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Ceci n'est pas une critique. Plutôt une chronique. Comme Fred, il faut savoir prendre des libertés pour raconter la réalité. La réalité est que je dois écrire ce billet de blog depuis plus d'un mois. Depuis que j'en ai fini avec Fred. Oona (son héroïne) traînassant dans l'appart, avait beau me jeter un sourire à tomber par terre tous les matins depuis 30 jours environ, je n'y arrivais pas. J'ai dû m'en remettre. Finir par accepter que c'était bel et bien terminé et qu'il fallait devoir attendre le prochain. Bien sagement. Pendant 15 jours, il t'accompagne partout. Du lit à la baignoire, du métro au jardin public, partout. Puis plus rien, s'en est fini. Sur ce sentiment bien connu, j'appose le beau nom  grave de tristesse. Oui, je plagie Françoise car depuis 1954 on a jamais fait mieux pour exprimer l'ennui d'une fille. Je suis ennuyée quand Fred livre son dernier mot. Son dernier livre.

Oona&Salinger : ceci n'est pas une love story

Pour son nouveau roman, Fred s'est expatrié. Géographiquement, historiquement et sentimentalement. Direction les States, New York City. Arrêt en 1940, quasi veille de l'entrée en guerre de nos chers ricains-sauveurs. Dans une Big Apple enfumée par la superficialité des it girls en devenir et les pauses intellectuelles des écrivains qui se rêvent en ce qu'ils ne seront jamais à savoir des Francis Scott Fitzgerald. Les cœurs sous analyse cette fois-ci sont ceux d'Oona O'Neil et Jerry Salinger. Elle est la fille du plus grand dramaturge américain, véritable it girl des années 40 et futur Madame Chaplin. Il est un l'écrivain de l'innocence perdue, le plus mystérieux, l'écrivain à un succès et pas n'importe lequel : L'attrape-coeur. Ces deux cœurs en pleine santé pourraient s'aimer, se marier et avoir beaucoup d'enfants. Sauf que la grande Histoire en a décidé autrement pour la petite. Et Fred adore ça. Briser l'american dream dès la quatrième de couverture : « Ils ne se marièrent jamais et n'eurent aucun d'enfant ». Merveilleuse matière à fiction que cette réalité qui assassina le flirt en pleine naissance de Oona et Jerry. Merci la guerre, merci Hitler !

 

Fascinante rencontre

 

Salinger rencontre Oona au Stork Club. Il a 21 ans, le regard timide mais la clope au bec assuré comme un Humphrey Bogart en noir et blanc. Elle, comme à son habitude squatte une table avec les héritières les plus bankable de la ville. Toujours accompagnées du même petit garçon au physique ingrat, un certain Truman Capote. Dans ce trio infernal de filles condescendantes, Oona tire son épingle du jeu. « Moins exubérante mais pas moins fascinante » pense le Salinger de l'imagination de Fred. Car tout ce qu'écrira Fred sur cette merveilleuse façon dont Jerry s'éprend d'Oona et s’attache à la séduire, c'est du pur Beigbeder. De l'égoïste romantique qui pense réellement que l'amour dure trois ans. Inventif, taquin, amoureux, donc un brin caricatural. Exemple ? Jerry s'acharne à charmer un mur, Fred écrit : «Les écrivains ne s'avouent jamais vaincus ça leur fournit un prétexte pour sortir plus encore, buvant davantage comme des chercheurs d'or qui s'acharneraient dans une mine désaffectée ». La mine désaffectée c'est en l’occurrence Oona, bombe qui s'ignore à qui tous font la cour en toute connaissance des risques encourus. Parmi eux, un certain Orson Welles qui lui prédira une love story avec le plus célèbre orphelin du cinéma. L'ombre de Chaplin plane déjà... Fred écrivain plante une ambiance digne d'un film des années 40, où Salinger ne jouerait pas un séducteur dans l'âme mais une brute au cœur tendre derrière sa carapace de Bogart. L'histoire d'amour naissante est inévitablement bercée par du Cole Porter et les nappes de fumées. Les premières pages/images se dévorent avec un sourire en coin, amusé par le jeu qui s'installe entre les deux incompatibilités. Devant l'habileté de Fred à imaginer ce monde qu'il n'a point connu, mais qu'il fantasme pour sa puissance créatrice, son insouciance, sa chance d'incarner le monde d'avant la guerre, le monde de tous les possibles. A manipuler ses pantins de fiction qui ont réellement existé, à s'en servir comme cobayes pour sa propre cause. Pas fou. Les leitmotiv récurrents de l'oeuvre Beigbedienne sont au rendez-vous. L'amour véritable n'est pas partagé, le "c'était mieux avant", la puissance des faux-semblants  ( « L'amour c'est faire semblant de s'en foutre alors qu'on ne s'en fout pas. C'est se chercher sans se se trouver. Ce petit jeu, s'il est bien pratiqué, peut occuper toute une vie ») . Tout ce qui l'agite se répercute dans l'histoire mort-née du couple made in American Dream, elle, la starlette, lui, le héros meurtri.

