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Biutiful1« La Nausée ». Rares sont les films à provoquer cette sensation, cette douleur si étrange. Ce n'était pas un film d'horreur, pas un truc moche avec des effets spéciaux, c'était juste la réalité. La réalité filmée encore et toujours par Inárritu. La réalité cause de la nausée à la sortie de la salle. « Ça sert à quoi d'aller au cinéma pour se rendre malade ? ». Ça sert à être lucide, à regarder la vérité en face, à se la prendre en pleine gueule quitte à vous chambouler pendant plusieurs heures. Bien sûr ce n'est pas en visionnant un film qui parle de la misère humaine à l'état brut que l'on va combattre cette misère, cette horreur du quotidien qui se propage au plus près de chez nous. Mais aller voir un Inárritu c'est déjà un beau geste pour la planète. Pour comprendre combien elle est pourrie jusqu'à la moelle, comprendre que quoi que tu fasses, ton geste entrainera toujours le reste de l'humanité vers sa longue et silencieuse chute. Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir.

 

Après 21 Grammeset Babel, Inárritu explose nos petits cœurs égoïstes d'occidentaux avec Biutiful. En abandonnant dès le départ son (anti-)héros Javier Bardem dans l'autre monde on se dit qu'on aimerait très vite rejoindre Javier et sa fascinante gueule brisée là-bas, pour nous éviter de continuer à vivre dans un monde aussi nauséabond, pour nous empêcher de fermer les yeux un peu plus longtemps sur cette misère humaine qui hante nos grandes villes, pour fuir au plus vite ce non-sens et cette noirceur dans laquelle nous sommes plongés depuis toujours. Le cinéma d'Inárritu provoque, hélas ou heureusement, de telles idées cafardeuses et en cela il est une grande réussite. Le cinéaste mexicain appartient à une race en voie de disparition, presque oubliée dans ce bas-monde, celle des humanistes. Son cinéma est un miroir posé sur une réalité face à laquelle peu dans le monde ose encore poser leur caméra. Certains diront qu'Inárritu a fait du misérabilisme humain son fond de commerce, moi je préfère dire qu'il est le seul aujourd'hui à oser poser un œil ingénieux, et juste de surcroît, sur ce que chacun se refuse à combattre et même pire : à regarder en face.

 

Chez Inárritu, la misère grouille à chaque plan. Jadis aux Etats-Unis, au Maroc, au Mexique ou au Japon, sa caméra se pose aujourd'hui sur ce vieux continent qu'est l'Europe, sur la misère visible à quelques heures seulement de notre vieux pays. Barcelone la lumineuse, l'ancestrale ressemble sous la caméra d'Inárritu àune ville irréelle où les silhouettes déambulent nuit et jour à la recherche d'une quelconque chose. De l'argent, d'un être disparu, d'un avenir meilleur, de leur destin. Inquiétante et complètement repoussante, Barcelone est dépouillée de ses charmes habituelles. Elle incarne en vérité ce que chaque grande ville incarne dans la réalité : il suffit de gratter une peu pour voir apparaître sous le luxe tapageur, la beauté éclatante d'une ville, son horreur pure et dure où tous les exclus de la terre sommeillent en silence, se croisent et tentent de survivre. Uxbal (Javier Bardem) appartient à ce second monde, celui de l'ombre. Sa différence à lui, c'est qu'il appartient à la race des exploiteurs tout en étant membre du monde de l'ombre.

 

Biutiful2

Dans un quartier pauvre de Barcelone, Uxbal (un impressionnant Javier Bardem) élève seul ses deux enfants. Pour vivre « convenablement », ce qui signifie ici « pour ne pas crever de faim et avoir un toit sur la tête », Uxbal se donne à quelques activités malhonnêtes mais tellement banals dans le monde moderne. Le trafic de clandestins lui permet d'arrondir ses fins de mois, d'espérer un avenir meilleur pour ses deux gamins. Des gamins justement les clandestins en ont aussi, et eux aussi acceptent n'importe quoi pour faire vivre les leurs. Des africains vendeurs à la sauvette ou dealers, des chinois travailleurs pour pas un rond, un espagnol exploiteur parmi d'autres et le reste du monde continue de tourner. Inárritu s'attache à filmer les opprimés dans cette vaste Cour des Miracles qu'est notre humanité. Il les fait se croiser de manière poignante mais dénuée de tout pathos écœurant. Des simples regards, des silhouettes évasives dans une Barcelone fantastique suffisent à faire entendre au spectateur les échos d'un monde où l'homme est voué à sa perte parce qu'il accepte. Accepte d'exploiter, de se faire exploiter, de se taire, d'obéir. La rengaine de l'humanité continue de tourner en boucle. Face à elle, nos yeux plein de larmes et d'angoisses expriment la pitié, l'écœurement, la révolte certainement. Et à ceux qui accusent Inárritu de manipuler les sentiments de son spectateur, il faudrait répondre que c'est d'abord et avant tout la réalité qui nous manipule pour nous faire taire face à de tels événements inacceptables. Si les sanglots surviennent dans deux scènes magistrales de Biutiful(une où des clandestins africains sont attrapés et tabassés par des flics, l'autre où des clandestins chinois meurent durant leur sommeil à cause du chauffage au gaz) ce n'est pas seulement grâce au talent d' Inárritu. C'est parce que ces scènes aux crispations indélébiles ne sont pas des scènes de fiction. Elles sont ancrées à jamais dans notre passé, notre présent et hélas notre futur. Le cinéaste Inárritu n'a pas l'élégance de nous épargner voilà ce qui dérange encore une fois.

 

Biutiful3

Il n'épargnera pas non plus son héros : Uxbal. Brutalement durant le récit on apprendra que ce dernier est atteint d'un cancer. Le visage de Javier Bardem à partir de cet instant ne sera plus que celui d'un fantôme qui hante les artères d'une Barcelone inquiétante. Dans sa lente descentes aux enfers, Uxbal tentera en vain de se racheter une conduite. Ses efforts seront récompensés par des drames parfois insupportables pour nos frêles âmes. L'exploiteur est alors soudainement lui aussi esclave du destin. Il ne peut rien faire contre l'au-delà qui ère non loin de là. Comme si nous étions tous des morts en sursis dans l'impossibilité de racheter ni nos conduites, ni la conduite de notre humanité dégueulasse.

 

Dans la pénombre d'une Barcelone loin d'être lumineuse, Inárritu filme un tableau naturaliste. Crasseux, parfois insoutenable, son Biutiful est véritablement tout sauf " Biutiful ". Il nous parle de nous, de nous tous, exploiteurs et exploités, monstres et victimes, vivants et morts en sursis. Tous prisonniers de cette chose énigmatique qu'on appelle la vie. Une vie que l'on passera sans doute à regarder des films pareils, à pleurer et à se dire que la vie est cruelle. Définitivement tout sauf " Biutiful ".

 

 

Bande annonce Biutiful

Tag(s) : #Cinéma
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