Foxfire, le girl power des fifties

« La jeunesseest la seule génération raisonnable » disait Sagan. La phrase pourrait définir à elle seule le nouveau film de  Laurent Cantet. L'auteur du beau Entre les murs se penche de nouveau sur cet âge d'or qu'est l'adolescence, ces révoltes justifiées et sa fureur de vivre précieuse car éphémère. Le réalisateur digère à la perfection sa Palme d'Or en prenant le pari risqué de filmer en langue anglaise, avec des actrices quasi inconnues au bataillon, une histoire d'hier et d'aujourd'hui aux sons d'autrefois mais aux échos éternels.

Filmer la constitution, la vie et la mort d'un groupe d'adolescentes telle est la nouvelle matière de ce nouveau film. Un gang qui décide de prendre les armes qu'on leur refuse : la liberté, la force, la pensée. Lassées d'être écrasées par le machisme ancestral, le conservatisme nauséabond et le capitalisme ambiant d'une Amérique où tout n'est que promesse d'un bonheur superficielle, ces filles mettent le feu à leur bougarde endormie et font le sermon de « ne jamais rien regretter » de « ne jamais trahir leurs sœurs de sang ».

Adapté d'un roman éponyme de  Joyce Carol Oates, Foxfire Confessions d'un gang de fillesest une confession revigorante menée tambour battant par le cerveau de la bande Margaret dit Legs (Raven Adamson). Forte tête au physique frêle c'est elle qui fonde cette société secrète à l'emblème sacrée : une flamme incandescente. Legs bouscule les codes de l'époque. Les codes vestimentaires ou de bienséance ne font pas partis de son vocabulaire. La demoiselle en jean, simple T-shirt et coupe à la garçonne, elle, accepte toutes les filles sans exception. Les gentilles, les jolies, les timides, les violentes, les filles de couleur. À Rita, modèle type de la femme des fifties, pleurant devant les moqueries et mauvais traitements des garçons, elle lance : « C'est à toi de décider comment les garçons vont te traiter ».

Plus aucune fille entrant dans le cercle de ces rebelles plus instinctives que philosophes ne supportera le traitement dégradant des garçons. Plus aucune d'entre elles ne sera seule à affronter cette Amérique corsetée dans ses principes ancestraux car désormais elles se baladeront, souffriront, vivront à toute vitesse en groupe comme dans ces bons vieux films des années 50 où Marlon Brando et ses blousons noirs menaient la vie dure aux patelins paumés d'une Amérique faussement libérée. Laurent Cantet reprend la thématique phare du cinéma de cette époque, le gang. Il le conjugue au féminin et construit le récit d'une « véritable solidarité féminine ». Récit précieux de ce gang de filles, que l'actualité du moment nous ferait presque considérer comme des ancêtres de Femens ou des Pussy Riots. Gang de hors la loi pour l'époque dans laquelle elles sont prisonnières, modèle de conduite pour leurs héritières.

Cette fureur de vivre et de ne laisser quiconque diriger sa vie ne va pas sans quelques accrocs. Après un passage par la case maison de correction, Margaret entraînera son gang vers un mode de vie qui tuera peu à peu l'idéal : la fraternité et la liberté. Durant ce bref épisode, la méthode employée pour faire vivre le groupe conviendra peu avec sa vision de la femme. Les filles joueront les hameçons bien maquillées pour hommes fortunés auxquels le gang videra les poches. Le besoin argent vient corrompre l'idéal, déjà salit par les caractères de chacune. Mais malgré cette méthode peu loyale et une fin à la reconstitution douteuse, Foxfire tient ses promesses : revigorer les femmes d'aujourd'hui, la jeunesse, les opprimés, les oubliés, les invisibles. Le regard passionné de Cantet rend le récit passionnant, le naturel de ces actrices fabuleuses rend ce combat puissant. Combat d'hier et d'aujourd'hui, affaire de jeunesse ou pas, les confessions de ces filles qui ont pris leur destin en main quitte à ce que cette fureur de vivre coûte une vie rallume la flamme de l'idéal inassouvi...au moins pendant deux heures durant. Et c'est déjà beaucoup...

Bande annonce Foxfire, Confessions d'un gang de filles