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Les corps sont impatients. La mort aussi. Sournoise, elle crève d'envie de se pointer là où on ne l'attend pas. Elle choisira de faire son sale boulot dans le corps de Ninon, corps brûlant et aimant d'une vingtaine d'année. Ninon est amoureuse de Paul. Une amourette comme il en existe des milliards au plus belle âge de la vie. L'âge où il faut aimer vite, baiser, s'abîmer, pleurer, se battre, se brûler les ailes puisque tôt ou tard la mort nous enlèvera à la vie. Il faut vivre dans l'idée qu'un jour ce corps va crever. Il faut vivre avec cette injustice de la nature en tête à chaque seconde. Ninon doit vivre avec. Paul aussi. Lorsqu'elle apprend que son corps est rongée par le cancer, il reste. Il la soutient. Le corps impatient de Ninon brûle alors les étapes de la maladie. C'est alors qu'une cousine belle comme la vie refait surface. Charlotte est désirable, elle a « des cheveux » et des « seins », elle. La chair pressée de Charlotte observe celle en manque de Paul. Et vice-versa. Si la mort est incontrôlable, la vie et les corps le sont tout autant.

 

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Le premier long-métrage de Xavier Giannoli est un condensé d'états de vie. Bonheur d'aimer, crainte de perdre, extase instantanée, douleur d'une éternité, jalousie maladive, tourmente insatiable, pleurs salés et rires fugaces. La caméra à l'épaule le jeune cinéaste capte la moindre émotion et sensation. L'instinct éclate comme rarement il l'ose le faire sur grand écran. « Oser », beau verbe pratiquer avec passion et talent par Giannoli. Le débutant s'est imprégné de Pialat, de ses coups de maître, de son faible pour les sujets inconfortables, pour appâter le malaise dans le regard des spectateurs. La caméra se doit d'être sur le qui-vive. Elle oscille entre fiction et documentaire. Dans les couloirs de l'hôpital, elle nous retourne l'estomac. Dans le bureau d'un médecin, elle nous prend aux tripes. Peut-être avons-nous nous aussi l'envie de gerber comme Ninon. Peut-être qu'on doit cracher à la face de la nouvelle cruelle : le cancer est là. Étrangement, un mimétisme se crée entre les sensations des spectateurs et ceux des acteurs. Mimétisme insupportable contre lequel on ne peut lutter. Comme Paul, on doit rester coûte que coûte accroché aux beaux yeux de Ninon, au récit âpre de Giannoli. Quant le trio déraille, se désaccorde avec un plaisir coupable et malsain, on reste captivé par la vie qui tente de battre encore dans ces corps impatients. Ninon pousse Paul dans les bras de Charlotte pour finalement le repousser ensuite. Le va et vient dure quelques temps aussi incompréhensible que justifié, aussi éblouissant que dégueulasse.

 

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L'urgence se fait sentir. Il faut traquer la vérité crue de ces trois corps impatients. Sous leurs airs amoraux, ils dissimulent une certaine vérité de la vie. Cette dernière est cruelle : l'instabilité guette. Elle guette les corps, la vie, les sentiments. Elle les gâche tous parfois par sa folie instinctive. L'unique coupable, celle qui entraîne Ninon à se battre contre la mauvaise personne, celle qui conduit Paul sur le chemin de la chair de Charlotte. Xavier Giannoli avoue, dès ce premier film, un faible pour les êtres cabossés et instables. Les Corps impatients sont des passagers de l'instabilité, ils traversent la vie et les pièces de ce décor factice et précaire sans jamais rien calculer. L'instinct les guide à se sauter dessus, à se frapper ou à s'aimer. Au-dessus de ce vide béant peuplé d'un silence glaçant, trois personnages, trois acteurs (presque) débutants évitent au film de sombrer dans la pure figure de style d'une histoire d'amour à trois. Le trio appartient à cette génération d'acteurs instinctifs n'ayant aucunement besoin de déployer tirades larmoyantes pour émouvoir. Les yeux de Laura Smet, la mâchoire tendue de Nicolas Duvauchelle et les courbes désirables de Marie Denarnaud suffisent à la caméra. Leur trio incarne tous ces mots que les personnages sont incapables de se murmurer. Une interprétation où seule la sincérité prime sur le reste. Un film où la mort plane pour mieux évoquer la vie.

 

Les Corps Impatients, la bande-annonce
Tag(s) : #Cinéma
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