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On prend les mêmes, et on recommence. Damien Chazelle derrière la caméra, Ryan Gosling devant et Justin Hurwitz pour mettre en musique l’élégant ballet des deux premiers. Le trio de jeunes prodiges - tous trentenaires, voire trentenaire sur le déclin pour Gosling - avaient déjà fait leur preuve auprès du grand public comme de la profession, avec  La La Land. Oscar du meilleur film en 2017... non je déconne ! First Man, leur nouveau compagnonnage cinématographique, affleure les mêmes thématiques que cette comédie musicale hymne au mythe hollywoodien et sa désillusion à la clé : deuil, doute, conquête, dépassement de soi. Devenir le meilleur ou du moins exister de son art, de sa passion est une constante de la petite filmographie du grand cinéaste de 33 ans. Une tradition d’un cinéma américain pro warrior et compagnie dont il évite cependant l’écueil, à travers chacun de ses films, avec une certaine grâce non dénuée d’un fond de mélancolie. First Man n’échappe dieu merci pas à la règle...même si dieu n'a rien à faire dans cette affaire, soyez rassurés.

First Man, le beau voyage interstellaire de Chazelle et Gosling

Rien de nouveau donc sous le soleil, ou devrais-je dire la Lune. Car c’est l’objectif ici. L’objectif d’une vie : y aller, y poser le pied, y s’échapper. Dans cet (énième) biopic, Ryan Gosling enfile la tenue d'un héros qui, ironie du sort, demeurait jusqu’ici très mal connu du grand public : Neil Armstrong. De ce premier homme qui posa le pied sur la Lune le 21 juillet 1969, de cette histoire dont on a tous entendu parler - le drapeau et le pas comme images d’Epinal de nos imaginaires collectifs - on ne sait presque rien. Ignorance totale jusqu’à la tête même de l'auteur du pas le plus célèbre de notre humanité, il faut bien l’avouer.

 

On ne sait pas que Neil Armstrong portait en lui le deuil de sa fille disparue à l’âge de 2 ans d’une tumeur au cerveau, que de cette tragédie il ne parlera jamais à aucun collègue et surtout que ce jour d’été célèbre était le fruit d’une décennie d’essais tragiques et glorieux pour lui, la NASA et les Etats-Unis alors en pleine Guerre Froide avec son bon vieil ennemi de toujours l’URSS. Informations méconnues qui seront la matière première pour ce biopic sensible, où la tristesse plane plus que l’esprit de conquête. Damien Chazelle s'affichant fièrement comme un fan de cinéma français période nouvelle vague et cinéma vérité, ceci pouvant expliquer la fibre sensiblerie de son cinéma...

 

Ce sont sur ces dix années de travail de Armstrong avec la NASA, de l’aube des années 60 à ce jour mémorable pour l’humanité entière, que Damien Chazelle et son équipe se sont penchés en s’inspirant du pavé de 700 pages de James R. Hansen, "Le Premier Homme : à la découverte de Neil Armstrong". La fidélité à l'ouvrage mais aussi la rencontre de Gosling avec des proches d'Armstong est certainement pour beaucoup dans cette sensation d’apprendre un tas de détails sur la conquête spatiale, plus que sur Neil Arsmstong, personnage lunaire, affable et solitaire dont tout le challenge pour Ryan Gosling fut de traduire les failles aussi bien que cette volonté silencieuse et tatouée au corps d’atteindre cette Lune. Et une fois n’est pas coutume c'est un défi relevé haut la main par l'acteur inoubliable de Drive qui excelle dans le mutisme de son personnage

 

