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Faut bien admettre cette vérité tragique. Dans la vie, les gens te regardent normalement. Puis du jour au lendemain, quand au détour d'une discussion tu fais l'erreur fatidique de lâcher un sincère et passionné « j'adore Godard », le regard des autres change radicalement. Soudain tu deviens l'ennemi numéro 1. La nana à abattre. La fille qu'on va railler parce que tu aimes plus qu'il ne faut l'homme à lunette. Cynique et insolent. Muet et beau parleur. Le type au cinéma compliqué qui parle de cinéma comme personne n'ose en parler depuis. Celui qui fit d'Anna sa muse. Puis s'amusa de tous avec son cinéma aussi avant-gardiste que tragique.

 

Bref, la relation que j'entretiens avec le petit Suisse qui révolutionna le grand écran avec ses comparses des Cahiers, ne fait pas l'unanimité autour de moi. Parce que contrairement à ce qu'on pense aimer Godard n'est pas très moral. Ça semble faire de toi une personne aussi prétentieuse que le cinéaste lui-même. Alors que comme lui, il n'est pas question en toi de faire preuve d'une quelconque prétention à l'égard de tes contemporains mais simplement une envie irrépressible de partager ton amour immodéré pour un cinéma qui dépeint des idées vagues grâce à des images claires à la beauté insolente. Un cinéma fait pour « penser » le cinéma et la vie.

 

Un rien barbant ce Godard comme le pense la grande majorité. La majorité perçoit le Godard comme un endormeur aux films hermétiques. L'absolue majorité n'a rien vu de Godard. Elle ignore que chez Godard s'expriment tous les sentiments comme tous les arts comme toutes les vérités. Profusion monumentale de couleurs, de mots et d'images qui fabriquent une situation que ta mémoire garde précieusement en elle pour la vie. Quand cette garce peut oublier bien d'autres choses, chez Godard elle enregistrera tout précieusement. Du geste mythique de Jean-Paul qui passe son pouce sur sa lèvre à l'accent délicieux de Jean voulant être « Roméo & Juliette ». Godard et moi que voulez-vous, ça marche du tonnerre, ça dure depuis ce jour où papa a rapporté cet étrange film à la maison. Film que j'avais glissé dans le lecteur DVD tout neuf un jour de printemps 2004. Film devant lequel j'étais resté assise par terre pendant une heure trente. Parce que s’asseoir sur le canapé c'était déjà un geste qui allait me faire perdre de vue une seconde de trop ce qui se passait à l'écran. Qu'il ne fallait surtout pas bouger d'un centimètre pour ne pas perdre de vue Jean et Jean-Paul se raconter des trucs dégueulasses avec une élégance qui n'appartenait qu'à eux.

 

À bout de souffle, le film claque, le film interdit au moins de 18 ans que tu matais du haut de tes 17 ans soixante ans plus tard comme une gamine qui n'avait encore rien vu de la vie et qui trouvait bêtement mignon cette façon qu'avait le vieux Jean-Paul de dire à tout bout de champ « je voudrais recoucher avec toi ». À bout de souffle, ton Godard préféré pendant un temps, avant que vienne le temps de la passion démesurée pour l’œuvre totale, analyse vitale du couple et de l'art, avec à son bord la muse Anna Karina et l'amuseur tragique Jean-Paul Belmondo : Pierrot le Fou. À bout de souffle celui qui redonne du souffle au cinéma français de 1959, celui qui lui inspire un nouveau souffle par un nouveau mouvement qui ne durera hélas qu'un temps. À bout de souffle celui qui enfin offre à Jean-Paul le rôle à la hauteur de son talent, un charmeur à l'insolence gracieuse, un voyou sympa qui envoie le spectateur se faire foutre quand bon lui semble. À bout de souffle et sa Jean, jeune américaine, qui déambule sur les Champs comme aucune actrice ne sera capable de le faire. À bout de souffle et le regard des passants qui passent ne comprenant rien à ce qui est en train se tramer sous leurs yeux : un film culte. Un chef-d'oeuvre qui brandit la liberté comme unique règle de conduite dans la vie comme dans le cinéma.

 

Un mec inspirant autant de mots, d'images, ne peut être chiant. Allez donc faire un tour du côté de la Filmothèque du quartier latin en ce moment. Les files de cinéphiles ou de néophytes témoignent de l'emprise que le cinéma de Godard à sur eux. Ils sont au rendez-vous tous les soirs à la rue Champollion. On y rejoue du Godard jusqu'à fin octobre. C'est l'occasion pour les néophytes qui n'ont pas la prétention de juger les passionnés de se faire une opinion. C'est l'occasion pour les passionnés de se dire que les détracteurs ont et auront toujours tort. Que l’œuvre ne vieillira pas. Qu'elle filera à travers les décennies. Que des hommes dans dix ans continueront à tomber fous amoureux de Patricia ou Marianne. Que des femmes dans vingt ans voudront ressembler à ces femmes qui finissent toujours par mépriser ceux qui les ont méprisés. Que le cinéma de Godard est seulement hermétique à ceux qui ne désirent pas y entrer. Ne pas vouloir y entrer s'est refuser la vérité, la pensée confuse mais salvatrice du type aux lunettes qui parle de façon prétentieuse d'un monde qui a la prétention de ne pas vouloir se comprendre.

 

Pour découvrir l'excellente programmation d'un cinéma typiquement époque Nouvelle Vague c'est par ici sur la Filmothèque du quartier latin

 

 

Tag(s) : #Cinéma
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