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RegarderlesFilles1« J'aime regarder les filles » chantait Patrick Coutin en 1981. En cette même année, Primo aime aussi particulièrement cette activité. Fils d'un couple de fleuristes un brin réac', il est monté à la capitale pour passer son baccalauréat... mais en vérité il passe plus de temps à « regarder » les filles et lire Musset qu'à étudier ! La veille du fameux 10 mai 1981, Primo, équivalent de Roméo sans le précieux sous, rencontre Gabrielle, charmante bourgeoise et parisienne de 18 ans. Ébloui par cette Juliette des beaux quartiers mais désorienté vis-à-vis de sa troupe d'amis qui craint l'arrivée des « coco » au gouvernement, passe ses vacances à Ramatuelle et n'a que le « moi, je » à la bouche, Primo s'invente un pedigree surprenant pour embobiner ce beau monde auquel il n'appartient pas et garder l'amour de sa belle. Entre sentiments exaltés et idéaux politiques exacerbés, J'aime regarder les filles reflète l'ivresse de la jeunesse des années 80. Jeunesse de tous les temps qui, rappelons-le, était la « seule génération raisonnable » selon ce charmant petit monstre de Françoise Sagan.

 

Primo ignore le sens du mot « raisonnable ». Sa modeste chambre de bonne déborde de livres. Son esprit est submergé par des visions divines de Gabrielle. Il ne peut par conséquent que se conduire en irresponsable auprès de tous. Ses parents inquiets pensent qu'il paie son loyer, son coloc gauchiste s'imagine qu'il vote, son employeur louche croit qu'il a son permis. Quant à sa bien-aimé BCBG, elle le pense profondément du même monde qu'elle. Dans l'ivresse d'une vie facile, Primo se laisse conquérir par ses mensonges et son cynisme délicieux. Si ce comportement lui vaut bien des remontrances de la part de chacun, il lui permet de gagner en quelques secondes le cœur du spectateur. Celui-ci a toujours été sensible aux looser de qualité. Primo appartient à cette veine de personnages chérie par le cinéma français. Des types aux poses burlesques, victimes d'une légère tendance à la mythomanie, derrière lesquels se dissimule une âme sensible. Sous les traits de Primo, Pierre Niney, le cadet de la Comédie-Française aperçu dans l'excellent Un Fil à la patte, amuse la galerie. Son jeu fait écho à des grands : il a le charme désabusé d'un Louis Garrel et la fougue juvénile et audacieuse d'un Doinel des premières heures.

 

RegarderLesFilles

Depuis quelques années, le cinéma français développe un intérêt particulier pour la jeunesse. Et toi t'es sur qui ?, La Vie au Ranch,  D'Amour et d'eau fraîche, délaissent le monde sérieux des grands pour les ennuis et passions des futurs grands, ceux-là sont plus intéressants car ils n'ont pas encore vendu leur âme au diable : l'affreuse société. Ils n'ont à la bouche que le mot amour et se refusent à toute forme de concession. Hélas, cette jeunesse de cinéma regonfle tellement le moral qu'on en oublierait presque de critiquer son fond cinématographique. Sous ses airs de charmante comédie lucide, J'aime regarder les filles néglige une chose fondamentale : la mise en scène. Un type issu de la France d'en bas tombe raide dingue amoureux d'une petite bourgeoise le 9 mai 81, cela dure plusieurs mois, et jamais la mise en scène ne prend le risque d'être audacieuse comme l'est son héros. Jamais elle ne se laisse portée par la fièvre de l'imagination comme lui l'est en cette période effervescente et décisive autant pour la France que pour son futur amoureux. La fougue du jeune Primo ne collant pas à la mise en scène, le spectateur suit parfois l'intrigue avec un léger détachement. Heureusement Frédéric Louf sauve son premier film en épargnant le spectateur de ce que « le jeune » déteste le plus au monde : la morale. La véritable force de ce scénario est de savoir l'instant précis où il faut faire surgir le burlesque afin que l'histoire de Roméo&Juliette version mai 81 ne soit point trop didactique pour les esprits. On passe d'une discussion entre fils à papa du RPR chez Prunier où on craint de voir débarquer les chars russes sur les Champs à un collage d'affiches socialistes avec un voisin nommé Malick qui tourne mal, et dans chacune des deux scènes on incruste juste ce qu'il faut pour provoquer le rire. La réflexion quant à elle n'est jamais très loin, il suffit juste d'avoir le courage de la faire.

 

Malgré quelques invraisemblances, J'aime regarder les filles laisse éclater quelques jolies évidences sur ce doux pays qu'on appelle la France. Trente ans après, les fils à papa du jadis RPR ont certainement toujours peur que des « rouges » volent leur héritage. Trente ans après, un « Malick » a sans doute toujours peur de se faire tabasser par des mecs de droite en collant ses affiches de « gauchiste ». Enfin des siècles plus tard, le final larmoyant et si exact du chef-d'œuvre de Musset, On ne badine pas avec l'amour*, est toujours d'actualité pour les amoureux de tout âge. Comme si les belles illusions et infâmes tragédies d'une époque restaient à jamais fixés dans les cœurs de chaque génération suivante.

 

 

Bande annonce J'aime regarder les filles de Frédéric Louf

 

* « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : “ J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Acte II, Scène V On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset (1834)

Tag(s) : #Cinéma
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