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Un matin tranquille accoudée au comptoir d'un bar de la France d'en bas, le genre de bar, où il fait bon vivre, où on aime refaire le monde entre "vieux de la vieille" tout en croisant les anonymes de la France d'en bas. Un chocolat chaud à la main, mes oreilles indiscrètes traînent à la table voisine. Soudain, un anonyme de la France d'en bas balance d'un naturel épatant "De toute façon, ces noirs, ils sont gros, ne foutent rien, des vrais fainéants". Mon chocolat chaud bouillant dans la gueule du sale type aurait soulagé ma colère. Soudainement projetée quelques mois en arrière, je revois cette rencontre avec Jamel Debouze. "Passez le micro à la demoiselle, s'il vous plait". La demoiselle avait senti son cœur chaviré pour de bonnes raisons cette fois-ci. Malgré le 130 km de son cœur, elle avait réussit à articuler une question. Celle-ci portait sur le racisme ordinaire, il me semble. Le racisme ordinaire sévissant dans des contrées sauvages, où les gens réfléchissent et parlent comme des sauvages...

 

Un après-midi ensoleillée, un petit détour au tabac-presse du coin. Sur le tourniquet des journaux, il ne subsiste que quelques derniers numéros du Figaro et de Ouest France. Sourire. Libé a disparu. Mais pas Siné Hebdo. Sourire à nouveau. Soudainement projetée quelques années en arrière, je revois ma petite bouille, dans une regrettée petite salle de cinéma, devant cette scène des Enfants du Marais, Villeret ayant peur d'un domestique noir surnommé Banania par tout le quartier. Banania ricanant de sa peur, lui promettait de "botter son petit cul de blanc". Instantanément, je me dis revanche. Banania transperce sa boîte de cacao, sort du décor, s'échappe, qui sait pour de bon peut être. "Y a plus bon banania" titre Siné Hebdo. Banania ne va faire qu'une bouchée du blanc colon aux mains sales. Les chiffres tombent. "J'ai la mémoire qui flanche" et aucune mémoire des chiffres. Tout ce que je suis capable de retenir c'est l'écart flagrant entre ici et là bas: PIB, taux de chômage, salaires... La différence entre ici et là bas. Car il s'agit bien d'un là bas, d'un ailleurs, dont jamais on ne parle.


Des amis d'amis ont eu la merveilleuse idée de partir là bas. Les noix de coco, la plage, le zouk, le bal masqué de la Compagnie Créole, et ohé ohé. Triste image finalement. Image erronée, stéréotype extrême. Les gens d'ici, autrement dit les anonymes de la France d'en bas croisés au café du coin, ont nécessairement besoin d'un peu d'exotisme dans leur vie. Alors un vol pour les Antilles françaises, s'il vous plait, et par ici la monnaie. La révolte sociale qui secoue les Antilles françaises n'est qu'un juste retour de manivelle. Banania tient sa revanche. Il est bel et bien finit le temps où il produisait avec assiduité le bon cacao, le doux coton, et bons nombres d'autres matières tout aussi importantes. Maintenant, il réclame sa part du gâteau. Car jusqu'ici ce sont les békés qui savourent les parts du gâteau. Les descendants des colons détenant près de 80% des richesses des terres antillaises. Profiteuse la mère patrie?

Il fait noir ici. Il est tard maintenant. Un syndicaliste a été tué là bas. Aux infos, je vois Loïc de La Mornais là bas. Le Zapping du Grand Journal ne montrent que des images de là bas. Le tableau dressé est assez désolant, là bas. Moi, je suis ici avec Abd Al Malik. Il tourne en boucle, les voisins de la France d'en bas doivent être épuisés d'entendre l'intellectuel des cités. Mais moi, je m'en fous. Soudainement, EUREKA. Ses mots viennent jusqu'à moi et je les comprends, eux. Ils sont d'actualité. Les poèmes d'Aimé Césaire sont d'actualité. Play. Track  6.

Noir comme un département de l'humanité. Noir comme pour l'universel son singulier. Noir comme s'il s'agissait d'aimer. Mais il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire. Coupe la musique...
Il y a des volcans qui se meurent
Il y a des volcans qui demeurent
Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
Il y a des volcans fous
Il y a des volcans ivres à la dérive
Il y a des volcans qui vivent en meute et patrouillent
Il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps
Véritables chiens de la mer
Il y a des volcans qui se voilent la face, toujours
Dans les nuages, il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués
et dont on peut palper la poche galactique
Il y a des volcans pieux qui élèvent des monuments à la gloire des peuples disparus
Il y a des volcans vigilants
Il y a des volcans qui aboient montant la garde au seuil du graal des peuples endormis
Il y a des volcans fantasques qui apparaissent et disparaissent
Il ne faut pas oublier, ceux qui ne sont pas des moindres, les volcans qu'aucune dorsale n'a jamais repéré
et dont la nuit, les rancunes se construisent
Il y a des volcans dont l'embouchure est à la mesure exacte de l'antique déchirure
Aimé Césaire

Tag(s) : #Actualités
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