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Au départ, il y a cette chanson chopée à un concert. Ton oreille l'a déjà chopée ailleurs, il y a quelque temps. Tu sais, c'est comme quand tu crois reconnaître quelqu'un. Ton cerveau met un temps infini à retrouver le souvenir enfoui de cette personne. Mais ça ne marche pas cette fois-ci, ta mémoire en panne laisse place à l'instant présent, à l'impossibilité de te souvenir. La chanson te happe te faisant oublier que ce n'est pas la première fois que tu la rencontres. Elle cause « âmes en peine » qui s'attirent et « d'errances ensemble ». Mais tu te contrefous de la noirceur du texte et de cette ville où l'on te demande de t'enfoncer à deux. Ce n'est pas tellement le lexique miséreux qui te gagne mais ce son synthétique sale, quasi miteux qui tourne en boucle comme un ennui sans fin. Et cette voix trafiquée, déglinguée, même pas belle, même pas lumineuse juste sur le point de faire naître autre chose quand elle chante la petite mort, lancinante, gagnante. Quelque chose d'un peu tarée qui nous plonge sous hypnose.

 

Les premières secondes de « Enfonce toi dans la ville », le titre dont ma mémoire aurait dû se souvenir et qui, aujourd'hui ne veut plus oublier, a pour auteur un type qui a le mauvais goût de s'appeler Noir Boy George. Grosso modo, Noir Boy George est plus Noir que Boy George. Du coup, ça le rend vachement sympathique l'air de rien, tout ce noir qu'il malaxe dans tous les sens pour faire des chansons infectées par la misère ambiante. J'ai envie d'écrire Renaud moderne, mais ça ferait doucement rire le trentenaire. C'est le Renaud des premiers mois d'existence alors. Le Renaud qui chante la rue, le caniveau, les trucs pas beaux à la une des journaux. Un Renaud qui chante « le misère, misère » de Coluche. Le Renaud qui aurait du Germinal sous les yeux, de la crasse sur les mains, du Germinal en intraveineuse. Du Béruriers Noirs aussi quand il chante, provoque, exulte « du PD plutôt que Français ». Du Béruriers imbibés de cold wave. Du Stooges – ses idoles – quand gueulant dans « la nuit noire » il prouve que le punk se crache aussi correctement dans la langue de Molière.

Messe noire avec Noir Boy George

Noir Boy George vient de ce coin de France où l'on a éteint la lumière depuis belle lurette, La Lorraine. Messin plutôt que Français, ajouterait-il. Ce membre de la « Grande Triple Alliance Internationale » cause de ce coin de France, aux affinités avec la proche Allemagne. Dans ces histoires, il se souvient de villes et filles mortes « découpées, dépecées » et de « bébés congelés ». Certains crieront « horreur », je crierai plus fort « réalité » et le Messin crierait sûrement « rien à branler ». Son truc à lui c'est d'écrire sur des sales histoires, sur des filles un peu tarés qui congèlent leur bébé dans des frigos français. Trois éléments typiques de ces récits noirs, saoulés de cold wave et omnibulés par les témoignages bruts. T'as remarqué comme personne ne veut de ces histoires mais comment on s'excite dessus dès qu'elles rappliquent dans nos petites lucarnes ou en unes de nos journaux ? Alors à ceux qui crierait « sacrilège », je ne crierai pas « ô génie » mais liberté de création. Noir Boy George séduit parce qu'il dépasse les frontières de la chanson française. Ligne de démarcation fictive derrière laquelle personne ne va se risquer. Et pourtant – le monsieur n'aimerait pas ça – mais à sa manière il ravive la flamme d'une chanson française engagée. Il chante un truc pas sexy, pas facile, un truc bien crasseux, bien réel, l'abandon d'une partie de la chanson française et d'une population française. Un double abandon sur lesquels il compose avec un talent noir, brut, scandaleux parfois. Sous sa fausse provoc Noir Boy George nous réapprend que musique et littérature ont tout à voir ensemble. Conter un conte noir où des exclus de la société vivent en silence, s'emmerdent dans une ville de moins de 4 000 habitants ou crèvent la dalle ou crèvent tout court a quelque chose à voir avec la littérature. Dans sa bouche la beauté d'une « petite » est un truc irradiant... « comme un cancer ». Dans sa mémoire résonne la période oubliée, l'Allemagne « et ses masques à gaz ». Son chant rageur ou lessivé selon la piste nous donne envie de cogner, de pogotter comme des anciens, de boire aussi peut-être pour oublier.

 

Résolument punk, français, concerné, Noir Boy George s'écoute pendant des heures. Parfois son synthé est tellement envoûtant qu'on en oublierait qu'il répète sans cesse cette comparaison affreuse « je suis comme un bébé congelé ». Son flow noir s'empare de nous, nous gagne, nous soulève, nous injecte comme une urgence « comme un rien à foutre, on meurt aujourd'hui car demain il sera trop tard ». Chez lui, Nietzsche est une baltringue et la beauté c'est un cancer et juste pour la beauté lyrique de ces deux trouvailles, je l'écouterai me chanter ses airs punk pendant des heures. Il a infecté ma zone de ses airs désespérés, sans interrompre ma bonne humeur pourtant. Exactement comme Sexy Sushi il y a quelques années. Tiens d'ailleurs, Noir Boy George devrait baiser avec Sexy Sushi ça ferait des putains de bons bâtards pour la chanson française.

 

Noir Boy George à découvrir (en boucle) par ici https://noirboygeorge.bandcamp.com/releases

Tag(s) : #Musique, #punk, #noir boy george, #Messin plutôt que française, #chanson française
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