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« 15 balles pour un concert retransmis sur grand écran dans une salle où la moyenne d'âge sera certainement de 60 ans voire 70, l'âge des types à l'écran, t'es sérieux ? ». Encore une fois j'aurai mieux fait de me taire. D'arrêter de lire la presse qui sème le doute en moi à chaque fois qu'on critique la machine à fric que représente les types de 70 ans qui font du rock depuis l'aube des années 60 comme des gamins dans des corps de grand-pères. Opération marketing fidèle à l'esprit des Stones au pays de Fidel ou concert légendaire pour l'histoire des Stones comme celle de Cuba, peu importe. Ce qui importe dans « The Rolling Stones in Cuba : Havana Moon », le documentaire du premier concert des Stones en terre cubaine, ce sont les visages des cubains découvrant le rock des sixties en live dans la chaleur du printemps 2016 et nous les dévisageant, dans cette salle de cinéma dans le nord de la capitale, en plein automne. Nous qui râlons à l'entrée, puis avons envie de nous lever pour danser avec eux et applaudir à s'en blesser la paume des mains à chaque titre bouclé. Mais à chaque fois que l'envie nous gagne, on réalise l'absurdité de notre geste. Nous sommes au cinéma, pas avec ces 1,2 millions de cubains qui n'avaient alors jusqu'ici jamais goûter à la magie d'un concert des Stones.


 

Un concert des Stones sur grand écran, on pensait naïvement qu'il n'y avait que ce bon vieux Marty (Shine A Light) qui pouvait être à la hauteur de cette mission. Mais c'était sans compter sur le dernier coup d'éclat des Stones. Outre l'annonce d'un nouvel album, Jagger, Richards, Watts, Wood ont surpris tout le monde en s'invitant dans ce pays du monde où il n'avait jamais mis les pieds en un demi siècle de carrière. Le pays du Che et des companeros qui avant que la nuit tombe pour un concert où crépiteront des milliers de flash se découvre en plein jour avec ses couleurs chaudes, ses immeubles et ses rues  délabrés qui semblent pourtant avoir conservé son charme d'antan. Comme les Stones. Alors oui pour la beauté du geste, le caractère inédit du rendez-vous et la performance de la bande, il fallait mettre en boîte ces deux heures de concert titanesque à Cuba. Ces deux heures pas comme les autres, où enfin le peuple cubain pu découvrir en live ce à quoi ressembla le monde pendant près d'un demi siècle : l'exubérance, l'indécence, l'irrévérence des Rolling Stones. Le pouvoir cubain a longtemps privé les cubains – entre autres – de cette culture autre que la sienne. La culture extérieure à l'île, le rock comme symbole de la culture américaine, impérialiste et capitaliste forcément. Mais il n'y a qu'à voir les regards humides du public devant la bande des quatre, ses larges sourires, ses lèvres communes se calquant sur celles de Mick Jagger, ses langues tirées reproduisant la plus célèbre au monde, imprimées sur des tshirt, des drapeaux ou cette fille qui fait tomber le tshirt pour prendre la température d'un peuple qui est allé contre son gouvernement. La musique des britanniques les plus sales et méchants des sixties a traversé les frontières et les époques, contre les frontières et les époques. Après tout « Les Rolling Stones peuvent faire des choses que les gouvernements ne peuvent pas faire » comme le souligne le plus irrésistible flibustier du rock.

The Rolling Stones in Cuba : Havana moon

Keith Richards a raison. Ce qui se passe sur scène ce soir-là devant ce peuple-là est la preuve une nouvelle fois de ce que la musique peut produire sur l'Histoire dans l'Histoire. Bien sûr pas de concert des Stones sans les discussions de Barack Obama et Castro frère, sans désir de coup de pub d'un vieux monde déclinant, enterrant la hache de guerre. Tristesse ou bonheur, ce n'est plus Altamont, qu'elle est loin cette nuit où le flower power fut flingué. Un demi siècle a passé et c'est une machine rodée à la perfection qui livre un show titanesque où pourtant, le principal demeure, comme sauvegardé précieusement par la bande des quatre qui continuent à faire le job. Oui faire le job, ni plus, ni moins, mais avec l'indéfectible sensation que la fin ne sera jamais proche pour eux. Charlie a cogné sa batterie avec son flegme britannique légendaire. Ronnie semble toujours marcher sur pile électrique. Keith promène toujours l'élégance de sa nonchalance sur scène et demeure éternellement dans son monde tout en partageant le même sourire depuis 50 ans avec chaque membre du groupe. Et son jumeau, Mick, endosse de nouveau son plus beau costume, taillé sur mesure pour le show, pour emballer, électriser, réveiller, exciter les foules. Alors oui, ça commence toujours de la même façon, par un « Jumpin' Jack Flash » comme en 69. L'apothéose semble toujours débarquer quand le diable fait irruption pour « Sympathy for the devil ». Et ça se boucle toujours par un chœur capable à chaque fois de faire dévaler une ribambelle de frissons sur tout le corps à la simple écoute de cette (im)possibilité fabuleuse qu'est « You Can't Always Get What Your Want ». Mais ce soir-là, les cubains ont obtenu ce qu'ils désiraient la liberté enivrante offerte par cette religion qu'est le rock et ses prêcheurs invétérés que sont les quatre garçons ridés par les années, abîmés par le temps mais éternels jeunes premiers dans leur manière de se donner. Ce soir-là, le public s'étend à perte de vue, du jeune, du vieux, du fan, du curieux, des solitaires, des couples, des amis, des familles entières vibrent au son d'une soirée inoubliable pour eux. Pour nous, ce n'est qu'une soirée de plus à se répéter inlassablement « il faut revoir ces quatre types en live avant que cette salope de Grande Faucheuse ne les emporte ».

Tag(s) : #Musique, #Rolling Stones, #Cuba
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