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Dès fois, la machine infernale des circonstances fait tout pour que vous n'aimiez pas un film. La cuite de la veille. Votre manque de sommeil. L'heure de la séance. Le sujet. Les articles lus sur le sujet. « Steve Jobs, sérieux, tu es sûr ? On s'est déjà tapé cette histoire, non ? Puis l'informatique, Apple tout ça, c'est le capitalisme à l'état pur ». Dès fois, un film vous surprend plus qu'un autre parce qu'il vous arrache au contexte de la journée et votre mode – étriquée – de pensée. Steve Jobs, Danny Boyle et Michael Fassbender m'ont littéralement arrachée. Michael Fassbender m'arrache souvent à moi-même à vrai dire (Shame, Jane Eyre, A Dangerous Method, Fish Tank...). Bien que ce propos soit plutôt déplacé dans une critique : il est impossible de faire l'impasse sur la force magnétique du physique de l'irlandais à l'écran. Ce type à lui seul réussit à justifier l'expression « crever l'écran ». Sa carrure sèche, sa mâchoire brute, son regard tantôt carnassier tantôt tendre « crèvent l'écran ». C'est sur lui que Danny Boyle a jeté son dévolu quand il a su que ce bon vieux Léo (DiCaprio, homme à tout faire lui aussi) ne pouvait réussir à caser Steve Jobs dans son planning ultra chargé de tournages. On aurait presque envie de crier « Dieu merci » ! Aux manettes de cet énième biopic - qui a de quoi effrayer puisque chacun sait que biopic a tendance à rimer avec académique – il y a Fassbender, Boyle et un dernier homme, pièce central du jeu quasi-parfait qui va se jouer sous nos yeux captivés : Aaron Sorkin, scénariste du Social Network de David Fincher qui racontait déjà l'histoire d'un garçon parti de rien pour finir maître du monde et surtout de Facebook, Mark Zuckerberg. Comme Steve Jobs un peu, oui, oui.

Steve Jobs, génie et biopic peu académiques

Cette fois-ci, l'histoire ne débute pas dans un garage comme le veut la légende, mais en 1984 lors du lancement de Macintosh, une grande messe soigneusement orchestrée par le futur magnat de l'informatique. Immersion totale dans les coulisses d'un lancement casse-gueule et dans le mécanisme sans failles de Steve Jobs. Termes techniques, cruauté verbale, tyrannie de la réplique : Fassbender débite à une vitesse folle des dialogues-  pas toujours faciles à décoder quand on est nul en informatique - qui captivent pourtant nos systèmes nerveux de petits spectateurs. . Si l'avis d'autrui a toujours sa place ici c'est bel et bien celui de Steve Jobs qui a le dernier mot, même avec sa plus proche collaboratrice Joanna Hoffman (excellente et méconnaissable Kate Winslet). La caméra de Danny Boyle tourne autour de lui comme dans un opéra un peu fou où il n'est pas question de perdre de vue la star de la scène, celle qui maîtrise la moindre ficelle de ce cirque qui va mener les consommateurs à consommer un objet désiré et bien meilleur que la moyenne. Qu'il soit en train d'expliquer la révolution engendrée par cette drôle de boîte à sa fille de 5 ans ou à une foule de passionnés, chacun semble conquis, captivé par le génie par la force de frappe de sa rhétorique. La star, c'est lui. Bête médiatique, génie tyrannique et visionnaire au cœur des eightees. Autour de lui, sa petite cour s'agite, à beau lui réclamer du fric, une reconnaissance de paternité ou un bref mot pour remercier ses collaborateurs lors du show quand Jobs dit non, il le dit avec une cruauté quasi jouissive pour le spectateur.

Steve Jobs, génie et biopic peu académiques

Le cinéma de Boyle fait ici  de sa carte maîtresse souvent dépréciée, son vrai point fort : du cinéma à effet XXL pour un personnage XXL. Pour raconter l'ascension fulgurante d'un visionnaire, la puissance de frappe d'un système, l'esthétique grandiloquente de Boyle a amplement la carrure. La séquence d'ouverture s'étire sur plus de trente minutes, sans une minute de répit pour Jobs et ceux qui l'écoutent. Elle sera suivie de deux autres étapes fondamentales dans le destin la célèbre firme américaine et de son meneur, deux moments d'extrême tension : le lancement de l'ordinateur NeXt en 1988 et de l'iMac en 1998. Le génie de Boyle se résume à réussir à – presque – tout dire du temps écoulé entre ces moments de coulisses lors des organisations de ces messes capitales. Chaque période a son format d'images, le magnat son look (du costume avec nœud papillon, on passera au fameux combo jean/pull à col roulé) et les pièces du puzzle s'accumulent un peu plus à chaque rendez-vous pour composer une personnalité plus complexe qu'il n'y paraît notamment dans le dernier acte.  Sur le chemin de la gloire de son produit – et non de lui-même – Steve Jobs écarte tous les supposés opposants à sa réussite, même ceux qui l'ont aidé à bâtir ce produit, c'est pour dire l'enflure. La dernière situation laisse sous-entendre qu'il les écarte pour ne pas se laisser atteindre par une once de sentiment, que l'autre sur son chemin pourrait utiliser contre lui comme une atteinte. Ainsi le tout-puissant met la parole au centre de ses duels avec tous ses sous-fifres - enfant y compris - et les il fait tous se taire. Le dernier à subir les foudres de sa diatribe est son ex collaborateur Steve Wozniak, qui lui demande une nouvelle fois, de saluer le travail des techniciens d'Apple en l'interpellant d'un « Tu sais, on peut être génial et généreux à la fois ». Steve Jobs n'en a que faire d'être généreux ou aimé de son entourage, il est odieusement talentueux, il veut que ce soit son produit qui triomphe, soit aimé des siens et de la masse, pas lui. Avec ce film « bigger than life » Danny Boyle raconte le destin d'un prototype du rêve américain : l'orphelin qui se forge un destin « bigger than life » à l'heure du capitalisme tonitruant. Un type odieux avec les siens qui dans un dernier quart d'heure fait tomber le masque et glisse à sa grande-fille, qui a grandit avec un walkman vissé aux oreilles, « un jour, tu pourras mettre 1000 chansons là-dedans ». L'amour pour son prochain rapplique enfin, teinté d'un zeste de sentimentalisme. Ce type odieux  apporta un peu de son génie au monde, changea à sa manière sa façon de tourner et de consommer surtout. Le film se boucle sur une chanson d'une des idoles de Steve Jobs. Un type génialement odieux aussi parait-il qui un jour annonça que les temps allaient changer. Bob Dylan. C'est l'Amérique dans toute sa splendide complexité que Boyle a filmé finalement.

 

Tag(s) : #Cinéma, #Steve Jobs, #Michael Fassbender, #Danny Boyle
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