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Les entrailles des demoiselles risquent de travailler à la rencontre de cette Violette. C'est une rencontre de cinéma. Une rencontre de papier. C'est comme du Beauvoir. Rude, rugueux, pas agréable à la première rencontre mais nécessaire. D'une utilité salutaire pour la gente féminine. Cette Violette Leduc née bâtarde au début du siècle dernier est l'une des grandes figures secrètes et littéraires du siècle passé. Dans l'ombre de Simone de Beauvoir, son mentor, son amour inassouvi, son modèle, Violette Leduc a composé une œuvre rude où il est question de ces amours bisexuels – souvent malheureux – de sexe, d'avortement et de tout ce qui ne devait pas se livrer dans une lecture à l'aube des années 50. Cette Violette, romancière maudite et femme mal aimée par ses congénères, est le sujet du nouveau film éponyme de Martin Provost. Après Séraphine, le cinéaste récidive son désir de réhabiliter ces femmes rejetées pour leurs actes ou pour leur deuxième sexe. Découpé en chapitres, comme un roman d'une vie, Violette arpente vingt années dans la vie de Violette Leduc, interprétée par une Emmanuelle Devos, toujours prête à endosser les rôles de femme torturée par leur sexe ou la société – l'un allant rarement sans l'autre . De 1942 à 1964, la caméra suit l'itinéraire de cette anti-héroine qui va s'accomplir par l'écriture. Nous voilà plonger dans une guerre puis une après-guerre pittoresque, d'une neutralité, d'une reconstitution glaçante. A l'image du visage de cette Beauvoir sans émotion incarnée par une Sandrine Kiberlain droite dans ses bottes de féministe en guerre contre les non-dits et soumission en tous genre du "deuxièmes sexe". Si c'est Violette le personnage centrale de ce destin littéraire c'est bel et bien Beauvoir qui tire les ficelles de cette écrivaine insupportable. C'est bel et bien elle dont on admire inlassablement la responsabilité à construire une œuvre et parallèlement à libérer le « deuxième sexe ». Car s'éprendre de celle qu'elle prend sous son aile, Violette Leduc dans ce film – comme dans la vie - est une affaire bien délicate. Les pleurs, les cris, les crises d'hystérie, les amours impossibles, l'égocentrisme de sa petite personne la constitue d'entrée comme un personnage antipathique. Il faut que Beauvoir débarque pour qu'enfin Violette Leduc nous parle, pour qu'enfin la justesse éclate dans son jeu, pour qu'enfin la vérité éclate. La bâtarde, la fameuse « mère qui jamais ne lui a pris la main », le ravage de l'avortement, la laideur autant de détails qui ont corrompu son rapport à autrui débarquent en furie pour tout expliquer. Car cet être solitaire, toujours en état de violence envers les autres et surtout envers elle-même est désespérément en attente d'un retournement de situation... qui viendra très tard à l'aube des années 60 avec le succès littéraire de La Bâtarde. Littéralement asphyxiée par son besoin de plaire, cette Violette va devoir « tout dire » sous les ordres littéraires de Beauvoir. Alors quand Violette ne pique pas des crises d'hystérie aux hommes qui ne veulent pas d'elle les Maurice Sachs (écrivain), Jean Genet (écrivain), Jacques Guérin (collectionneur) et même à Simone de Beauvoir son amour fané d'avance, elle gratte des feuilles et des feuilles de mots crus, de maux d'enfance et de mariage, du mal qui la ronge. Passage les plus vibrants d'un film au classicisme lassant, passage où la chair féminine explose à la vue de tous. La chair que refuse de publier Gallimard et bien d'autres maisons d'éditions. Chair pour laquelle Beauvoir lutta. Chair sanguinolente qui se couche sur le papier d'abord pour soi. Différence majeure avec la Beauvoir. Orgueilleuse et complexée, Violette n'avait aucunement l'envie et la force de se forger un destin par l'écriture comme la jeune fille rangée des mémoires. D'un naturalisme glaçant sur la forme, ce Violette se sauve grâce à ces coucheries sur le papier. Ces moments où Violette sur les conseils de Simone s'isole des autres, s'exile du monde, de ceux qui l'ont conditionné en victime, sur les hauteurs du Mont Ventoux sont des belles scènes irréelles. L'auteure doit y affronter ses démons intérieurs, ses souvenirs et sensations battant dans ce corps que le siècle tôt ou tard va libérer grâce à la plume de femmes comme elle.

Asphyxiante Violette
Tag(s) : #Cinéma, #Littérature, #Simone de Beauvoir, #Violette Leduc, #Sandrine Kiberlain, #Emmanuelle Devos
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