) s'emporte dans des répliques clownesques et cyniques de vérité tel un Belmondo dans A bout de souffle qui s'empresserait de nous dire avec violence : «Si vous n'aimez pas la mer, si vous n'aimez pas la montagne, si vous n'aimez pas la ville... allez vous faire foutre! ». Enfin comme chez Truffaut, Honoré fait du sentiment une chose sublime, jamais ringarde et mielleuse. Il le place au cœur de son œuvre en s'attachant à sa complexité. La fulgurance de ces sentiments, la vitesse à laquelle ils se propagent, vous encerclent, vous serrent à la gorge , vous étouffent et disparaissent aussi vite qu'ils sont arrivés.

 

Le titre en effrayera plus d'un. « Les Chansons d'amour » ça sonne mal dans l'imaginaire collectif. A la simple évocation de ces deux termes accolés et soudés, une montagne de qualificatifs négatifs surviennent: ringard, niais, épuisant, écœurant... On crache sur les sentiments, on les méprise, les dissimule avec agilité pour ne pas éprouver cette honte suprême d'être amoureux. Dans La Femme d'à coté, François Truffaut plaçait dans la bouche de son actrice Fanny Ardant (Mathilde) ces quelques mots: « Je n'aime que les chansons d'amour. Parce qu’elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies. D’ailleurs, elle sont pas bêtes. Qu’est-ce qu’elles disent ? Elles disent : ne me quitte pas… ton absence a brisé ma vie… je suis une maison vide sans toi… laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre… ou bien… sans amour, on n’est rien du tout” . Honoré s'empare des mots de cette Mathilde et traduit leur vérité. Il n'y a rien de bête à chanter l'amour et même à aimer. La sentimentalité n'est pas minable, et ces chansons le prouvent. Ces chansons d'amour disent tous haut ce que nous avons tous ressenti tous bas, avant, pendant et après l'acte d'aimer. Elles se glissent avec malice et surprise dans les séquences. A la manière des sentiments, elles débarquent dans la vie des personnages de manière fulgurante, s'emparent d'eux, les chamboulent et les laissent quelques secondes plus tard pantois dans une rue parisienne, un cimetière ou une chambre.

 

Honoré distille les sentiments. Ceux de notre temps. Ceux où on peut s'aimer à deux ou à trois. Ceux où on peut aimer une fille ou un garçon. Ceux de notre société où tout est possible. Les Chansons d'amour se regardent avec un regard pétillant et amusant. Les Chansons d'amour s'écoutent avec douleur. Christophe Honoré continue son chemin. Il perpétue sa filmographie du « vrai ». Du vrai de vrai, où l'œil du réalisateur est celui d'un contemporain, sociologue de son temps et artiste capable de rêver le vrai. Poétiser la vérité, n'est-ce pas merveilleux?


 

 

 


 

Tag(s) : #Cinéma
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