Si la NASA et les présidents américains veulent conquérir, Neil Armstrong, lui, dans l’objectif de Damien Chazelle veut travailler pour oublier, pour s’échapper. S’il n’a pas l’étoffe d’un héros conquérant, Armstrong n’a cependant pas froid aux yeux, comme le requiert un efficace dépassement de soi, et c’est sur ce regard monolithique - dont notre regard ne pourra pas décrocher pendant plus de deux heures  ! - que Chazelle ouvre son First Man dans un bruit assourdissant. La tôle branlante de l’avion-fusée de Armstrong/Gosling transperce le mur du son et l’immensité obscure et captivante de l’espace se dévoile comme un songe inatteignable et renversant de beauté. Mais cet infini à portée de - seulement - quelques millions de kilomètres n’est visible que dans le reflet du casque du pilote au commande de ce bolide qui semble si peu solide. Cette magistrale séquence d’ouverture préfigure une oeuvre tissant sa lecture sur deux niveaux : le professionnalisme extrême du pilote et l’extrême solitude de l’homme, l’intensité promise par un ailleurs à couper le souffle et la fragilité de l’épopée spatiale dans ces bolides à la carcasse assourdissante, brinquebalante. Une épopée ambitieuse et ruineuse dans une époque chahutée où l'Amérique envoie ses gamins se faire tuer et où le rêve hippie et les citoyens opprimés réclament autre chose qu'un homme blanc sur la Lune. First Man n'évacue pas ce fait capital, Chazelle n'en fait également pas une toile de fond. L'ironie veut que son film est été aussi bien taxé d'anti-patriotique car il ne filme pas la traditionnelle image du drapeau américain flottant sur le sol lunaire que jugé trop tiède dans sa dénonciation d'une conquête spaciale pas désirée par une partie de la population américaine. Or First Man n'évacue pas cette réalité, Chazelle n'en fait pas une toile de fond non plus,  son sujet est la fuite de Neil Armstrong dans les cieux, pas la fuite de l'Amérique dans cet ailleurs qu'elle convoitait contre l'URSS, cela n'empêche que le réalisateur l'évoque par la grâce de son amour du cinéma vérité à l'aide d'images d'archives et d'un texte fondateur fort, celui du poète et musicien Gill Scott Heron, "Whitey On The Moon" poème qui dénonce la fuite dans les cieux d'une Amérique blanche et aisé qui fuit ses responsabilités face aux inégalités raciales, aux bavures, aux manifestations qui sévissent... Manière de glisser dans le portrait de ce destin individuel que l'Amérique qui cherchait la gloire à l'unisson allait encore une fois laisser une partie de son peuple sur le carreau...

First Man, le beau voyage interstellaire de Chazelle et Gosling

Si First Man apparaît comme une réussite c’est précisément dans cette capacité à traduire ces sensations d’insécurité permanente qui émanent de ces engins d’un autre temps. L'exemple hélas le plus parlant, Chazelle n'oublie pas de l'intégrer à son récit. La mission Appolo 1 n'eut jamais lieu car un court-circuit déclencha un incendie dans le module de commande du vaisseau lors d'un exercice de répétition au sol laissant prisonniers des flammes son équipage entier. La mort rode et pas seulement dans l'espace, elle est sensible ici bas, à chaque essai, chaque propulsion d'un engin dans l'espace.  A la simple vision, des corps qui entrent dans le vaisseau allongés comme dans un cercueil, on y pense. Pensées accentuées par les cadrans qui s'affolent tout azimuts, les interrupteurs susceptibles de céder à chaque instant. Et dans cette carcasse ennemie à l'homme, le pilote Armstrong conserve un sang-froid olympien. Le contraste subjugue d’autant plus que le thème du film composé par Justin Hurwitz enveloppe ces vols incroyables d’un thème à la mélancolie lancinante qui sied à ravir à l’âme toujours absente de Arsmstrong. Ici bas ou là-haut, l’astronaute trimballe sa solitude absolument recherchée face à sa femme, ses collègues, enfermé sous son casque, incapable de communiquer avec quiconque. Ce casque-masque archi protecteur dissimule la douleur inexprimable de la perte de l’enfant et de ce paradis perdu avec quelques flash-back terrestres en renfort, un peu poussifs dans leur patine très malickiennes période Tree Of Life - manque de chance Gosling a joué chez l'ultra sensorielle Malick ce qui n'aide guère la sensation de déjà vu... Ce paradis perdu bercé d’une lumière aveuglante contraste avec les ténèbres du cosmos qui à tout moment peuvent prendre, elle aussi, la vie, sa vie. 

 

La nostalgie est toujours ce qu'elle était chez le jeune Damien Chazelle, réalisateur bercé par la grâce d'un cinéma américain classique et biberonné à l'élégance du cinéma français des années 60. Son cinéma est inévitablement le reflet de cette éducation, de cet amour avoué pour le passé - ce qui agace particulièrement certains et vaut au cinéaste quelques attaques sur son prétendu classicisme aux frontières du réac. Mais si le passé lui semble si cher c'est par la promesse de mystères qu'il lui offre, non pas par désir de reproduction à l'identique. Ce mysticisme qui lui est si cher, il semble s'être fixé comme mission de le conserver à travers ce personnage si enfermé... jusqu'à ce premier pas sur la Lune devant des millions de personnes - puisque l'événement fut retransmis en direct, une caméra ayant été installé sur les parois extérieures de la fusée - Armstrong s'isole près d'un cratère, un trou béant dans lequel Chazelle lui fait jeter un souvenir ayant appartenu à sa fille disparue, seule prise de liberté du scénario avec la réalité. Armstrong s'est bien éloigné, sorti du champ de la caméra mais pour faire quoi ? L'histoire ne le dit jamais. Chazelle, lui, profite de ce mystère pour dire une fois encore quelque chose de l'homme face au mystère du cosmos, de la vie. Dire quelque chose par le silence des lieux comme de son héros. En quittant la salle, on réalise qu'on était pas mal du tout là haut avec lui...

 

Tag(s) : #Cinéma, #Ryan Gosling, #Damien Chazelle, #First Man, #Justin Hurwitz, #La La Land
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