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1987. Presque cinquante ans après la disparition de six millions d'être humains dans les camps de concentration s'ouvre le procès de Klaus Barbie. Rivka (Jeanne Moreau), survivante de cet enfer d'un autre monde, vit les dernières années d'une agréable vie parisienne, entourée d'objets de collection et imprégnée d'un secret insurmontable. Victor (Hippolyte Girardot), son fils, après maintes recherches, se tourmente sur le passé dissimulé de sa mère. A table, il la questionne, et elle, esquive ces interrogations par des commentaires insignifiants sur la cuisson du rôti et des haricots verts. Son visage porte les séquelles d'un passé enfoui, contre lequel on se protège, un mélange subtil de honte, de douleur mais aussi de culpabilité.

Des parents assassinés à Auschwitz. Secret pour lequel on accepte l'oubli et surtout le silence. Plus tard, tu comprendras d'Amos Gitaï est une histoire vraie, celle de Jérôme Clément, président d'Arte France. Histoire singulière, certainement pas. Le secret de la Shoah est certainement détenu par bons nombres de survivant de ce crime contre l'humanité. Ainsi, le film, adapté du livre éponyme de Clément, n'est pas une énième œuvre sur la Shoah, il s'agit avant tout d'un film sur la mémoire, celle qui nous permet de construire l'avenir grâce au passé.



Personnage surmené, submergé par la découverte qu'il a souhaité entreprendre, Victor se relève douloureusement de ce non-dit. La difficulté de la transmission entre les générations hante les murs de l'appartement de Rivka, d'où ces lents travellings dans la maison familiale où les murs entretiennent une place fondamentale. Un jour, Victor avoue ses découvertes à sa sœur, dans la pièce d'à côté, sa mère joue les sourdes oreilles.

La subtilité de ce long métrage se cache dans sa façon de suggérer le non-dit dans les paroles et dans les images. De manière intelligente et émouvante, Amos Gitaï développe quantité de non-dits et de silence. Tout d'abord, le non-dit familial, Rivka honteuse n'avouera jamais que ses parents, des fourreurs juifs russes, avait fui Paris pour la zone libre avant d'être dénoncés puis emmenés pour les camps de la mort. Que leur appartement avait été récupéré par ses beaux-parents, des bons français catholiques. L'acte réussi vient ensuite: le non-dit d'État ou plus exactement le déni.

L'État français coupable du crime contre les juifs et responsable également de son incapacité à reconnaître ses erreurs les plus tragiques. Les premières images sont dignes de sens: tandis que la télévision transmet le procès de Klaus Barbie, "le boucher de Lyon", Rivka vague à ses occupations domestiques. A l'image de la nation française, elle ne désire pas regarder derrière elle, sur les traces du passé. La douce France, refusant d'admettre ces errances funestes, a la mémoire qui lui fait défaut. La responsabilité de l'État français  dans la déportation est une idée véhiculée du premier au dernier plan du film. La dernière séquence ne figurait aucunement dans le roman de Clément. Tragique, elle traduit l'immense chagrin causé par le secret familial ainsi que par le déni d'État. Victor est interrogé par la Commission pour les indemnisations des victimes de spoliations (inutile de rappeler ici, les nombreux français à s'être enrichis grâce à la traque menée contre les juifs). Cet organisme fut crée en 1999, suite au discours de Jacques Chirac sur la responsabilité de la France dans la déportation de la population juive, il aura fallu attendre 60 ans pour entendre, de la bouche d'un Président de la République, cette accusation contre la nation. Face aux barèmes des indemnités proposées par la commission, Victor demeure ébahi, choqué. Tant de souffrances, de silences, de blessures inavouées et à cela une seule réponse: celle de l'argent.

Rivka quitte ses enfants comme tant de rescapés de ces années meurtrières. Elle les quitte en ayant léguée à ses petits enfants son secret et l'étoile de David, son étoile. Le secret aura sauté une génération. Ignorant si celle-ci fera meilleur usage ou pas du passé que les précédentes, elle les mène dans un endroit qu'elle n'a pas fréquenté depuis des lustres, la synagogue, par peur, peut être que l'avenir ne soit qu'un long passé. Là bas, la vieille dame les sermonne d'un discours vieux comme le monde: résister à l'intolérance et refuser la discrimination. Un discours qu'il n'est pas bon de remettre à plus tard.

 

Tag(s) : #Télévision
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