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16 Mars 2010. Soleil à l'horizon. Température d'une douceur enivrante. Bords de mer d'une beauté tranquille. « Que c'est beau, c'est beau la vie » chantait le poète. Jean Ferrat est mort et je ne peux ignorer la triste nouvelle. Il est partout. Sur la platine en boucle. Sur la table du salon. Sur la petite lucarne... J'ironise, je joue les fières, mais au fond, je dois admettre avoir ressenti, moi aussi, un léger pincement au cœur quand dans la folie d'une soirée endiablée, une copine a lâché dans le brouhaha mauvais de la musique d'aujourd'hui : « Putain, Jean Ferrat est mort! ». Putain, il est donc mort le poète...


Petite, j'aimais chantonner « La Complainte de Pablo Neruda », ignorant à la fois qui était le pauvre homme dont on chantait le nom, et qui était ce vieux monsieur, à la moustache tendre, qui chantait : « Lorsque la musique est belle, tous les hommes sont égaux ». C'était certainement ça Ferrat, une musique belle conçue pour rendre, le temps éphémère d'une chanson, les gens libres et égaux. Né en 1930 dans les Hauts-de-Seine, Jean Ferrat n'est pas né Ferrat mais Tenenbaum. Un nom qui mènera tout droit son père (un juif émigré de Russie) vers les camps de la mort. D'Auschwitz, il ne reviendra pas. Jean Ferrat, lui, y échappera grâce à des militants communistes qui le cacheront durant toute la guerre, acte qu'il n'oubliera jamais. Après de brèves études de chimie, le jeune homme se laissera attirer par la très séduisante musique. Un art par lequel il livrera quelques uns des plus beaux textes de la chanson française et une somme d'engagements admirables.

 

Ferrat3

Dans la France de l'après-guerre, avec les Brel, Ferré et Brassens, Jean Ferrat incarnera l'un des géants de la chanson française. Un chanteur d'une sincérité désarmante dont les compositions ne cesseront d'entremêler avec humanité poésie et textes engagés. Un de ces rares et grands artistes qui aura bercé multiples générations par la simple beauté de textes généreux débordant de vie, d'espérance et de liberté. Amoureux d'Aragon, il fera des poèmes du poète, des chansons merveilleuses, comme Les Yeux d'Elsa en 1956, ancrées à jamais dans les mémoires des français de tous âges. Fidèle ami de la chanteuse, Isabelle Aubret, il lui offrira, suite à un accident tragique de voiture, l'un des plus beaux textes de la chanson française : « C'est beau la vie ». Hymne à l'amour, à la jeunesse et aux idées, ce titre sera un véritable triomphe. Jean Ferrat collectionnera ainsi multiples succès au fil de 30 ans de carrière. Hélas, les années 70 et le conformisme ambiant auquel se refusait l'artiste, viendront interrompre cette carrière fulgurante. Las du système, du mercantilisme et de la superficialité dans laquelle s'enfermait la chanson française, Jean Ferrat décidera un beau jour de quitter la scène et ses lumières pour l'Ardèche et sa paisible vie.


Ses apparitions se feront alors de plus en plus rarissimes. Un plateau télé de temps en temps. Quelques soutiens ici ou là. Mais surtout un engagement toujours très vivant auprès des nobles causes. Car l'artiste était avant tout un homme attentif, un être sensible sans cesse à l'écoute de son prochain. Ferrat a chanté la France d'autrefois, celle des combats, des engagements, de l'émancipation de tout un peuple. Il a fait résonner dans ses textes les plus forts, les valeurs qui l'animaient profondément : la liberté, la fraternité et la justice. Il aura connu la censure, à la radio et à la télévision, à une époque où il n'était pas encore possible de parler de la déportation avec le bouleversant « Nuit et Brouillard », un titre en mémoire des victimes de la Shoah. Compagnon de route du Parti Communiste, dont il n'a jamais été membre, il a chanté l'humanité, le peuple et les idéaux d'un mouvement politique qu'il n'a jamais épargné, malgré ses convictions, avec des chansons comme « Camarade » ou le « Bilan », des textes critiques envers le refus catégorique du PCF de reconnaître les erreurs de l'Union Soviétique.

 

Ferrat2

Le camarade Ferrat est parti, samedi dernier, à l'âge de 79 ans. Aujourd'hui, dans son petit village ardéchois d'Antraigues-sur-Volane, plus de 5 000 personnes sont venues lui rendre un dernier hommage. Un ultime hommage à l'image de l'homme, aucune messe juste des obsèques d'une simplicité attendrissante bercées par ses plus belles, et rebelles, chansons. En cette fin de journée ensoleillée, la France de Jean Ferrat, celle des travailleurs, du journal que l'on vend le matin d'un dimanche, à l'affiche qu'on colle au mur du lendemain, était bel et bien vivante, affaiblie mais vivante pour faire exister à jamais cette mémoire collective qu'aimait tant chanter l'homme à la tendre moustache.


 



"C'est beau la vie"

 



"Nuit et Brouillard"

Tag(s) : #Musique
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