Rêver autrement

Je vous jure que c'était la toute toute première fois. La toute première fois que je n'ai pas monté les marches du Festival de Cannes. Okay, quand je parle de marches, j'exagère un peu. Il serait plus juste, et plus humble, de dire : c'est la première fois que je ne regardais pas tous les autres en robes de soirée et smoking monter ces marches! Fut un temps, où il vrai, j'aurai tué si on m'avait fait louper cette montée des marches, et ce tapis rouge sur lequel ère une bonne dose de souvenirs habilement travaillés par une mémoire consciencieuse. Des souvenirs en noir et blanc certainement. Avec quelques fantômes mythiques d'un cinéma tout aussi légendaire. Grace Kelly par ici, Mastroianni par là bas et Truffaut et son Antoine Doinel aussi. Mais je n'ai plus 10 ans, et un jour, il faut cesser les baratins, déchirer les souvenirs en noir et blanc et voir au-delà du rêve cannois.

Alors oui j'ai délaissé le rêve cannois, par conviction ou par simple hasard. Ce soir là, je lui ai préféré un autre monde. Un grand écart entre la précarité et le show-biz, la simplicité et la superficialité, la réalité et la fiction. Peut-être qu'au fond il y avait quelque chose de profondément coupable à regarder pendant des années les caméras braquées sur Cannes alors que tout autour rien ne tournait rond. Il était temps de déserter l'endroit. Laisser la bulle de glamour et de paillettes. Quitter la sphère du 7e Art et prendre un ticket pour le terrain. Une rencontre avec Florence Aubenas. Une petite heure a parlé du terrain et rien d'autre. Juste le terrain de la précarité, de l'exploitation abusive et de la misère mais aussi de cette foi imperturbable en demain. Un espoir pour un demain meilleur. Sûr qu'en ce soir d'ouverture du 63e Festival de Cannes, ce n'est pas les sourires des acteurs et réalisateurs qui m'ont fait rêver, mais celui de Florence Aubenas. Pas une femme en robe de haute couture et au sourire arrangé, non, juste une femme en jean délavé et au sourire d'une sincérité touchante. Une femme comme on devrait en croiser plus souvent.