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1Reinedespommes4« Fais ta vie et n'attends rien des autres. Fais ta vie loin des mauvais apôtres » c'est sur ces légères paroles du grand Charles que s'ouvre La Reine des pommes, le premier et merveilleux long-métrage de l'actrice-réalisatrice Valérie Donzelli. C'est également sur cet air du fou chantant que l'on rencontre la fameuse « reine des pommes ». Cette reine c'est Adèle (Valérie Donzelli). Son visage de Madone aux attitudes coquines nous dit vaguement quelque chose lorsqu'on la rencontre pour la première fois, déambulant le cœur joyeux sur les trottoirs d'un Paris qui ne lui fait aucun cadeau. Mais l'instant suivant, on la retrouve sous un tout autre jour. Visage en larmes, dévasté par la lettre et les aveux de Mathieu (Jérémie Elkaïm), son petit ami, naturellement appelé « amour de ma vie ». Enfin ça nous revient, on la connait bien cette Adèle. C'est une meilleure amie, ou une vague connaissance, la cousine d'une telle ou serait-ce alors un peu nous-même ? Adèle c'est avant tout la « Reine des pommes », comme dans la chanson démodée mais réaliste de Lio : « Je suis la reine des pommes. Je te donne mon cœur. Bien que je règne pas sur le tien. Je suis la reine des pommes ». Autrement dit : la reine des connes !

 

Cette petite conne, sous ses airs de princesse larguée et ses déclarations ridicules (car amoureuses) est une fille attachante. La trentaine, paumée, courant les catastrophes et ayant un goût prononcé pour les désastres (amoureux de préférence), Adèle en séduira plus d'un (à l'écran comme dans la salle). Elle en énervera aussi plus d'un (ou d'une) avec ses grands airs d'héroïne éplorée, larguée, lessivée par sa quête d'amour se promenant dans la vie comme certains dansent chez Demy, comme d'autres aiment chez Rohmer ou s'amusent chez Chaplin. Car La Reine des pommes a beau être réalisé avec deux ou trois bout de ficelles, un casting réduit, un nombre impressionnant de plans fixes et une budget minime il n'en est pas moins un « grand premier petit film ».

 

Bouffée d'air pur, d'extrême liberté et de franche rigolade, La Reine des pommes, dès ses premiers plans et mésaventures, plonge le spectateur dans sa mémoire cinéphile. Il y a là dessous du Godard dans les collages, du Truffaut dans la narration à voix haute, du Rohmer dans les sentiments, du Demy dans les instants volés par la chanson, du Chaplin et du Keaton dans les corps élastiques et les regards malicieux ravis de jouer au cinéma muet. Valérie Donzelli n'a rien inventé de ce montage loufoque adorable à contempler. Elle a pourtant tout réinventé pour livrer l'histoire anodine d'une pauvre fille qui s'obstine autant à ne pas oublier le grand amour comme à en chercher un nouveau. Compliquées ces filles ? Fatalement.

 

Reinedespommes

La Reine des pommes a beau joué la reine des connes, elle n'en possède pas moins plus d'un tour dans son sac en matière scénique comme sentimentalement parlant. Mathieu c'est fait la malle sous l'excuse inévitable du « j'étouffe », et c'est tout naturellement qu'Adèle se fait consoler comme une bonne victime qu'elle est. N'ayant rien à elle, ni appart, ni boulot, elle quitte l'appartement de son ex-cher et tendre pour s'installer chez sa cousine Rachel (fantasque Béatrice de Staël). Grâce à celle-ci, elle va reprendre le cours de sa vie, sans oublier véritablement Mathieu. Un soir Rachel lui donne le conseil clé pour oublier : « coucher avec d'autres hommes afin de désacraliser son histoire perdue  ». Adèle s'exécute. Elle couche alors avec Jacques, un cadre ultra BCBG qui, ô malheur, réussit à la faire jouir ! Adèle pleurera suite à ce premier échange charnel, ce qui poussera Rachel à la mettre devant son inconstance : « On te quitte tu pleures, tu jouis tu pleures ! ». Devant ce triste constat, Adèle volera d'aventures en aventures. Des aventures bienveillantes avec une jeune étudiant prénommé Pierre, des aventures burlesques avec Jacques et des aventures aux élans sadiens avec le libertin Paul. Mathieu, Pierre, Paul, Jacques, comme dans La Bible vous avez remarqué ? Monsieur Tout le monde en somme, comme si Valérie Donzelli désirait s'amuser avec ces hommes, si identiques et au final tellement singuliers. C'est avec une malice certaine qu'elle a utilisé le même acteur pour incarner tous ces hommes, un rôle sur mesure pour son (vrai) amoureux Jérémie Elkaïm. Une jolie façon de dire avec subtilité qu'une fille recherche toujours le même prince charmant dans chaque homme. Qu'elle croit l'apercevoir à chaque fois, et qu'il est toujours tout autre.

 

Tout autre ce film l'est aussi. Burlesque, il collectionne les références tragi-comiques des films d'antan, le romantisme exalté des films de la Nouvelle Vague et des réminiscences de liberté comme seul le cinéma peut en produire. Adèle (double autobiographique de Valérie Donzelli ?) affiche sur les murs de sa chambre ce qu'elle pense (« gros bâtard, grosse baltringue, fils de pute »). Adèle tombe amoureuse quand elle en a envie au détour du Parc Montsouris. Adèle chante des comptines aux charmes enfantins quand bon lui semble («  Je ne sais pas si c'est ça aimer quelqu'un »). Adèle pleure, danse, couche, jouit, complote... Adèle vit sa vie de fille libre sous l'œil, malade mais bien affectueux, de sa cousine et sous la caméra curieuse et inventive de sa créatrice Valérie Donzelli... qui a dû observer un tas de filles pour en arriver à cette composition si surréaliste qu'il s'en dégage une sacré part de réalité. Si au départ, il y a de la réticence à rentrer dans ce sujet classique, la rupture amoureuse, la réalisatrice-actrice l'anéantit en deux scènes et trois mouvements de caméra ! Car de ce motif, elle fait naître une reconstruction originale de soi. Adèle vit comme une victime, puis transcende ce médiocre rôle pour devenir un symbole de liberté comme lui conseille dès le départ la chansonnette de Trenet : « Crois en toi, gardes la foi, ça ira. Car la foi donne un pouvoir merveilleux, voler de ses propres ailes ! ».

 

Reinedespommes2

Dans la vraie vie, celle où bon nombre de filles jouent à merveille les reines des pommes, de telles paroles évoquent la mièvrerie des contes de l'enfance, le ridicule flagrant des relations amoureuses et autres guimauves écœurantes. Dans la vie fantasmée par l'imaginaire créatif de Valérie Donzelli rien de tout cela n'apparait comme profondément absurde. D'un sentiment douloureux, elle crée un objet de cinéma, pas prétentieux, simplement généreux. Avec ses situations incongrues, ses dialogues idéalistes et son budget restreint et assumé, Valérie Donzelli parfaite« Reine des pommes » joue sur une autre galaxie. Une cour de récré certainement. Un lieu où le cinéma est divertissement et narrateur d'histoires vraies revisitées par la légèreté d'une fille au charme imprévisible et au grain de folie irrésistible.

 

 

Bande-annonce La Reine des pommes
Tag(s) : #Cinéma
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