 

« Cette fille lui donnait mal aux ventre. Il avait envie d'appeler les flics. L’État devrait défendre aux femmes de se servir aussi bien de leurs paupières » écrit-il, niché dans la tête de son auteur favori. L’État n'y fait rien à ces filles-là. Il a autre chose à combattre, comme Hitler. Le jeu du chat et de la souris est interrompu par l'entrée en guerre des États-Unis venu sauver le Vieux Continent. C'est l'entrée dans la bataille. Le détail historique qui fait changer de camp la plume de Fred. L'écrivain  fasciné par cette période que lui et les siens n'ont point connu s'improvise pour l'occasion historien dans un chapitre qui fait froid dans le dos, au titre plus que léger (Ce qu'on ne dit pas aux français sur le débarquement). « Il arrive un moment dans certains pays à certaines époques, où les hommes semblent attendre un événement important et tragique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Ces périodes sont généralement nommées avant-guerre. Elles sont assez mal choisies pour tomber amoureux » Appelé sous les drapeaux, Jerry déserte cet amour insupportable. Insupportable car éprouvé pour une petite écervelée ne s'intéressant guère aux ravages de la guerre outre-Atlantique. La guerre est « une fin du monde » pour lui, une opportunité pour elle de s'en aller jouer la comédienne de seconde zone à Hollywood. Leur dernier baiser ressemble à un baiser de cinéma où un seul des partenaires aurait mis du cœur à l'ouvrage.

 

Coeur brisé et époque foiré

 

L'auteur égoïste et romantique va alors mettre du cœur à l'ouvrage lui pour cette seconde partie entre les plages de Normandie et de Californie. Les amoureux ne le sont plus, l'ont-ils été d'ailleurs ? A des milliers de kilomètres, l'une sous les lumières d'Hollywood Boulevard, l'autre dans la pénombre des bombardements, Fred va les faire communiquer par lettres. Des lettres imagées, fantasmées où Salinger raconte sa guerre avec tout l'humour noir qu'on lui connaît. Son cœur désintégré  perdu dans le foutoir de corps déchiquetés par les nazis. Ces lettres nées de la plume d'un écrivain-enquêteur qui n'a pu accéder aux vrais (que les héritiers de Chaplin gardent sous verrou) bouleversent en tout point. Chargé de désespoir amoureux, humains, elles racontent l'innocence perdue, l'humour noire pour unique manière de survie. Elles expliquent certainement l'histoire à venir. Lui qui s'envola pour la guerre dans l'espoir d'en tirer de la matière littéraire refusera de la raconter à son retour. Il en discutera longuement avec Hemingway lui même acteur majeur de cette seconde partie. Sorte de conseiller artistique et légèrement alcoolisé de Jerry : « Tout écrivain doit avoir un jour le cœur brisé reprend Hemingway, et le plus tôt est le mieux, sinon c'est un charlatan. Il faut un amour originel et complètement foireux pour servir de révélateur à l'écrivain. Ensuite il lui faut une épouse bienveillante qui l'empêche de se foutre en l'air ».

 

Personne dans cette fiction, qui prend sa source dans la réalité, ne se foutra en l'air. Happy end à l'américaine ? Evidemment que non, nous sommes chez Fred. Le happy-end est un leurre. Chacun crèvera à petit feu à sa manière. Non pas d'un amour foireux mais de l'époque. Charlot, lui, expatrié en Suisse, crèvera peu à peu d'avoir dû fuir les États-Unis pour son engagement politique rouge. Oona sera sauvée pour un temps par son mariage avec Chaplin et sa ribambelle de petits héritiers.  Mais à la mort de son  mari-père-amant de 46 ans son aîné, elle s'éteindra à petit feu. Jerry, lui, le héros, le combattant du cœur et des nazis ne se foutra pas en l'air, non. Il aurait laissé alors des millions d'orphelins, fanatiques de son attrape-coeur. Non, il fit pire : il s'isola dans une maison perdue du New Hampshire. Disparu de la vie, de la littérature avec consentement. C'est ce consentement qui fascine l'auteur français, cet éternel adolescent amoureux de l'attrape-coeur, "victime consentante de l'idéologie salingerienne". Haïr les adultes, tous laids, cons, ennuyeux, péremptoires, engoncés dans leur confort matériel. Ecrire sur son écrivain préféré est une manière pour lui adorable de se dédouaner d'être devenu cet adulte, de dire à tout prix qu'une part de lui est bien restée "l'enfant triste, l'éternel adolescent immature", le double d'Holden Caulfield. Avec l'âge, Beigbeder, l'intolérable cynique romantique, fait de plus en plus flirter ces héros avec cette fille fatale qu'on appelle mélancolie. Elle est d'une agréable compagnie, elle adoucit les contours d'une personnalité paradoxale. Lui qui aime la lumière et disserte à merveille sur cet écrivain dans l'ombre « qui a dégoûté les humains de vieillir ». Plus qu'une histoire d'amour foireuse, Oona et Salinger est en filigrane l'histoire d'un petit garçon obligé de grandir dans un monde qui a foiré et qui jamais ne s'en remettra, semble t-il. Et peu importe si l'auteur français le plus nombriliste est incapable de « raconter une histoire sans raconter autre chose que son histoire » (citation d'ouverture empruntée à Drieu La Rochelle), si le lecteur est capable de faire l'impasse sur la puérile déclaration d'amour à sa (très jeune) femme, sa Oona, il réussira à être intimement convaincu que cette histoire d'amour est la plus aboutie et touchante de toute l'oeuvre de son auteur favori.

Tag(s) : #Littérature, #Frédéric Beigbeder, #Oona&Salinger, #Oona O Neil, #Jerry Salinger
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