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Au hasard du web, on croise des pépites musicales qui nous auraient certainement échappées des regards et des mains dans une boutique de disques. La pochette est jolie, presque attirante. Un noir et blanc sublime où un jeune homme à la chevelure ébouriffée pose assis sur un piano, le regard perdu vers une cible invisible, une lumière quelconque. Cette lumière certainement crée par son jazz ébouriffant justement, alternant avec beauté envolées lyriques et doux vague à l'âme.

 

Le jeune homme en question se prénomme Tigran Hamasyan. Derrière ses boucles brunes, on décèle le regard sombre des rockeurs dont les demoiselles en fleurs raffolent. Le bellâtre est arménien et a 24 ans. Le bel âge embellit par un look de rockeur et un charme ravageur. Mais le garçon n'est pas attiré par les guitares électriques que les rocks star brisent sur scène depuis des décennies. Son truc à lui c'est l'instrument suprême et imposant : le piano. Aux cordes de la guitare électrique, Tigran Hamasyan préfère les cordes du piano à queue. Cet instrument majestueux est entré dans sa vie alors qu'il n'avait que 3 ans. Son truc à l'époque n'est pas de reproduire les compositeurs prestigieux mais les rockeurs dont il admirait l'énergie et le talent. Led Zeppelin, les Beatles, Queen, il voue un culte au rock dit « classique » des années 70. Ce rock que son père chérissait tant.

 

TigranAFableUn peu plus tard, vers l'âge de 10 ans, Tigran Hamasyan se sépare de ses premiers amours rock'n'roll pour des berceuses jazzy et la musique classique. Virage à 180° que le jeune compositeur aime à pratiquer. Il deviendra alors un enfant prodige, composant ses premières chansons à seulement 11 ans. Ses héros d'alors sont Bud Powell, Charlie Parker, Louis Armstrong. Attaché à ses racines arméniennes, il se penchera ensuite sur la musique folklorique de son pays. Devenues, depuis ce jour-là, une véritable source d'inspiration. À l'adolescence, au lieu de courir les filles comme un garçon de son âge, le jeune pianiste courra les récompenses. En vrac : 3 ème prix du concours international de piano-jazz Martial Solal à Paris, 1 er prix de la critique et du public au concours de piano de Montreux Jazz Festival, 3ème prix du concours de piano-jazz de Moscou... S'en suivra naturellement un premier album en 2006 : Word Passion. Depuis Tigran Hamasyan vogue de grandes salles de concert en studios d'enregistrement.

 

Comme n'importe quel nouveau talent soumis à la pression des critiques, des comparaisons (élogieuses) lui collent fatalement à la peau afin que le public ne soit trop perdu. L'une d'entre elles revient sans cesse : « le nouveau Keith Jarret ». Au départ, on rechigne à employer un tel parallèle. Et pourtant, plus le disque avance et plus la ressemblance apparaît. Filiation ? Certainement. A Fable, la dernière petite merveille signée Tigran Hamasyan a l'énergie du légendaire Köln Concert de 1972. D'ailleurs il n'est pas surprenant de fouiller dans sa vieille bibliothèque pour retrouver le disque de Keith Jarret suite à l'écoute du disque du petit nouveau de la scène piano-jazz. Il s'y dégage une même technique et maîtrise de l'instrument. Les notes qui s'en échappent y sont tour à tour fulgurantes, fugaces, émouvantes et joyeuses.

 

Seul derrière son piano, avec ses 21 années de pratique, Tigran Hamasyan subjugue par son œuvre prolifique, valsant sans cesse entre la virtuosité des notes oniriques et mélancoliques, graves et sombres. Vibrant recueil de compositions vertigineuses, A Fable débute sur une berceuse joliment sombre et entêtante (« Rain Shadow »). On pénètre alors avec curiosité dès la première seconde dans l'univers des fables fantasmées dont l'imaginaire arménien se nourrit depuis des siècles. S'en suit une performance dynamique et enjouée (« What the waves brought ») où le pianiste siffle pour participer à l'effet fantastique de son jeu. Il chante sur « Longing », composition calquée sur un poème arménien, chantonne sur « Carnaval » et bouleverse avec « Mother where are you ? ». Le tout est subtilement gracieux, propice à l'évasion, au repos de la pensée comme à la fulgurance des idées. Inspirées, ces compositions sont de véritables fables couchées sur les touches noires et blanches du piano, comme des écrivains épancheraient leurs pensées sur la feuille blanche. Soudain dans cette confusion sublime de joie et de peine surviennent des notes ô combien lyriques que la terre entière connait sur le bout des doigts : « Someday my prince will come ». Encore une histoire de conte, dont la reprise vaut ici le détour, et détrône même la version originale.

 

A Fable est un conte conté, non pas à demi-mot, mais au piano. On y retrouve toute la matière nécessaire aux contes de l'enfance, incrustés dans les esprits pour toujours. Dans les morceaux de Tigran Hamasyan s'échappent douleur et joie, crainte et lueur d'espoir. Le tout magnifiquement transcendé par l'aisance affolante et l'imagination sans borne de sa jeunesse. Une jeunesse à suivre de près et un album à écouter avec des yeux ébahis grand comme ça !

 

A Fable de Tigran Hamasyan (Universal Music)

Extrait : What the waves brought

 

Tag(s) : #Musique
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