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Au plafond, une foule de noms suspendus comme des âmes qui planent, encore vaillantes et bienveillantes sur celles et ceux qui entrent dans cette partie du Musée Carnavalet. Point commun : ces noms sont tous féminins. Noms de parisiennes (souvent nées provinciales avant de « monter à la capitale ») et de citoyennes avant tout. Avant tout le monde, elles ont eu un jour, envie, besoin de rejoindre la cause des femmes, de battre le pavé – et d’en balancer quelques uns au passage – pour gagner pour elle et les autres des droits en pagaille. Droits de voter, de travailler, de divorcer, d’avorter, d’aimer des garçons ou des filles, ou les deux à la fois, mais aussi d’écrire des livres, de faire de la course automobile, de la politique, de se couper les cheveux à la garçonne et de porter des pantalons. Faire comme ceux qui leur interdisaient d’accéder à la sacro-sainte liberté. Le musée Carnavalet surfe sur la vague d’un soi-disant retour en grâce du féminisme… mais dynamite très vite l’idée, par sa brillante synthèse chronologique de l’Histoire de la lutte des femmes menée dans la capitale, que l’Histoire marche irrémédiablement vers un destin meilleur... Hélas.

L'exposition Parisiennes, Citoyennes au Musée Carnavalet

 

Deux pas en avant, trois pas en arrière

Dès les premières salles, on prend soin de nous rappeler ce fait à toujours garder en tête, en guise de garde-fou. Si la Révolution française doit beaucoup aux femmes et le féminisme particulièrement à l’une d’entre elles, Olympe de Gouges et son texte fondateur pour l’égalité des droits, ces droits acquis leur seront très vite confisqués par ces messieurs. En 1793, la Première république interdit aux femmes de se regrouper dans les clubs, puis suite à des émeutes, quelques années plus tard, ces dames ont interdiction de se regrouper à plus de cinq dans la rue ou d’assister à des assemblées politiques. Le coup de grâce viendra de ce cher Napoléon et de son code civil emblématique exposé pour l’occasion. Avec lui, retour à l’autorité de papa et du mari. C’est monsieur qui décide pour elle comme pour la marmaille. Circulez il n’y a plus rien à voir. Enfin si, on peut toujours mettre la main sur le Graal : le ventre des femmes. Avec Napoléon toujours, l’avortement est puni comme un crime. Et le droit au divorce pour le deuxième sexe se corse…

Mais dans l’ombre, ces dames s’organisent. Les révolutionnaires cèdent leur place aux communardes et bientôt aux suffragettes. Filles des faubourgs et filles de bonne famille, la fièvre de la lutte des femmes gagne toutes les classes. D’ailleurs toutes les filles de l’Hexagone n’ont guère le droit d’aller en classe, et mieux de faire la classe. Alors clubs littéraires ou organisations militantes, ces dames apprennent à penser et militer ensemble, par elles-mêmes. Taquine, l’histoire aime à rejouer les mêmes scènes et déjà les priorités divergent et les querelles naissent : faut-il en finir avec le joug paternel hérité du code civil de Napoléon d’abord ? Obtenir le droit de vote ou passer la vitesse supérieure à savoir avoir la possibilité de se présenter aux élections comme le réclame Hubertine Auclert, la première militante à se revendiquer fièrement « féministe » ? Réponse esquissée à en voir les preuves cumulées : il n'y a pas de petit combat.

Affiche du premier journal féministe La Fronde

Féministe. Avant d’être un gros mot dans la bouche de bon nombre de grincheux d’hier (et toujours actifs aujoud’hui), le mot est nouveau pour l’époque. Il est né dans un écrit péjoratif de Dumas fils en 1872 sur « la femme adultère ». Les femmes font des infidélités à ce que leur réserve depuis des lustres la loi des hommes : la famille, le foyer, la popotte et le reste. Doucement mais sûrement, le XIX ème siècle dessine pour les femmes, les victoires du siècle suivant. En noir et blanc, les images d’époque les montrent sous des banderoles qui réclament le droit de vote, brassards et quelques goodies déjà bien sentis comme un éventail « Je désire voter » nous font comprendre qu’on n’a décidément rien inventé. Dans le genre souvenir-souvenir, il y a aussi la belle mallette de travail de la journaliste Marguerite Durand, la frondeuse à qui on donnerait le bon dieu sans confession. En 1896, journaliste au Figaro, la jeune femme est envoyée au Congrès international des droits de la femme. Le journal lui réclame un papier critique. Elle refuse de l’écrire tant ce qu’elle a entendu là-bas lui paraît d’une grande logique. Elle quittera l’illustre journal pour fonder le sien : La Fronde, le premier quotidien français entièrement conçu pour et par les femmes. L’avant-gardisme éclate à chaque salle. Et l’admiration se décuple au contact juste imagé de ces femmes d’un autre temps...

