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Dans l'Allemagne de l'après guerre, Hanna, une trentenaire contrôleuse de tram, vient en aide à un jeune adolescent de quinze ans victime d'un malaise. Il pleut sur les ruines de l'Allemagne nazi, Michael se laisse surprendre par l'aide de cette étrange jeune femme. L'été et le beau temps revenus, il retourne voir Hanna pour la remercier et pour autre chose... Dans un médiocre studio, Hanna voit arriver cet adolescent qui n'est encore qu'un enfant. La belle au visage glacé repasse avec violence ses sous-vêtements. Le jeune garçon ne peut s'empêcher de remarquer son geste. A cet instant même, la situation est pesante, pour chacun des protagonistes. Pour Hanna et Michael et pour les spectateurs. Cette atmosphère oppressante s'immisce dans chacun des plans de cette histoire peu commune au cinéma. Le type d'histoire dont on ne sort pas indemne. Tourmenté par tous ces types de questionnements sur l'âme humaine et ses extrémités.

Adapté du best seller de Bernhard Schlink, The Reader était un pari risqué. Le genre de film sur lequel on mise tout, et ce fut le cas pour celui-ci où Sydney Pollack et Anthony Minghella s'investirent énormément dans ce projet délicat. Délicat semble être le terme le plus adéquat pour une telle œuvre.  Complexe et épineux, le sujet du film demeure l'un des sujets les plus difficiles de notre histoire commune: l'Holocauste. Histoire tragique et par conséquent délicate, les œuvres issues d'une telle réalité sont, hélas, souvent acclamées ou décriées. Remportant les saluts des uns, The Reader est pointé du doigt par les autres. Problèmes d'optiques, certainement. Là où certains voient de la sobriété d'autres s'imaginent le pardon accordé aux bourreaux nazis. Là où certains récompenses Kate Winslet d'un Oscar de Meilleure Actrice d'autres la perçoivent comme une erreur de casting dû à la grosse machine hollywoodienne. Partager entre défauts et qualités, The Reader s'affirme comme film indéniablement utile au fonctionnement de nos démocraties présentes et futures.

Histoire en deux volets, The Reader se lit comme un roman. Une première partie sensuelle où le corps frêle dun adolescent découvre le corps sublimé d'une femme. Femme qui initie le jeune garçon au plaisir de la chair tandis que celui-ci l'initie  au plaisir de la lecture. Échanges filmés avec pudeur, ce donnant-donnant se transforme très vite en deux verbes. Jouir puis lire. Ce "jouir puis lire" s'inverse au fur et à mesure des retrouvailles des amants. Le spectateur observe les corps qui s'enchevêtrent, les lectures qui se veulent passionnées, puis ces deux-êtres sans passé, ni futur. Car à cet instant du film, aucun soupçon ne plane sur le personnage d'Hanna. Certes, elle porte en elle, cette froideur, cette indifférence étrange qui d'un seul coup se transforme en pleurs ou en colère improbable. Inaccessible, elle incarne ce type même de personnage qui intrigue le spectateur par sa capacité à émouvoir et dans un même temps à laisser pantois. Les lectures se succèdent et ne se ressemblent pas. De Lady Chatterley en passant par L'Odyssée et Guerre et Paix, The Reader (comprenez Le Liseur) se promène au fil des grands mythes littéraires de nos sociétés occidentales, fait rejaillir les inepties de notre triste existence et les aléas de celle-ci. Cette association libératrice du sexe et de la littérature élabore une relation passionnelle à laquelle on croit sans hésiter.

Hélas, le cinéma est là pour nous faire basculer dans un monde d'hésitations et de questionnements. Un beau jour, Michael débarque chez Hanna et découvre le studio vide. Partie à jamais, Hanna quitte la scène. Quelques années plus tard, le spectateur découvre un autre Michael. Un beau et intelligent jeune homme, un étudiant en droit venu assister au procès d'ancienne gardiennes SS. Sur le banc, des accusés, un visage familier. Celui de la femme qu'il a aimé, cet été là. La vie s'effondre avec la vision de ce visage. Visage de l'être aimé devenu bourreau. Durant ce procès, d'une extrême violence à l'égard des gardiennes SS, Michael prend conscience du secret honteux d'Hanna et le spectateur suit ce chemin similaire. Hanna est analphabète. Être inculte pour elle semble une source de culpabilité plus grande que la mort qu'elle a donné à des millions de juives en les envoyant aux camps de la mort. Ce retournement de situation ne transforme aucunement notre vision de cette ancienne maîtresse aux traits de coupable. Au contraire, toute l'histoire prend forme et les fêlures d'Hanna sont enfin dévoilées. Anti-héroïne glaçante à la beauté incontestable, elle incarne du début jusqu'à la fin cette banalité du mal qui rongea notre humanité depuis sa création. Si certains ont pu croirent au pardon accordé à Hanna par l'élément clé qu'incarne l'analphabétisme, ils se trompent. La faille de cette ancienne gardienne SS n'est aucunement une excuse à ses actes. Contrairement au Oskar Schindler de Spielberg, Hanna Schmitz n'est jamais sauvée par le regard de son créateur. Sa culpabilité n'est jamais remise en doute. Ce qui est remis en doute ici est le fonctionnement même de nos sociétés, susceptibles de basculer à tous moments dans l'enfer du mal. Ici, il n'y a aucune allusion au passé, une absence totale d'images d'archives retraçant l'horreur de l'Allemagne nazi. Un refus éloquent qui peut se traduire par la force de notre mémoire collective à se créer nos propres images de cette tragédie mondiale. En cela le film se veut plus fort que l'émotion qu'on nous sert en grande quantité à Hollywood. Nous sommes réunis, des années après , face à un des nombreux bourreaux de l'Histoire. Que faire?

Telle est la question. Michael, déchiré entre celle qu'il a aimé et celle qui l'effraie, se perd dans ses cours de droits. "Nous sommes là pour comprendre" crie t-il à un autre étudiant qui désire tuer ses gardiennes SS. "Nous sommes là pour comprendre", la phrase résonne dans l'amphithéâtre. Hélas, comprendre quoi? Comprendre comment mieux vivre avec le crime des nos ancêtres. Comprendre comment du jour au lendemain un banal citoyen peut banaliser le mal en acceptant un régime fasciste au pouvoir. Comment vivre avec l'idée que tout peut basculer du jour au lendemain. Aux questionnements collectifs viennent s'ajouter les questionnements individuels. Ceux d'un être dont l'histoire intime vient percuter l'Histoire. Le regard de Michael, bel adolescent incarné par Davd Kross ou bel homme incarné par Ralph Fiennes, nous oblige à voir l'inadmissible. L'humanité se lit alors sur le visage d'Hanna. Est-ce l'amour qui rend aveugle ou est-ce nous qui refusons de voir l'humanité des êtres qui ont cherché la perte de notre humanité? Le "garçon", comme Hanna aime à appeler Michael durant des heures d'ébats amoureux et des heures de lectures passionnées, ce garçon-là ne peut voir que le monstre. Il voit au-delà. Apercevant une personne qu'il a aimé et qui, quoi qu'on en dise, demeure un être humain, Michael explore, avec tourments, les questionnements et les déchirements de toutes générations. Dépourvu de tout manichéisme hollywoodien, The Reader relate la complexité de l'âme humaine. Sans jamais donné aucune réponse, ne basculant aucunement en faveur des bons ou des méchants, le film nous pose juste face à nos extrêmes et nous dit: regardez. Regardez de quoi vous êtes capable.



 

Tag(s) : #Cinéma
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