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 Quand nous serons heureux... Perdu dans un vaste présentoir, ce titre n'attendait que moi, j'en avais la certitude lorsque mon regard a croisé la couverture en noir et blanc. Avec un titre pareil, ce recueil de nouvelles de Carole Fives ne pouvait que devenir mon coup de coeur estival. La quatrième de couverture si cher à mon coeur de littéraire me dictait: « Il y a des vies que nous aimerions vivre... et celles que nous vivons, faites de compromis, de doutes et de fantasmes... ». Je suis passée à la caisse à toute vitesse, pressée de découvrir un nouveau style concis et cynique, un style qui en disait long sur la société actuelle et ses failles. Bref, un style dont on ne sort pas indemne.

 

Rien ne tourne bien rond dans notre société : tel pourrait être le constat fait par l'écriture de Carole Fives. Écrivaine et plasticienne, Carole Fives remporte en 2009 le Prix Technikart avec Quand nous serons heureux, recueil merveilleusement cynique de nouvelles où les êtres rêvent à une vie meilleure celle que l'on ose nommer « le bonheur ».


Sous la plume de la jeune écrivaine se succèdent personnages de la vie de tous les jours : ceux que l'on croise dans la rue, ceux que l'on côtoie au quotidien, ceux qui se rapprochent de nous-mêmes, des personnages dont on ose se dissimuler le mal-être et les défauts pour mieux se dissimuler nos propres failles. Fine observatrice, la plasticienne possède la première des qualités pour un écrivain : savoir ouvrir grands les yeux sur la condition humaine. Or même quand celle-ci n'est pas bien jolie à contempler, l'artiste tient bon son regard et de sa plume concise et corrosive dresse, en seulement quelques paragraphes désabusés, un décor fracassant de vérité sur le commun des mortels.

Carole Fives

Trente et une nouvelles sans hypocrisie, sans cadeau pour quiconque dans ce bas-monde. De la femme au foyer, en passant par l'homme qui rature sa vie, sans oublier la fan de David Bowie meurtrière et le photographe Rmiste, Carole Fives s'arrêtent sur tous ces êtres qui peuplent nos vies et qui sont parfois nos doubles. Ces enfants, ces hommes et ces femmes ont pour point commun de ne pas être heureux. Il leur en faudrait peu pour vivre mieux : un corps parfait, un amour parfait, un travail parfait, des enfants parfaits... Une perfection commanditée par une société qui inflige des « désirs qui affligent ».


Chacune des histoires livrées et des cicatrices ouvertes se referment sur une chute étonnante et brillante. L'écrivaine précipite, en seulement 4 à 5 pages, ses anti-héros et héroïnes vers une chute inéluctable, parfois fatale mais toujours efficace. Ce principe de la chute, qui à chaque nouvelle vous fait vous accrochez un peu plus à ce récit incroyable (et impitoyable), fait figure d'antidote contre un monde qui tourne mal. Quand nous serons heureux aurait pu s'intituler « C'est quand le bonheur? ». Car c'est cette question toujours en suspens qui hante les pages et les personnages de cette petite œuvre sans prétention dont la plume est salvatrice.


« On n'apprend nulle part à dire non. Sûrement pas en famille, où le refus du jeune enfant est vécu comme un caprice et aussitôt réprimé, ni à l'école bien entendu et encore moins au travail. Pour moi tout vient de là. De cette impossibilité de dire non, de ces demi-choix et demi-vies que l'on subit sans penser à protester ». La colère ou l'amertume de toutes les nouvelles se résume sous le discours de cette héroïne, celle de la nouvelle intitulée « Coquillettes-Jambon ». Femme au foyer, épouse dévouée et mère parfaite, elle n'a jamais appris à dire « non » alors sa réponse à la question entêtante du « c'est quand le bonheur? » elle l'a trouve dans la fuite. Un beau matin, elle part et meurt donc aux yeux des siens pour renaître à son propre regard. L'issue vers ce qu'elle considère comme le « bonheur » ne sera, hélas, pas la même pour tous les protagonistes de ces nouvelles mordantes de désillusions.


Carole Fives semble trouver sa réponse dans la littérature, manière comme une autre de lâcher un « non » libérateur et graver dans la mémoire des pages. À l'image de son photographe Rmiste paumé dans un vernissage où les personnages se croisent et se rencontrent avec le lot d'hypocrisie qui va avec, l'auteure de Quand nous serons heureux refuse la question du roman ou de la poésie, de la nouvelle et du fragment : « exit la question du genre, c'est de la littérature point ». Une littérature qui promène son miroir le long du chemin d'un monde contemporain qui n'en vaut pas franchement le coup, où l'on oublie souvent (et involontairement) la question du « c'est quoi le bonheur? »  notamment en littérature...


Cette dernière et dérangeante question se dévoile lors de l'ultime nouvelle intitulée : « Tes nouvelles Quand nous serons heureux ». Quelques pages pour saisir toute la portée de la littérature de Carole Fives où cette dernière s'imagine alors recevoir la critique d'une de ses amies ayant lu son recueil de nouvelles. Une mise en abyme malicieuse où il se dégage une dernière image sans compassion de notre monde et de sa littérature. Le discours de l'amie en question permet au lecteur de réfléchir une ultime fois sur ces récits de vie livrées par Carole Fives qui finalement forment une unique et même histoire : celle de notre société et de ses êtres qui n'ont pas la vie qu'ils souhaitent.


Par cette critique complètement truquée et faussée, l'auteure résume parfaitement l’esprit de son recueil. Éviter l'écueil de la compassion, pointer nos petites faiblesses, mesquineries et vanités en tous genres. « C'est pas parce que la vie est dégoûtante qu'il faut encore en rajouter dans un bouquin » lâche l'amie en question, une amie furax qui préfèrerai lire du Anna Gavalda, quelque chose de plus « subtil, drôle et plein d'espoir ». Elle rêve d'un auteur qui prenne son lecteur par la main, qui le chouchoute alors que son amie écrivaine, pendant 158 pages, plombe l'humeur de son lectorat avec ses histoires de gens qui ne sont pas heureux. L'amie conseille de penser «  stratégie » quand Carole Fives pense « vérité ».


La vérité dans ces pages est que l'humour nous sauve lorsque le bonheur se sauve ou ne vient pas, tout simplement. La vérité chez l'auteure n'est pas dans le fait d'insuffler une once d'espoir avec des personnages sans consistance mais insuffler une once d'espoir avec un bel accent de cynisme et en nous prenant, nous lecteurs, comme témoins privilégiés d'un monde affligeant où le bonheur n'est pas celui que l'on croit.


Quand nous serons heureux de Carole Fives (Le Passage)

 

Tag(s) : #Littérature
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