Ne les libérez pas, elles s'en chargent

Les images d’époque ne bougent pas encore et pourtant sur les murs du musée peinturlurés façon façades en pleine révolution, pris d’assaut par les affiches de rassemblements d’antan, elles semblent clamer en cœur « Ne nous libérez pas, on s’en charge ». De la rage muette de Rose Zehner dans son usine Citroën alpaguant ses sœurs de travail capturée par Willy Ronis en 1938 au pavé prêt à s’envoler d’une jeune étudiante de Mai 68, trente ans se sont écoulés sur le rythme récurrent du deux pas en avant, trois pas en arrière. Rythme, hélas partagé, par de nombreuses luttes…

Rose Zehner dans son usine Citroën en 1938 capturée par Willy Ronis

 

La suite est connue de tous et toutes. Ou du moins en voie de démocratisation grâce aux luttes actuelles et aux écrits naissants dans leur sillon (on vous conseille au passage le très bon Les Grandes Oubliées, Pourquoi l'histoire a effacé les femmes de la journaliste Titiou Lecoq). Aux délires natalistes de la France du « Travail, Famille, Patrie » succèdera le droit de vote et d’éligibilité des femmes en 1944, et beaucoup plus tardivement le droit à exercer une profession sans l’autorisation de son mari (1966), le droit à la contraception (1967), le droit à l’avortement (1975)... C’était hier. Faites le calcul et vous constaterez que les femmes que vous avez le plus aimées au monde ont fait les frais de ce monde d’avant et ont goûté au suivant. Elles ont été enfant, jeune adulte et jeune épouse lors de cette bascule surréaliste qui a vu les droits que vous tenez pour acquis enfin débarquer dans leur vie. Ces victoires majeures ont été obtenues par le travail acharné d’héritières des révolutionnaires, des communardes et des suffragettes, d’anonymes et de figures emblématiques du MLF et de la Cause des Femmes, elles s’appelaient (beaucoup) Simone, Gisèle, parfois Juliette aussi.

Toutes ces pièces à conviction rassemblées ont le don de nous réconforter à tous les sujets. Sur le fond comme sur la forme. Non, avant ce n’était pas mieux. Non, la vie des féministes d’antan n’était pas dépourvue de querelles, ces dames n’étaient pas non plus des anges en jupon et n’avaient pas qu’un seul moyen d’action. Perturbation lors d’élection, codes civils brulés lors de manifestation, pétitions à gogo étaient leur lot quotidien, elles aussi à leur manière maîtrisaient l'art du coup d'éclat baptisé buzz de nos jours… Ces noms, images d’archives et paperasses qui s’accumulent sous nos yeux pour résumer des actes, des combats, des passions de l’aube de la Révolution française à aujourd’hui constituent un formidable trésor de guerre menée non pas contre les hommes mais pour le respect des valeurs hexagonales : liberté, égalité, fraternité. Fantastique et passionnant refuge pour faire le plein d’émotions et recharger ses batteries pour trouver l’énergie encore d’un combat jamais gagné, Parisiennes, Citoyennes regonfle l’égo pour battre le pavé et toujours maintenir la garde sur ces acquis bafoués aux quatre coins du monde que l’on doit cajoler ici et sur ces autres droits à conquérir  encore et encore malgré les moqueries, le mépris, le ridicule dans lequel on enferme parfois les parisiennes, citoyennes d’aujourd’hui… comme on le faisait jadis.

>> Parisiennes, Citoyennes jusqu'au 29 janvier au Musée Carnavalet

Tag(s) : #Exposition
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